Limites au trafic des influenceurs

Droit Social

Probablement parce que l’été est la saison préférée des influenceurs, la loi est venue récemment encadrer la question de la promotion en ligne des actions de formation.

Parce que oui, même pour promouvoir la formation professionnelle, il semblerait que vous ne soyez pas à l’abri de tomber sur des créatures à la bouche en cul de poule et en paréo vous vantant différentes manières de dilapider votre compte formation (par sollicitation téléphonique, c’est moins efficace, on voit moins bien les marques du maillot).

Ainsi, la loi 2023-451 du 9-6-2023, visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux contient plusieurs mesures relatives à la promotion des actions de formation professionnelle.

Les influenceurs faisant la promotion d’actions de formation seront soumis à une obligation de transparence – obligation qui ne portera pas sur l’épaisseur du paréo sus-évoqué.

En réalité, cette nouvelle exigence légale tombe sous le sens et ressemble à une loi qui court après l’époque. Toute promotion d’actions de formation, de bilans de compétences, d’actions permettant de faire valider les acquis de l’expérience et les actions de formation par apprentissage financées par des fonds publics ou mutualisés devra être précédée par la mention « Publicité » ou « Collaboration commerciale » et être accompagnée des informations liées au financement, aux engagements et aux règles d’éligibilité associés, à l’identification du ou des prestataires responsables de l’action de formation et du portail internet du compte personnel de formation.

Sur Instagram, ça sera probablement autant lu que les conditions générales de vente de tout et n’importe quoi sur Internet, mais cela aura le mérite d’exister.

Ne pas respecter cette obligation fera en tout cas encourir le risque à l’influenceur fautif d’être condamné à une peine d’un an d’emprisonnement et à une amende de 4 500 €.

Pas moins utile et pouvant éventuellement contribuer à mettre fin à cette nuisance du coup de fil anonyme et intempestif (« ravi de vous avoir en ligne… »), créé par la loi 2022-1587 du 19 décembre 2022 visant à lutter contre la fraude au compte personnel de formation (CPF), l’article L 6323-8-1 du Code du travail interdit, depuis le 21 décembre 2022, le démarchage commercial par téléphone, SMS, mail ou sur les réseaux sociaux, sauf si la sollicitation concerne une action de formation en cours.

L’article 4 de la loi du 9 juin 2023 complète cet article afin d’interdire également toute vente ou offre promotionnelle d’un produit ou toute rétribution en échange d’une inscription à des actions éligibles au CPF.

La violation de cette interdiction est punie de 2 ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende. Est également encourue la peine d’interdiction, définitive ou provisoire, d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise ou l’activité d’influence commerciale par voie électronique.

Ces dispositions sont entrées en vigueur le 11 juin 2023.

Finalement l’été est parfois un sale temps pour les influenceurs…

Sébastien Bourdon

 

A chaque entretien son objet !

Droit Social

On ne le répétera jamais trop, le droit du travail, c’est sioux (indien vaut mieux que deux tu l’auras). Cette évidence nous a encore été rappelée récemment (Cass. soc. 5-7-2023 no 21-24.122 FS-B, CSE Sté Technip France et Fédération CFDT communications c/ Syndicat de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens-CGT).

Il est de bon ton de causer régulièrement avec son salarié et c’est même parfois obligatoire. Il en va ainsi des entretiens professionnels et des entretiens d’évaluation.

Le diable se cache dans les détails, et la Cour de cassation est venue le rappeler : ces entretiens ne doivent pas se mélanger mais peuvent se tenir le même jour. Cela peut sembler pointilleux, mais c’est d’une logique imparable qu’il est prudent de suivre.

Rappelons le distinguo entre ces rendez-vous : en application de l’article L 6315-1 du Code du travail, l’employeur doit faire bénéficier chaque salarié d’un entretien professionnel tous les 2 ans (ou à l’issue de certains congés), appréciés de date à date. Cet entretien est consacré à l’examen de ses perspectives d’évolution, notamment en termes de qualifications et d’emploi, et comporte des informations relatives à la validation des acquis de l’expérience, l’activation du compte personnel de formation (CPF), les abondements de l’employeur à ce compte et le conseil en évolution professionnelle.

