Géographie de la rémunération

Droit Social

Dis-moi où tu travailles et peut-être pourrais-je envisager de te payer différemment. Dans le cadre de la jurisprudence afférente au principe « à travail égal salaire égal », la Cour de cassation a rendu une décision surprenante, mais de nature à rasséréner un peu les entreprises à établissements multiples sur le territoire français.

Pour mémoire, ledit principe d’égalité, dégagé par la jurisprudence, est consacré depuis vingt ans par le droit du travail (quand on aime, on a toujours vingt ans). En pratique, il oblige l’employeur à garantir une égalité de rémunération entre des salariés effectuant un travail identique ou de valeur égale.

S’il n’y parvient pas, il doit alors en justifier à l’aide de critères objectifs et pertinents, étrangers à toute discrimination (diplôme, qualités professionnelles, ancienneté etc. tels sont les critères parmi ceux retenus par la jurisprudence).

De la même manière, et nous amenant à l’arrêt qui nous préoccupe ici, il est jugé de longue date qu’il ne peut y avoir de différences de traitement entre les salariés des différents établissements d’une même entreprise que si elles reposent sur des raisons objectives (Cass. Soc. 21 janvier 2009 n° 07-43.452).

Dans l’espèce tranchée récemment par la Cour, une entreprise appliquait, de manière unilatérale, dans ses établissements situés en Ile-de-France des barèmes de rémunération supérieurs à ceux pratiqués au sein de son établissement situé à Douai.

Un syndicat implanté dans l’établissement nordique de l’entreprise estimait que cette pratique portait atteinte au principe de l’égalité de traitement en l’absence d’élément objectif tenant à l’activité ou aux conditions de travail pouvant justifier les différences de traitement observées entre les établissements de l’entreprise.

Pour justifier cette inégalité de rémunération, l’employeur mettait alors en avant les différences de niveaux de vie entre les deux zones géographiques (l’Ile de France, c’est parfois plus vivant que Douai, mais la vie y est chère n’est-ce pas). La démonstration a du être amusante puisque furent versés aux débats divers éléments attestant des différences de coût de la vie entre les deux localités. La cour d’appel l’a suivi dans son argumentation.

La Cour de cassation est allée dans le même sens et a donc expressément admis que la disparité du coût de la vie entre des zones géographiques constitue un critère objectif et pertinent de nature à justifier une différence de rémunération entre salariés d’une même entreprise.

La Cour aurait pu décider que « La Vie Parisienne » notamment décrite par Offenbach étant plus amusante, il n’y avait pas lieu d’être plus généreux avec les salariés travaillant dans la proximité de la capitale, mais c’eût été se lancer dans une jurisprudence quelque peu difficile à bâtir.

Par nature et par principe

Droit Social

On a déjà évoqué sur ces lignes cette question pour le moins contemporaine de ce que le salarié peut ou ne pas faire avec son outil informatique et dans quelle mesure l’employeur est tout-puissant dans le contrôle de l’activité épistolaire de ses salariés, dont il faut bien avouer qu’elle est parfois plus ou moins professionnelle.

Dans une décision du 12 avril dernier, la Cour de cassation est venue expressément fixer la règle suivante : l’employeur qui accède à la messagerie personnelle du salarié viole le secret des correspondances (Cass. soc. 7-4-2016 n° 14-27.949).

La Cour suprême n’a ainsi pas retenu l’argumentaire de la Cour d’appel qui n’avait pas vu de viol du secret des correspondances dans le fait de se procurer un courriel contenu dans la boite électronique personnelle du salarié, au motif qu’il s’agissait d’une boîte installée sur l’ordinateur professionnel de l’intéressé. Elle avait ajouté que ladite boîte avait été ouverte dans l’intérêt de l’entreprise et en raison d’une absence prolongée du salarié, et de ce que le caractère personnel du message consulté ne ressortait ni de son intitulé ni de son contenu.

La Cour de cassation, casse donc la décision rendue et, usant d’une formulation sans appel (si j’ose dire), considère que l’employeur ne peut pas consulter la messagerie personnelle d’un salarié, même si elle est installée sur l’ordinateur mis à la disposition de ce dernier pour les besoins de son travail. Elle précise qu’il appartenait à la Cour d’appel de rechercher : « si le message électronique litigieux n’était pas issu d’une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité et s’il n’était pas dès lors couvert par le secret des correspondances. »

Cette phrase est toutefois un peu surprenante puisqu’en légère contradiction avec la motivation de l’arrêt de la Cour d’appel qui avait retenu que « le caractère personnel du message ne ressortait ni de son intitulé ni de son contenu ». Il semble que la recherche ait été faite par la Cour d’appel, mais insuffisamment selon la Cour de cassation.

Si l’on en revient aux principes applicables, il convient de rappeler que  les e-mails personnels du salarié sont par principe couverts par le secret des correspondances, qu’ils aient été adressés ou reçus au temps et au lieu de travail (Cass. soc. 2-10-2001 n° 99-42.942). Pour assurer le respect de cette obligation, le salarié doit toutefois avoir pris la précaution d’identifier comme personnelles lesdites correspondances. A défaut, l’employeur peut librement consulter tout ce qui transite par la messagerie professionnelle de ses salariés (Cass. soc. 18-10-2011 n° 10-26.782).

Cette précaution afférente à la messagerie de l’entreprise ne s’applique en revanche pas aux e-mails reçus ou transmis par le biais d’une messagerie personnelle du salarié. En effet, les messages qu’elle contient sont par nature couverts par le secret des correspondances.

La conséquence logique de ce subtil distinguo (par nature/par principe) interdit donc en tout état de cause à un employeur d’ouvrir une messagerie personnelle sous le seul prétexte qu’elle est installée sur un ordinateur professionnel (cette distinction n’existe pas quand les e-mails sont enregistrés sur le disque dur de l’ordinateur, ils deviennent alors accessibles à l’employeur, hors la présence de l’intéressé, sauf à être stockés dans un fichier identifié comme personnel (Cass. soc. 19-6-2013 n° 12-12.138).