Seul sans excuses

Droit Social

Tout le monde se souvient naturellement de ce fringant trader, Jérôme K., qui, il y a quelques années, avait quelque peu défrayé la chronique. Pour mémoire, on l’accusait d’avoir pris des « positions directionnelles sur différents indices boursiers » (on fait du droit social ici, pas du boursicotage, on est donc en bien en peine de vous expliquer précisément de quoi il retourne) pour un montant considérable (de l’ordre de 50 milliards d’euros), sans commune mesure avec la limite de risque de son activité.

Plus souciant encore, il avait sciemment dissimulé ses agissements, notamment par de nombreuses opérations fictives et par la falsification de documents censés justifier ces opérations, occasionnant au passage un préjudice de 4,9 milliards d’euros à la banque (une paille).

L’ancien trader a notamment été ensuite reconnu pénalement coupable d’introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé, de faux et usage de faux et d’abus de confiance (CA Versailles 23-9-2016 no 14/01570).

Mais si cette ténébreuse affaire de haute voltige financière atterrit sur ces pages, c’est que le trader désavoué et licencié avec pertes et fracas (c’est le cas de le dire) avait saisi le Conseil de prud’hommes de la contestation de la rupture de son contrat de travail.

Cela peut surprendre dans le contexte, mais l’audacieux jeune homme a d’abord obtenu gain de cause en première instance, pour être ensuite débouté en appel.
Son principal argument de contestation de la rupture était une circonstance qualifiée d’atténuante : les graves carences du système de contrôle de la banque auraient rendu possible le développement de sa fraude et ses conséquences financières.

Ce sont d’ailleurs ces mêmes circonstances qui avaient conduit le juge pénal à reconnaître un partage de responsabilités entre la banque et le trader et à conséquemment réduire drastiquement le montant de sa condamnation pécuniaire, nonobstant le préjudice financier subi par la banque. Ceci dit, les 4,9 milliards d’Euros, cela faisait quand même beaucoup pour un seul homme.

Le juge pénal avait notamment relevé les multiples carences et manquements de la banque en matière de sécurité et de surveillance, et considéré que ces dernières avaient eu un rôle majeur et déterminant dans la conception et la réalisation des infractions commises par le trader. Plus éclairant encore s’agissant maintenant d’aborder l’aspect social de la question, le juge relève que ces multiples manquements témoignaient non pas de négligences ponctuelles mais de choix managériaux privilégiant la prise de risque au profit de la rentabilité (CA Versailles 23-9-2016 no 14/01570).

C’est en partant de ce postulat pénalement constaté et judiciairement définitif que le salarié avait intenté son action devant la juridiction prud’homale, jusqu’à la Cour de cassation.

Rappelons en effet que l’attitude de l’employeur ou du supérieur hiérarchique peut parfois constituer une circonstance atténuante de nature à écarter la faute grave, voire la cause réelle et sérieuse du licenciement.

Toutefois, l’absence de grillage ne peut à elle seule justifier le vol des fruits et même si l’employeur a éventuellement une part de responsabilité dans la survenance des faits fautifs, les juges du fond peuvent ne pas en tenir compte dans leur appréciation lorsque la faute commise est d’une particulière gravité.

C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris a considéré que de telles circonstances ne font pas perdre aux fautes commises par le trader leur degré de gravité. Grande et généreuse, elle a toutefois écarté la faute lourde qu’avait retenu l’établissement bancaire : en effet, le salarié n’avait jamais entendu nuire à la banque, mais plus probablement s’en mettre plein les poches. C’est donc la faute grave qui est retenue.

La Cour relève notamment que le jeune loup (de Paris) ne pouvait ignorer ce qu’il faisait au regard de son niveau de responsabilité et de compétence. Rappelons qu’il avait pris des positions directionnelles de l’ordre de 50 milliards d’euros alors que les fonds propres de la banque s’élevaient à… 31,275 milliards d’euros.

L’ex-trader se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel, arguant des carences dans la sécurité et des manquements de la banque.