Si l’on relit la définition ainsi donnée, il ne peut échapper à personne qu’il n’y est nullement question d’apprécier le travail du salarié.

L’entretien d’évaluation n’est quant à lui pas obligatoire (à moins d’être prévu par la convention collective applicable). Comme son nom l’indique, il a pour objet l’évaluation du travail du salarié.

Ce souci du respect de la règle amène certains salariés obsédés textuels à tenter de jouer des subtilités du code du travail pour obtenir la condamnation d’employeurs parfois en délicatesse avec la règle.

Dans une entreprise où l’ambiance était pour le moins délétère, plusieurs salariés avaient été convoqués pour leur entretien professionnel et leur entretien d’évaluation, « à la suite » ou « le même jour ». Cela avait chagriné les représentants du personnel, considérant que cela nuisait au déroulement et à la fonctionnalité des échanges (en milieu moyennement tempéré).

C’était faire une exégèse un peu trop hâtive des textes et la Cour de cassation, à l’instar de la Cour d’appel, a rappelé que les dispositions légales applicables comme la jurisprudence n’imposaient pas la tenue de ces entretiens à des dates différentes.

Seules obligations rappelées dans ce cadre : faire un compte-rendu distinct et ne pas mélanger les genres.

Sébastien Bourdon

 

Quelque chose de pourri au royaume de la Prud’homie ?

Droit Social

Pour peu qu’on ait un peu de bouteille dans la profession, impossible de ne pas réaliser la réduction de la part du contentieux dans la pratique quotidienne.

Il est vrai que, à défaut de lettre des moyens dans la justice prud’homale, le législateur a fait ce qu’il fallait pour réduire le recours à cette dernière : entre l’invention de la rupture conventionnelle, la complexification de la saisine et la mise en place du fameux barème de condamnation.

On pourrait alors imaginer que ces différentes réformes auraient abouti à une fluidité et une accélération des procédures, le nombre de ces dernières ayant été mécaniquement réduit.

Il s’avère que ce n’est nullement le cas, et la Cour des Comptes s’en est récemment émue dans un rapport du 22 juin, appelant même à « un plan de redressement » de la juridiction paritaire.

Car de logique mathématique, elle n’a point trouvé : alors que le nombre d’affaires a été réduit par deux, la durée de traitement des dossiers ne cesse d’augmenter…

Ainsi, la durée de traitement des affaires était « en 2021, en moyenne de 16,3 mois, en augmentation régulière (9,9 mois en 2009), alors que leur nombre a été divisé par plus de deux durant la même période », selon le rapport de la Cour.

Si l’on y ajoute un taux d’appel particulièrement élevé – 60 % – bien plus élevé que dans les autres contentieux civils, à tout le moins on s’interroge, voire on s’inquiète car, l’importance de ce taux, combinée à une durée des affaires en appel importante (vingt-cinq mois), contribue à augmenter leur durée totale.

Evidemment, ce phénomène n’est pas inconnu de nos cabinets, et ne sert en réalité personne, employeurs comme salariés. Faire durer les choses, à quoi bon ?

Puisque ces difficultés ont été cette fois pointées par autrui, on peut les évoquer ici sereinement, tout prud’homaliste pratiquant que l’on soit : « dispersion de la carte (des CPH), nombre élevé de conseillers dont l’absentéisme est parfois significatif (quel avocat n’a pas vu son affaire renvoyée au dernier moment, découvrant à l’appel des causes qu’un conseiller prud’homme est absent ?), insuffisance de leur indemnisation, insuffisance du soutien apporté par les greffes… ».

La Cour des Comptes, toujours elle, appelle donc à un « pilotage effectif » (formule fourre-tout, que l’on croirait extraite d’un paperboard oublié dans une salle de réunion à La Défense), « tant au niveau local qu’au niveau national ». Il n’est effectivement pas faux de constater que la prud’homie française est une sorte d’Etat fédéral avec des compétences et exigences géographiques dans lesquelles il est difficile de ne pas se paumer : audience de mise en état (ou pas), lubies locales (présence des parties obligatoire quoique nullement prévue par le Code du travail, remise de conclusions sous format papier, délibérés disponibles, ou pas, et sous toutes les formes – téléphone, mails etc.).

Il parait que cette habitude de fonctionner tout seul dans son coin ne permettrait pas, je cite « une diffusion des bonnes pratiques ». Sans blague ?!

