Le télétravail peut-il être un libre choix du salarié

Droit Social

La Cour de cassation a récemment rendu une décision discrète mais éclairante sur la prise en charge des frais afférents au télétravail.

Cette question étant pour le moins sous les feux de l’actualité récente, pandémie oblige, il était probablement pertinent de la décortiquer un peu (Chambre sociale, 17 février 2021, 19-13.783 ; 19-13-855).

En l’espèce, et entre autres demandes, le salarié concerné avait sollicité de son employeur le remboursement de divers frais exposés par ses soins dans le cadre du télétravail. Sur le principe, on ne voit pas bien ce qui aurait bien pu justifier qu’on le lui refuse, à un détail près, et pas des moindres.

En effet, précurseur d’un mode d’organisation du travail devenu banal depuis le mois de mars 2020, cet employé avait décidé de lui-même de se mettre en télétravail, sans l’aval de son employeur.

Or, et pour mémoire, le télétravail peut être mis en place dans l’entreprise à deux conditions, non-cumulatives :

  • dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique (CSE), s’il existe.
  • en l’absence de charte ou d’accord collectif, le salarié et l’employeur doivent formaliser par tout moyen leur accord de recourir au télétravail.

Ainsi, alors qu’aucune de ces deux conditions n’était remplie, le salarié saisit la juridiction prud’homale afin de se faire rembourser les frais exposés dans le cadre du travail effectué à son domicile.

Il invoque à cette fin les articles L. 1222-9 et suivants du Code du travail, mettant à la charge de l’employeur tous les coûts découlant directement du télétravail, indépendamment de la question de savoir qui est à l’origine de la décision d’y recourir, dès lors qu’il est établi que la prestation assurée par le télétravailleur l’est au profit de l’employeur (l’abonnement NETFLIX n’est pas inclus dans ce package, faut-il le rappeler).

Cette analyse il est vrai discutable n’avait pas été retenue par la Cour d’appel, qui avait fait ressortir qu’il n’existait aucun accord entre le salarié et l’employeur sur le recours au télétravail. En considération de ces éléments, la Cour de cassation a logiquement confirmé que le salarié ne pouvait se prévaloir de la législation relative au télétravail et donc obtenir un quelconque remboursement.

C’est donc une situation très particulière qui est ici tranchée, celle d’un salarié qui, tout seul, décide un beau matin qu’il n’ira plus au bureau et qu’il travaillera de son canapé, aux frais de celui qui l’emploie. C’était faire peu de cas du lien de subordination, ce qui lui a été ici rappelé.

S’agissant des périodes de pandémie – on ne sait jamais, ça pourrait encore durer ou se reproduire – le législateur s’est plutôt penché sur la question de pouvoir l’imposer sans plus de façons au salarié. Ainsi, le risque épidémique peut justifier le recours au télétravail sans son accord et sa mise en œuvre dans ce cadre ne nécessite aucun formalisme particulier. L’employeur peut donc mettre en place le télétravail sans accord ou charte, et ne consulter le CSE – pour peu qu’il y en ait un – qu’après la mise en œuvre de sa décision, à condition de l’en informer sans délai.

Sébastien Bourdon

Illustration : sms de la compagne du rédacteur

 

Manger en télétravaillant: quid du ticket-restaurant ?

Droit Social

Ces derniers temps, on pourrait avoir la vague sensation d’une jurisprudence qui ronronne, comme tétanisée par la crise sanitaire. Toutefois, effet induit de la même situation, la question du sort des travailleurs enfermés chez eux commence à un peu à agiter la vie pas forcément poussiéreuse des tribunaux.

Ainsi, s’il est bien une question essentielle – car oui le salarié est un être humain comme les autres – c’est celle de la nourriture, de la possibilité de se sustenter à la « pause dèj ».

Pour cela, le monde du travail a inventé un truc formidable : le ticket-restaurant. Et comme souvent dans la vie, ce que l’on a, on croit que c’est pour toujours, il s’avère que ce n’est pas si simple comme a pu le trancher récemment le Tribunal judiciaire de Nanterre (TJ Nanterre 10-3-2021 n° 20/09616, Fédération des syndicats des services activités diverses tertiaires et connexes (Unsa FESSAD) c/ Association de moyens assurance de personnes).

En l’espèce, l’UES Malakoff Humanis avait placé l’essentiel de ses salariés en télétravail à compter du 17 mars 2020 – pour mémoire, si on me lit dans encore dans 100 ans : en raison de l’état d’urgence sanitaire lié à l’épidémie de Covid-19 – et n’attribuait plus de titres-restaurant dans ce cadre.

Estimant que les salariés des sociétés composant l’UES qui n’ont pas accès à un restaurant d’entreprise ou interentreprises placés en télétravail doivent bénéficier des titres-restaurant, pour chaque jour travaillé au cours duquel un repas est compris dans leur horaire de travail journalier, une fédération syndicale saisit le tribunal judiciaire afin d’obtenir la régularisation de leurs droits depuis le 17 mars 2020.