Confirmant la position de la cour d’appel, la Cour de cassation rejette son pourvoi. Après avoir rappelé la définition de la faute grave, elle approuve la cour d’appel d’avoir retenu que les carences graves du système de contrôle interne de la banque, qui avaient certes rendu possible le développement de la fraude, ne faisaient pas perdre à la faute du salarié son degré de gravité (Cass. soc. 17-3-2021 n° 19-12.586 FS-D, K. c/ Sté générale).

Force est de constater le raisonnement existentialiste de la juridiction : la Cour de cassation a considéré que le jeune homme était unique maître de ses actes, de son destin et des valeurs qu’il décidait d’adopter.

Sébastien Bourdon

Illustration « Le Loup de Wall-Street » (Martin Scorcese)

Le barème ne fait pas forcément loi

Droit Social

Le retour du fils de la revanche : alors qu’un calme apparent régnait, voilà que la Cour d’appel de Paris en remet une couche et écarte dans une décision récente l’applicabilité du barème prud’homal dit « Macron » (CA Paris 16-03-2021 n° 19/08721, X. c/ Mutuelle Pleyel Centre de santé mutualiste).

Comme dans les espèces précédentes, aux solutions panachées selon les Cours saisies, était sur la sellette la conformité de ce barème aux textes internationaux, et plus particulièrement à la convention 158 de l’OIT qui exige une indemnisation appropriée du salarié dont le licenciement est injustifié.

Ce n’est pas la première Cour à passer outre – et probablement pas la dernière : suivant une logique qui sous-tend tous les argumentaires des opposants à cette tarification du préjudice, la Cour d’appel de Paris écarte à son tour l’application du barème d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu’il ne permet pas d’assurer une réparation adéquate du préjudice subi par le salarié.

Belle et rebelle, la Cour d’appel parisienne se moque donc comme d’une guigne des deux avis rendus en juillet 2019 en formation plénière de la Cour de cassation qui, après le Conseil d’État, avait conclu à la compatibilité du barème prévu à l’article L 1235-3 du Code du travail avec l’article 10 de la convention 158 de l’OIT.

Le gaulois est réfractaire dit-on, et cela n’avait déjà pas empêché certaines cours d’appel d’écarter son application au cas par cas en fonction des circonstances de l’espèce en exerçant leur contrôle « in concreto », lorsque son application ne permet pas d’assurer une réparation adéquate aux salariés injustement licenciés (CA Reims 25-9-2019 no 19/00003 ; CA Grenoble 2-6-2020 no 17/04929).

La Cour d’appel de Paris, qui s’était d’abord sagement alignée sur les avis de la Cour de cassation, tourne casaque et accorde à une salariée dont le licenciement économique a été déclaré sans cause réelle et sérieuse une indemnité à ce titre d’un montant supérieur au plafond prévu par le barème.

Evidemment, ce qui intéresse ici, au-delà de cette position dissidente de Cour, c’est ce qu’a bien pu subir la salariée concernée du fait de cette perte d’emploi, justifiant une réparation supérieure au quantum fixé légalement.

La réponse apportée est sans surprise et pourrait même constituer l’exemple type, l’illustration archétypale de l’imperfection originelle du texte établissant le barème.

La salariée licenciée comptant moins de 4 ans d’ancienneté, pouvait prétendre, aux termes de l’article L 1235-3 précité, à une indemnité d’un montant compris entre 3 et 4 mois de salaire brut, soit en l’espèce à un maximum de 17 615 €.

Et c’est exactement là que les juges ont fait leur boulot en appréciant in concreto le sort de la salariée : elle était âgée de 53 ans à la date de la rupture, soit un âge où il est difficile de se recaser (je parle d’employabilité) et plus encore au regard de sa formation et de son expérience professionnelle (maigre donc).

Partant de cette appréciation formée au regard des pièces versées, la Cour s’assied sur le barème et alloue 32 000 Euros à la salariée, soit un peu plus de 7 mois de salaire.