Cherry on the cake, la formation continue des conseillers prud’homaux serait « inexistante ». Prudemment, l’avocat plaidant habituellement devant la juridiction prud’homale laisse à la Cour des Comptes la responsabilité de son propos…

Sébastien Bourdon

L’accès au droit à l’eau (chaude)

Droit Social

Le travailleur, à l’instar de tout être humain, est supposé se laver les mains, au moins avant de passer à table.

Pour ce faire, l’employeur doit lui donner accès à un point d’eau, courante de préférence, et même précise le Code du travail, « à température réglable » (article R 4228-7, al. 2).

A défaut de toujours inventer l’eau tiède, le législateur ne néglige donc pas les détails puisqu’il n’est pas prévu de se désinfecter les paluches à l’eau glaciale.

Las, il arrive que la chaudière tombe en panne et dans ce cas que faire (car oui, on s’est vraiment posé cette question).

Et bien il a été admis par un décret du 24 avril 2023 – carrément – que l’employeur peut désormais, et jusqu’au 30 juin 2024 (mais pas plus tard), mettre à disposition des travailleurs de l’eau dont la température n’est pas réglable, et donc de supprimer l’eau chaude des lavabos (l’avis du CSE est toutefois requis, et il faut avoir préalablement vérifié l’absence de risque pour les travailleurs via le document prévu à cet effet).

Rassurez-vous toutefois, cette mesure privative n’est pas applicable aux lavabos mis à disposition des personnes hébergées, à l’eau distribuée dans le local d’allaitement, dans le local de restauration et dans les douches, incluant celles affectées à l’hébergement des travailleurs (ouf).

Le motif relèverait de la « sobriété énergétique », problème dont on sait qu’il sera réglé après le 30 juin de l’année 2024, ce qui explique cette date limite…

Sébastien Bourdon

Water, water everywhere and all the boards did shrink

Water, water everywhere nor any drop to drink

Iron Maiden “Rime of the Ancient Mariner

Illustration : Franquin

La Preuve par l’Image et ses Vicissitudes

Droit Social

Il en est du conflit prud’homal comme de tout procès : il appartient à chacune des parties de verser aux débats les preuves de ce qu’elle avance, afin d’emporter le morceau (article 9 du Code de procédure civile).

Mais ce que l’on peut produire en justice obéit à des règles – ce qui n’est guère étonnant – et tout n’est pas permis. D’où le concept soumis à la variabilité jurisprudentielle de « preuve illicite », c’est-à-dire obtenu en violation d’une règle de droit.

En la matière qui nous préoccupe le plus souvent – le droit du travail donc – l’exemple le plus typique est celui de la surveillance du salarié sans information préalable de ce dernier. Le droit disciplinaire dans l’entreprise n’obéit pas aux mêmes règles que celles la Police : pas de planque, pas de mouchards, pas d’indics, pas de flag. Si les salariés sont filmés, ils doivent le savoir (à cela il faut ajouter notamment le principe de proportionnalité du moyen utilisé etc.).

L’espèce aborde cette question de manière un peu plus alambiquée, donnant au principe un éclairage intéressant.
Un chauffeur de bus constatant la disparition de tickets de transport durant son service, s’en ouvre à son employeur. Ce dernier dépose une plainte et remet à la Police les bandes du système de vidéoprotection équipant les véhicules de l’entreprise, pour les besoins de l’enquête.

L’histoire ne dit pas si l’on a finalement trouvé le voleur de tickets, en revanche, les forces de l’ordre établissent un procès-verbal après visionnage des enregistrements au terme duquel est constaté la commission d’infractions dudit chauffeur durant le service : utilisation de son téléphone au volant et tabagie dans le bus. Le sang de l’employeur ne fait qu’un tour et licencie le garçon pour faute grave. Evidemment, et sinon on ne serait pas là pour en causer, le salarié saisit la justice de la contestation de la rupture.

Et bien lui en a pris puisqu’il a obtenu gain de cause. La Cour d’appel, que n’a pas contredite la Cour de cassation dans son arrêt, a constaté que :

• La preuve de la faute justifiant le licenciement ne reposait que sur ce PV de Police ;
• Ledit PV avait été communiqué de manière informelle, dans le cadre d’une procédure pénale dans laquelle l’employeur était tiers, sans autorisation du Procureur de la République ;
• La charte même de l’entreprise prévoyait l’interdiction d’utilisation du système de vidéoprotection pour apporter la preuve d’une faute d’un salarié lors d’affaires disciplinaires internes.

