Le défaut de protection fautif

Droit Social

Cet arrêt de Cassation date un peu (Cass. soc. 23-10-2019 n° 18-14.260 F-D, D c/ Sté Airbus), mais les faits de l’espèce sont croustillants, et puis un éclairage sur ce qui peut fonder une faute grave est toujours bienvenu.

Pour mémoire ou rappel, en application de l’article L 4121-1 du Code du travail, l’employeur est tenu d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Cette obligation concerne chaque travailleur auquel il appartient de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail.

La jurisprudence a étendu cette obligation en une obligation de résultat, et vise toute atteinte à la santé, physique comme morale. La Haute Juridiction juge ainsi qu’un management par la peur peut constituer un manquement de l’employeur à son obligation de prévention (Cass. soc. 6-12-2017 no 16-10.885 FS : RJS 3/17 no 194).

S’inscrivant dans ce cadre, la Cour de Cassation a donc rappelé qu’un manager organisant une activité de « team building » ne peut s’exonérer du respect de la santé et de la sécurité de ses collaborateurs.

De quels excès ce cadre dynamique a-t-il bien pu se rendre coupable pour qu’il finisse ce week-end intégration par son licenciement pour faute grave ? Pris par l’enthousiasme, il n’a pas interrompu une épreuve alors que la santé d’un des « candidats » était menacée.

Ce garçon était en charge de l’équipe « Programme Management Solutions » et avait organisé pour son équipe un « team booster » dont la dernière épreuve consistait à casser tour à tour une bouteille en verre enroulée dans une serviette à l’aide d’un marteau, à déposer le verre brisé sur un morceau de tissu étendu au sol et à faire dessus, nu pieds, quelques entrechats gracieux (sur ce dernier point, j’extrapole un peu).

Un collaborateur, ne se sentant aucune vocation de fakir devant cette épreuve qui tenait littéralement du supplice hindou, est alors sorti en larmes. A son retour, il s’est justifié de son refus – comme si cela était nécessaire ! – par le fait qu’il était porteur d’une pathologie pouvant entraîner des risques d’infection pour les participants.

Averti de cette ténébreuse affaire par la médecine du travail et les ressources humaines, l’employeur a licencié le manager pour faute grave.

Le manager conteste alors la sanction devant la juridiction prud’homale, et jusqu’à la Cour de Cassation, en affirmant que l’employeur qui exige d’un salarié qu’il supervise une activité à risques ne peut lui reprocher la réalisation de ce risque dans le cadre de cette activité organisée dans les conditions qu’il a imposées.

L’arrêt n’a pas été publié, aussi l’on ignore si marcher sur du verre pilé relève d’une initiative du manager ou du prestataire chargé d’organiser ce week-end d’intégration.

Mais la question n’est pas là et la cour d’appel considère que le salarié n’y coupera pas : la faute avait consisté à ne pas intervenir durant le stage pour préserver l’intégrité physique et psychique de ses collaborateurs, en méconnaissance de ses obligations en matière de santé et de sécurité, lesquelles figuraient dans le règlement intérieur. La Cour de cassation confirme l’analyse des juges du fond.

Finalement, qu’importe l’organisateur de l’épreuve, c’est à celui qui l’encadre que de prendre soin des participants. Et ça aussi, c’est du « team building ».

Sébastien Bourdon