Il est plus que probable que cette décision ne soit pas isolée dans les temps qui viennent, et que l’employeur ne puisse faire l’économie (si j’ose dire) de se mettre à la place du juge en appréciant un risque finalement réel et pas seulement évalué en fonction d’un barème potentiellement toujours contestable. Et ce sera justice ? A chacun d’analyser cette possible évolution jurisprudentielle selon ses convictions…

Sébastien Bourdon

Le harcèlement sexuel n’a pas de genre

Droit Social

On n’est jamais à l’abri de surprises à la lecture de la jurisprudence sociale. Voilà que la Cour de cassation reconnaît la « banalité du mal » (cf. Hannah Arendt), et même son universalité (pas seulement la banalité du mâle donc) en constatant que l’auteur et la victime de harcèlement sexuel peuvent être de même sexe (Cass. soc. 3-3-2021 n° 19-18.110 F-D).

Ce n’est pas le seul intérêt de cette décision, mais il n’est parfois pas inutile que de marteler les évidences.

En l’espèce, une hôtesse de caisse « Chef de Groupe » estimant avoir été victime d’agissements relevant du harcèlement sexuel de la part de sa supérieure hiérarchique, saisit le Conseil de prud’hommes pour obtenir la résiliation de son contrat de travail aux torts et griefs de son employeur, et une indemnisation complémentaire pour le préjudice subi.

En appel, elle obtient la condamnation de l’employeur au paiement de dommages-intérêts pour le seul harcèlement sexuel. Insatisfaite, elle saisit la Cour de cassation pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail produisant les effets d’un licenciement nul. L’employeur forme de son côté un pourvoi incident contestant sa condamnation à ces dommages-intérêts.

S’agissant tout d’abord de la question du harcèlement sexuel, l’employeur réaffirme qu’il n’y a vu goutte, en raison de la « familiarité réciproque affichée » entre les deux salariées et même de leur « relation ambiguë ».

Il semble que la Cour de cassation soit d’ailleurs assez vigilante sur la problématique de « l’ambiguïté », questionnant la victime alléguée sur son comportement et ce en quoi sa propre attitude pourrait disqualifier ses accusations (rassurons le lecteur, il ne s’agit pas de reprocher à la victime de harcèlement de porter une jupe trop courte – Cass. soc. 25-9-2019 no 17-31.171 F-D).

Point d’ambiguïté ici puisque les faits conservent indéniablement la qualification de harcèlement sexuel caractérisé : non seulement la salariée a été destinataire de centaines de SMS à connotation sexuelle de la part de sa supérieure (mais quand travaillait-elle celle-là ?), mais également d’insultes et de menaces pour obtenir à un passage à l’acte. De son côté, la salariée avait sollicité à plusieurs reprises de sa supérieure qu’elle mette fin à ses agissements.

Sur le fond, rien de bien nouveau, si ce n’est que c’est effectivement la première fois que la Cour de cassation confirme l’existence d’une situation de harcèlement sexuel entre deux personnes du même sexe.

Pour le reste, la fin de l’histoire n’est pas totalement satisfaisante pour la victime qui espérait obtenir la résiliation judicaire de son contrat de travail sur les mêmes motifs.

Sur cette question, la salariée a eu un peu de retard à l’allumage et ce d’autant que l’employeur avait de son côté fait preuve d’une indiscutable réactivité. En effet, informé au mois de novembre 2014 des faits de harcèlement sexuel subis par la salariée, il a licencié la supérieure hiérarchique pour faute grave dès le 18 décembre 2014. Ce n’est que cinq mois plus tard que la salariée victime de harcèlement a finalement saisi le juge prud’homal d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail, considérant que la gravité des faits qu’elle avait subis justifiait la rupture aux torts de l’employeur.

Evidemment et heureusement, cette célérité a été justement saluée et les juges de première instance comme la Cour de cassation se sont fait fort de rappeler qu’un salarié doit être débouté de sa demande de résiliation judiciaire du contrat si, au jour du jugement, l’employeur a fait cesser la situation dont il se plaint. Il reste loisible de lui faire grief de n’avoir su empêcher les évènements et ainsi obtenir des dommages et intérêts, mais la résiliation judiciaire est impossible si une fois dûment informé, l’employeur a pris les mesures nécessaires pour mettre fin au trouble.

Sébastien Bourdon

Illustration « Passion » (Brian De Palma)