Enfin, la société s’était révélée incapable de démontrer que recevoir cette preuve malgré son illicéité d’obtention porterait atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.

Bref, on peut avoir totalement raison et perdre sur toute la ligne, pour peu que l’on ait soi-même été un peu limite sur les moyens employés (Cass. Soc. 8 mars 2023, n° 20-21.848).

Sébastien Bourdon

En arrêt maladie, tout est permis (ou presque)

Droit Social

Voilà des décennies qu’on nous le serine, il faut faire de l’exercice physique (et manger des fruits et des légumes).

La question que s’est posée en l’espèce la Cour de cassation est pertinente : si on ne travaille pas parce que l’on s’est fait porter pâle, état dûment établi médicalement - et donc indemnisé à ce titre - a-t-on quand même le droit de faire du sport ?

N’y aurait-il pas là violation par le salarié de l’obligation de loyauté – c’est-à-dire préférer faire du sport plutôt que travailler – justifiant alors la rupture du contrat de travail ?

Il est vrai qu’on ne parle pas ici de jogging dominical ou d’étirements au saut du lit, mais de la participation d’un salarié à des compétitions de badminton (discipline olympique rappelons-le) alors qu’il était en arrêt maladie (Cass. soc. 1-2-2023 n° 21-20.526 F-D, Établissement Régie autonome des transports parisiens c/ M).

Aussi surprenant que cela paraisse au regard des faits de l’espèce, selon la Cour de cassation, tel ne serait pas le cas : l’exercice d’une activité pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée dudit arrêt (Cass. soc. 11-6-2003 no 02-42.818 F-D : RJS 8-9/03 no 1002).

En effet, pour que l’employeur puisse trouver à y redire et que cela justifie un licenciement, la pratique de cette activité doit lui avoir causé un préjudice (Cass. soc. 21-11-2018 no 16-28.513 F-D : RJS 3/19 no 148).

On peut faire le parallèle avec la question du travail pour autrui : le salarié en arrêt maladie ne manquerait pas à son obligation de loyauté lorsqu’il exerce une activité pour le compte d’une société non concurrente de celle de l’employeur (Cass. soc. 7-12-2022 no 21-19.132 F-D : RJS 2/23 no 64). A l’inverse, l’employeur serait légitime à licencier un salarié qui exerce pour son propre compte une activité concurrente. Ainsi d’une espèce assez croustillante où le salarié « malade » démarchait les clients de son employeur au profit de la société… de son conjoint (Cass. soc. 23-11-2010 no 09-67.249 F-D : RJS 2/11 no 121) …

En l’espèce, il s’agissait d’enfin savoir si le préjudice causé à l’employeur peut ou non résulter du paiement intégral du salaire par ce dernier durant l’arrêt maladie. Subsidiairement, est-il bien raisonnable de s’exposer ainsi physiquement quand on est souffrant, au risque, justement, de prolonger encore l’arrêt maladie indemnisé ?

En l’espèce, notre badiste (terme officiel pour désigner le praticien du badminton) exerçait également les honorables fonctions de contrôleur RATP et avait participé à plusieurs compétitions de badminton pendant ses arrêts de travail. Le pot aux roses découvert, il est révoqué en raison d’un manquement à son obligation de loyauté envers son employeur. Estimant ne pas avoir manqué à cette obligation, il saisit la juridiction prud’homale afin de contester le bien-fondé de sa révocation.

La cour d’appel ayant jugé que la participation régulière du salarié à des compétitions de badminton pendant ses arrêts de travail n’avait causé aucun préjudice à la RATP et ne constituait donc pas un manquement du salarié à son obligation de loyauté, l’employeur s’est pourvu en cassation.

Si l’on résume grossièrement l’argument de la RATP, le raisonnement n’était pas absurde : si elle finance la couverture sociale du salarié, ce n’est pas pour qu’il tape dans un volant au lieu de fournir une prestation de travail. Il y aurait donc là un préjudice économique et financier à faire valoir.