Il est vrai que cela peut sembler un peu surprenant (et guère généreux) que de décider de cette suppression alors que par essence, chez soi, on n’a pas accès à un restaurant d’entreprise, et encore moins dans le cadre de restrictions strictes de sortie.

Rappelons ici les règles qui gouvernent l’attribution de ces fameux tickets :

Tout d’abord et c’est l’évidence, les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise. Il s’agit d’une règle d’ordre public notamment rappelée dans le Code du travail à l’article L 1222-9.

Ensuite, le ticket-restaurant n’est pas un droit mais, selon le ministère du travail, un avantage consenti par l’employeur qui ne résulte d’aucune obligation légale et son attribution est possible si, et seulement si, en application de l’article R 3262-7 du Code du travail, le repas du salarié est compris dans son horaire de travail journalier.

Dans ce cadre, et en application du principe d’égalité de traitement entre salariés rappelé ci-dessus, dès lors que les salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise bénéficient de titres-restaurant, les télétravailleurs doivent également en recevoir si leurs conditions de travail sont équivalentes (QR min. trav. 9-3-2021).

Ce qui nous amène petit à petit au domicile des travailleurs, puisque c’est plutôt là qu’on les trouve.

Dans son jugement du 10 mars 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre tranche en défaveur de ces forçats à domicile et considère que le télétravailleur n’étant pas dans une situation comparable à celle des salariés travaillant sur site sans accès à un restaurant d’entreprise, il ne peut prétendre à l’attribution de titres-restaurant.

Il est intéressant de reprendre le raisonnement suivi par la juridiction tant la solution dégagée semble un peu déconcertante :

Tout d’abord, le tribunal rappelle, comme le ministère du travail, que le titre-restaurant est un avantage consenti par l’employeur qui ne résulte d’aucune obligation légale. La loi ne définit donc pas ses conditions d’attribution, si ce n’est que le repas pris en charge doit être compris dans l’horaire de travail journalier.

Il ajoute ensuite que si titres-restaurants il y a, c’est pour permettre aux salariés de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile. Les mots ayant un sens, le tribunal affirme alors qu’un salarié en télétravail peut par essence se sustenter chez lui (une vérité de La Palice) et ne serait donc pas exposé à un « surcoût ».

Il n’empêche que cette assertion est surprenante : coincé chez lui sur ordre de l’employeur (ce dernier obéissant aux injonctions étatiques en ce sens), le salarié va forcément exposer quelques-uns de ses propres deniers pour se nourrir à l’heure du déjeuner, dans le strict cadre de son horaire de travail journalier.

Le tribunal a-t-il alors vraiment tenu compte des nécessaires critères objectifs gouvernant l’attribution d’un avantage au salarié quand ce dernier ne repose sur aucune obligation légale ?

Il n’est pas interdit d’en douter et l’on verra comment tranchera la Cour d’appel de Versailles, cette dernière ayant d’ores et déjà été saisie.

Sébastien Bourdon

Illustration : Franquin

La rupture vexatoire et ses conséquences

Droit Social

Ce n’est pas parce qu’on se débarrasse de quelqu’un que l’on doit en plus être désagréable ! Si graves soient les agissements du salarié que l’on licencie, la jurisprudence n’autorise pas à l’employeur de plus amples débordements verbaux ou écrits.

Les règles du savoir-vivre élémentaire doivent continuer à s’imposer sans quoi le salarié vertement sorti, même pour faute grave, peut prétendre judiciairement à la réparation du préjudice particulier ainsi subi.

Dans l’arrêt de cassation dont il est ici question (Cass. soc. 16-12-2020 n° 18-23.966 F-PBI, P. c/ Sté Altercafé), le salarié faisait grief à son ex employeur d’avoir publiquement allégué qu’il serait un drogué et un voleur. Il est vrai que de telles accusations ne sont pas de nature à apaiser le conflit, ni même et surtout à faciliter la recherche d’emploi pour celui qui, justement, vient de le perdre.

La Cour d’appel n’y avait pas vu malice, raisonnement que la Cour de cassation n’a pas suivi, considérant que le salarié avait bien subi un traitement anormal, en sus de la rupture de son contrat de travail.

Pour mémoire, cette sanction pécuniaire complémentaire s’applique même en cas de faute grave, ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt du 16 décembre 2020.

En ces temps où les salariés voient leurs demandes plafonnées par le désormais fameux barème prud’homal, il n’est pas anodin de rappeler que l’indemnisation allouée en réparation d’un licenciement vexatoire ou brutal est cumulable avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. En effet, il s’agit là d’une demande indemnitaire basée sur un autre fondement, elle n’a pas pour objet de réparer le préjudice lié à la perte d’emploi.

C’est probablement pour cela que l’on voit fleurir sur les requêtes de saisine prud’homale de si nombreuses demandes indemnitaires sur ce fondement, permettant de court-circuiter au moins un peu le plafond légal lié à l’ancienneté.

 

Sébastien Bourdon

Illustration : « L’avare » (Jean Girault – Louis de Funès)