Las, la Cour de cassation rejette ce premier argument, considérant que le maintien du salaire est insuffisant à lui seul pour démontrer un préjudice.

Le deuxième argument reposait sur le risque d’aggravation de son état de santé par la pratique de ce sport en compétition, ou que la possibilité de le pratiquer laissait présumer qu’il avait en réalité recouvré la santé, ce qui constituait un acte de déloyauté du salarié, source d’un préjudice fonctionnel et économique.

Considérant que la Cour d’appel avait justement considéré que la participation à 14 compétitions sportives au cours des cinq arrêts de travail prescrits sur l’année n’avait pas aggravé son état de santé ou prolongé ses arrêts de travail, la Cour de cassation en déduit que le salarié n’avait pas manqué à son obligation de loyauté pendant la durée de l’arrêt de travail et rejette le pourvoi.

On en déduit donc que la solution pourrait différer si l’activité de loisirs était incompatible avec la maladie, ou de nature à l’aggraver, entraînant de facto un allongement de l’arrêt pour raisons médicales… La Cour de cassation a donc tranché cette épineuse question : le badminton n’est pas un sport à risques.

Sébastien Bourdon

P.S. pour ceux qui se demanderaient de quoi pouvait bien souffrir notre badiste, l’arrêt le précise : « il était constant aux débats que le salarié, qui exerçait les fonctions d’opérateur de contrôle au sein de la RATP, a été arrêté 118 jours à compter du 6 août 2015 à la suite d’une agression ayant entraîné un choc au coude, 36 jours à compter du 18 janvier 2017 pour blessures au cou et au poignet, 29 jours à compter du 29 septembre 2017 pour bousculade ayant entraîné une blessure au bras droit ». Il semblerait même que le badminton ait des vertus curatives !

Congé paternité et Bigamie

Droit Social

Il arrive, mais ce n’est pas si fréquent, qu’une situation illégale soit créatrice de droits (et de responsabilités). Pour cela, il suffit de pousser la logique du raisonnement jusqu’au bout. Et c’est exactement ce qu’a fait la Cour d’appel de Toulouse.

C’est l’histoire d’un chauffeur de poids lourds qui aurait eu une femme dans chaque station-service (en tout cas dans au moins deux), et qui aurait fait des enfants à chacune (en tout cas au moins un à chacune).

Cette affaire a commencé à défrayer la chronique – judiciaire à tout le moins – lorsque ledit chauffeur a saisi le Conseil de prud’hommes de la contestation de son licenciement pour faute grave.

Le torchon avait commencé à brûler avec son employeur lorsque le salarié avait demandé à bénéficier d’un second congé de paternité et d’un second congé de naissance au mois de décembre au titre de la naissance de son deuxième enfant intervenue en novembre, après avoir déjà bénéficié de tels congés en septembre pour la naissance d’un premier enfant en août de la même année.

Trouvant que la cigogne passait un peu souvent chez ce garçon, l’employeur refuse cette deuxième demande à moins de trois mois d’intervalle et même convoque l’impétrant à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire.

Lors de l’entretien, il s’érige en père la morale et rappelle que la « polygamie n’existe pas en France » (on relève là un léger emballement sémantique : elle existe, mais elle n’est pas autorisée…).

Le salarié ne s’en laisse pas « compter » (une manie chez lui probablement) et soutient avoir été victime d’une discrimination, l’employeur ayant refusé la seconde demande de congés en émettant un jugement de valeur sur sa vie familiale. Rappelons qu’il lui appartenait alors, conformément aux dispositions de l’article L 1132-1 du Code du travail, de présenter au juge des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Il incombe ensuite à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Lesdits éléments objectifs laissant supposer l’existence d’une discrimination étaient les suivants : le refus de congé paternité et de naissance en raison de la situation familiale du salarié, le bref délai qui lui a été laissé pour se positionner sur une proposition de rupture conventionnelle et la mise en congés imposés par l’employeur sans délai de prévenance.

Partant de là, la Cour d’appel constate que la société justifiait dans ses écritures son refus d’octroyer lesdits congés en raison d’une situation familiale de l’intéressé qu’elle estimait non conforme à la morale. Cette appréciation de l’employeur étant éminemment subjective, elle est qualifiée de discriminatoire par la juridiction d’appel.

La règle invoquée pour ce faire n’est pas déconnectée de la réalité : les textes relatifs aux congés de naissance et de paternité n’exigent nullement une communauté de vie permanente du père avec la mère de l’enfant (CA Toulouse 16-12-2022 n° 21/01896, Sté Trans Occitan c/ K).

Cela peut sembler surprenant, mais il n’est pas interdit de considérer que les congés de naissance existent dans l’intérêt de l’enfant et qu’il eût été anormal de le priver de son père (et ce d’autant qu’entre son camion et le reste, ce dernier n’est peut-être pas tellement disponible).

Sébastien Bourdon

Illustration : « The Bigamist » d’Ida Lupino

Le salarié peut faire ce qu’il veut (avec ses cheveux)

Droit Social

La question de la tenue vestimentaire sur le lieu de travail a de tous temps donné lieu à des décisions croquignolettes : ainsi de la salariée qui persistait, nonobstant mises en garde, à porter un chemisier transparent laissant voir ses seins nus (licenciement pour cause réelle et sérieuse : Cass. soc. 22-7-1986 n° 82-43.824, M. c/ SA Siteco) ou du responsable commercial en bermuda (jugé non fautif, à défaut pour l’employeur de prouver avoir donné instruction en ce sens et du fait de l’absence de contact avec la clientèle : CA Paris 11 octobre 2007 n° 06-93, 21e ch. B, Nottot c/ Sarl Dr Import).

Cette question dit évidemment souvent quelque chose de l’époque et il faut lire les décisions à l’aune de la date à laquelle elles ont été rendues.

Dans un arrêt récent (Cass. soc. 23-11-2022 no 21-14.060 FP-BR), la chambre sociale de la Cour de cassation s’est penchée sur le pouvoir de l’employeur en matière de coupe de cheveux (et nous n’étions pas dans un salon où l’on gère ce type de problème) : si l’on résume, il s’avérerait qu’interdire un type de coiffure aux seuls hommes pourrait être discriminatoire puisque fondé sur l’apparence physique et le genre qui s’y rattacherait (homme ou femme, la Cour ne s’est pour l’instant pas risquée plus loin dans les distinctions).

L’affaire concerne un steward travaillant pour Air France. Le salarié, embauché depuis 1998, s’est présenté à l’embarquement, en 2005, coiffé de tresses africaines nouées en chignon. Son employeur lui a alors refusé l’accès à l’avion au motif qu’une telle coiffure n’était pas autorisée par le manuel des règles de port de l’uniforme pour le personnel navigant commercial masculin. Le salarié a alors décidé de porter une perruque pour exercer ses fonctions et ce, jusqu’en 2007.

Soutenant être victime de discrimination, le salarié a saisi le 20 janvier 2012 la juridiction prud’homale afin d’obtenir réparation. Le 13 avril 2012, l’employeur – du genre tenace – lui a notifié une mise à pied sans solde de 5 jours pour présentation non conforme aux règles de port de l’uniforme. Le 17 février 2016, le salarié a été déclaré définitivement inapte à exercer la fonction de personnel navigant commercial, en raison d’un syndrome dépressif reconnu comme maladie professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie. Il a finalement été licencié le 5 février 2018 pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement.

Il saisit alors la juridiction du travail d’une demande de condamnation de l’employeur au paiement de dommages-intérêts pour discrimination, harcèlement moral et déloyauté, d’un rappel de salaire, la nullité de son licenciement et en conséquence la condamnation de l’employeur au paiement de dommages-intérêts à ce titre, d’un solde de préavis avec les congés payés afférents et d’une indemnité de licenciement.

Las, il n’obtient d’abord pas gain de cause, les juges du fond considérant que le refus des dreadlocks ne vaut pas discrimination, en tout cas pas à bord d’un avion.

Pour rejeter l’accusation de discrimination, sont avancés les arguments factuels de la Cour d’appel sont les suivants :

  • le manuel du parfait steward n’instaure aucune différence entre cheveux lisses, bouclés ou crépus et donc aucune différence entre l’origine des salariés et il n’est reproché au salarié que sa coiffure,
  • si les filles ont le droit d’avoir des tresses et pas les garçons, cela peut être admis pour une période donnée du fait d’une simple reprise des « codes en usage » sur le lieu de travail.

La cour d’appel écarte également tout autre forme de discrimination ou de harcèlement estimant que la présentation du personnel navigant commercial fait partie intégrante de l’image de marque de la compagnie qui, à l’instar de toutes les compagnies aériennes, impose le port de l’uniforme.

Il est vrai que la jurisprudence admet la question du contact avec la clientèle comme pouvant justifier certaines restrictions à la liberté de s’habiller comme on le souhaite.

La Cour de cassation prend un contrepied radical et, se fondant notamment, sur les articles L 1132-1 et L 1133-1 du Code du travail (principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail), elle rappelle que les différences de traitement en raison du sexe doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle véritable et déterminante et être proportionnées au but recherché. Elles doivent ainsi renvoyer à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause.

La Cour en déduit que l’interdiction faite à l’intéressé d’une coiffure, pourtant autorisée pour le personnel féminin, caractérise une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe.

Et effectivement, ce n’est pas parce qu’un garçon a les cheveux longs (« c’est un garçon pas comme les autres », air connu) que l’on ne peut pas reconnaître en lui un membre du personnel navigant. L’habit fait donc le moine, même si en lieu et place de tonsure on porte des tresses.

Et la Cour d’ajouter que pouvoir distinguer un homme d’une femme n’est pas une exigence professionnelle impérative.

Le rêve de Jacques Dutronc, tel qu’exprimé en 1970 (in « L’hôtesse de l’air »), est donc devenu réalisable grâce à la Chambre Sociale de la Cour de Cassation :

« Toute ma vie, j’ai rêvé d’être une hôtesse de l’air,

Toute ma vie, j’ai rêvé d’avoir le bas d’en haut,

Toute ma vie, j’ai rêvé d’avoir des talons hauts,

Toute ma vie, j’ai rêvé d’avoir, d’avoir,

Les fesses en l’air ».

Sébastien Bourdon

 

Illustration François Walthéry

Liberté d’expression et vie privée

Droit Social

En ces temps confus, on découvre que la nouba au bureau peut relever des « valeurs de l’entreprise », mais dans le même temps qu’un salarié n’est pas obligé d’adhérer auxdites valeurs (ce qui rassérène un peu quand même, surtout quand on est d’un naturel grincheux).

En effet, dans une décision récente, la Cour de cassation a considéré qu’un cadre qui désapprouve les valeurs de l’entreprise exerce sa liberté d’opinion (Cass. soc. 9-11-2022 n° 21-15.208 F-D, T. c/ Sté Cubik Partners).

Le cadre en question avait en effet expressément refusé de participer aux valeurs (sic) « fun and pro » et à la « culture de l’apéro » prônées par son employeur, entrainant la rupture de son contrat de travail, rupture frappée de nullité selon la Cour de cassation. L’emploi de l’anglais pour s’acheter une crédibilité n’a donc pas fait illusion auprès de la Cour.

Rappelons que, sauf à en abuser, le salarié jouit, dans l’entreprise, comme en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées (jurisprudence constante).

Et puisqu’il s’agit de l’exercice d’une liberté, sanctionner son exercice lorsque le salarié n’en a pas abusé expose l’employeur à ce que le licenciement soit nul (article L 1235-3-1 du Code du travail).

En l’espèce, la question posée à la Cour de cassation était simple : critiquer le management relève-t-il d’un manquement aux obligations professionnelles ou de l’exercice de la liberté d’expression ?

L’employeur justifie la rupture du contrat de travail par le refus de se conformer à la politique de l’entreprise et le partage des valeurs « fun and pro » décrites notamment sur le site internet de la société par la participation à la célébration des succès, la présence au séminaire annuel et le partage de ses passions personnelles.

Nul besoin d’être spécialiste de la spécialité pour relever tout de suite un problème : il est demandé de raconter sa vie à ses camarades de travail. Quand bien même ce serait la collection de pin’s ou l’étude du sort des geishas à travers les âges, on conserve toute latitude d’en parler à qui l’on souhaite.

Plus détonnant encore, l’employeur incite à la consommation d’alcool sur le lieu de travail, au risque de mettre en jeu l’obligation de sécurité qui pèse sur lui (article R 4228-21 du Code du travail).

Bizarrement, la Cour d’appel, même en relevant ces potentiels manquements, a donné tort au salarié : selon elle, les reproches s’attacheraient à son comportement professionnel (« rigidité », « manque d’écoute », « ton parfois cassant et démotivant », « absence de développement de l’esprit d’équipe »), ils ne relèveraient donc pas de la remise en cause de ses opinions personnelles.

La Cour de cassation ne va pas suivre le raisonnement des juges du fond – sinon on ne serait pas là pour vous en parler – et se place d’emblée sur le terrain de l’appréciation de la liberté d’expression : elle confirme le caractère illicite du motif du licenciement prononcé en raison de l’exercice, par le salarié, de sa liberté d’expression, liberté fondamentale, entraînant à lui seul la nullité du licenciement.

Sanctionner ce qu’il considère comme un manque de convivialité risque au passage de coûter bonbon à l’employeur : le salarié sollicite sa réintégration dans son poste au sein de l’entreprise, ainsi que le paiement d’une indemnité de plus de 450 000 €, montant sur lequel il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de statuer.

De quoi offrir un sacré apéro à son ex-employeur si l’envie lui en prend une fois les sous en poche…

Sébastien Bourdon

 

Illustration Peyo

Faute plus qu’à moitié pardonnée

Droit Social

Lorsqu’il est pris en faute, tel un garnement moyen, le salarié peut être tenté de se défausser sur son supérieur en déclarant, je n’y suis pour rien, c’est lui qui m’a dit de faire ça. Et bien il semble que cette ligne de défense puisse être recevable, comme dans l’espèce dont il est ici objet (Cass. soc. 12-7-2022 n° 20-22.857 F-D, Sté Etablissements horticoles Georges Truffaut c/ Z.).

En l’espèce, un salarié, employé en qualité de directeur des systèmes d’information est licencié pour faute grave. L’addition semble en effet lourde : comportement irrespectueux, harcèlement moral à l’égard d’une subordonnée et l’instauration d’un climat de tension et de peur « avec une volonté affichée d’éliminer l’ancienne équipe au profit de collaborateurs embauchés par lui-même ».

Le salarié conteste cette décision (sinon on n’aurait pas eu l’occasion d’en parler ici), considérant que son employeur, informé de ses méthodes managériales, les aurait implicitement et explicitement soutenues.

En appel, les juges du fond lui donnent raison et considèrent que les faits ne constituaient ni une faute grave, ni même une cause réelle et sérieuse de licenciement.

La décision peut surprendre : en effet, tout salarié se rendant coupable de harcèlement moral est en principe passible d’une sanction disciplinaire (article L 1152-5 du Code du travail), l’employeur, tenu à une obligation de sécurité à l’égard de la victime, devant mettre fin à cette situation en faisant usage de son pouvoir disciplinaire.

Tant qu’à énoncer des évidences, rappelons que la faute grave est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. S’agissant de mettre fin à une situation de souffrance, elle est généralement admise en matière de harcèlement moral (et sexuel), mais, à l’instar des antibiotiques, ce n’est pas automatique.

En effet, la faute grave ayant pour effet de vous priver séance tenante de votre emploi, pour pouvoir l’invoquer à l’encontre d’un salarié coupable de harcèlement moral, l’employeur doit prouver la gravité des faits et l’impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise.

Comme le chantait feu Dani, « tout dépend du contexte » : en cas de litige, cet élément de fait est laissé à l’appréciation souveraine des juges du fond, comme en témoigne la décision de la Cour de cassation du 12 juillet 2022.

Et c’est ainsi que la Cour de cassation a validé le raisonnement avancé par les juges du fond pour absoudre elle aussi le salarié licencié pour faute grave :

  • les méthodes managériales du salarié en cause étaient connues de l’employeur et n’avaient pas été réprouvées par sa hiérarchie ;
  • il avait régulièrement partagé ses constats avec sa hiérarchie et conduit un processus de réorganisation en lien avec elle ;
  • l’employeur avait défendu les décisions qu’il avait prises.

En conséquence, le comportement du salarié était bien le résultat d’une politique managériale partagée et encouragée par la hiérarchie. Il est vrai que c’était un peu facile, même si assez banal, de faire reposer sur une petite main des manquements commis en haut lieu…

Sébastien Bourdon