De la valeur de l’e-mail comme mode de preuve

Droit Social

On l’ignore peut-être, mais nombreuses sont maintenant les juridictions à solliciter des avocats qu’ils allègent leurs dossiers, à commencer par les chambres sociales des cours d’appel. Las, pauvre de nous en robes noires devant faire face à cette exigence quand, de l’autre côté le moindre licenciement pour insuffisance professionnelle contesté judiciairement voit la production nécessaire de dizaines d’e-mails échangés entre les parties au cours des années précédant la rupture.

Autrefois, l’on justifiait une rupture par quelques avertissements écrits, des réclamations écrites de clients, des attestations de salariés, tout le reste du litige s’étant souvent noué par de plus ou moins vigoureux échanges oraux, qui comme toute parole, se sont enfuis sans laisser de traces.

Le développement des NTIC à l’origine de nombreux bouleversements dans le monde du travail a donc également généré une impressionnante quantité de papier à produire devant les juridictions prud’homales afin de justifier l’une ou l’autre des positions défendues. Déjà d’une lecture souvent inconfortable, voilà que ces missives électroniques viennent grossir nos dossiers de plaidoirie, au risque de fâcher le magistrat. Mais là n’est toutefois pas l’essentiel, il est nécessaire de s’interroger sur la valeur de ces écrits et d’autant plus devant une juridiction où l’on pratique « l’oralité de la procédure », principe qui, à tort ou à raison, laisse souvent à croire à une grande souplesse dans l’appréciation de la validité des pièces versées par les parties.

L’occasion de revenir sur ces questions nous a récemment été donnée par la Cour
de cassation (Soc. 25 sept. 2013, F-P+B, n° 11-25.884). Tout d’abord, il convient
de rappeler que le développement accéléré des nouvelles technologies de l’information
et de la communication (NTIC) avait nécessité de légiférer sur ce sujet, s’agissant notamment de la délicate question du mode de preuve (quoi de plus facile en effet
à modifier qu’un e-mail ?). Les articles 287, 1316-1 et 1316-4 du Code de procédure civile ont ainsi été adaptés par la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000.

Le courrier électronique doit remplir certaines conditions pour être recevable comme mode de preuve dans le cadre d’un procès. L’on doit pouvoir « identifier la personne
dont il émane » et il doit être « établi et conservé dans des conditions de nature
à en garantir l’intégrité ». La signature électronique doit, quant à elle, relever d’un « procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache.
La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu’à preuve contraire ». Dans l’espèce dont
il est ici question, une salariée avait contesté son licenciement pour faute grave motivé, selon la lettre de licenciement, parce qu’elle ne serait pas revenue travailler dans l’entreprise à la suite d’un arrêt de travail. Pour justifier ladite absence, elle avait produit devant la juridiction prud’homale un courrier électronique émanant de son employeur dans lequel ce dernier lui interdisait de revenir travailler (ce qui équivalait
à un licenciement oral, ce dernier étant d’ailleurs admis, bien qu’interdisant évidemment à l’employeur de le justifier a posteriori, faute de lettre de rupture motivée).

Les juges de première instance avaient débouté la salariée de sa demande, mais
la cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 1er septembre 2011, a considéré
le licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que l’employeur ne « rapportait
pas la preuve que l’adresse de l’expéditeur mentionnée sur le courriel soit erronée ou
que la boîte d’expédition de la messagerie de l’entreprise ait été détournée » et qu’en
tout état de cause, un tel détournement ne saurait être imputé à la demanderesse. L’employeur s’est ensuite pourvu en cassation et a contesté la recevabilité de cette preuve au moyen que ce courrier (ou plutôt ce « courriel »), dont il niait être l’auteur
(ce qui n’est pas anodin en l’espèce), ne satisfaisait pas aux conditions de validité
des courriers et signatures électroniques telles que prévues par les articles 287 du
Code de procédure civile et les articles 1316-1 et1316-4 du Code civil.

Pour trancher le litige, la Cour suprême n’avait donc d’autre choix que de se prononcer sur les conditions de validité du courrier électronique utilisé comme moyen de défense. Par son arrêt du 2 octobre 2013, la Cour de cassation a considéré que les articles précités n’étaient tout simplement pas applicables car le « courrier électronique a été produit pour faire la preuve d’un fait, dont l’existence peut être établie par tous moyens
de preuve ». En d’autres termes, la preuve de l’existence d’un fait, en l’espèce un licenciement verbal, pouvant être établie par tous moyens, y compris par courrier électronique, il n’est pas nécessaire de vérifier si les conditions de validité de la signature électronique sont satisfaites. Il s’agit là en fait du rappel d’un principe de droit commun, et la Cour, à l’instar des autres juridictions concernées, confirme la validité
et la recevabilité de données résultant de l’utilisation des NTIC. Le juge a ainsi pu valider la production de SMS (Soc. 23 mai 2007, n° 06-43.209), de messages téléphoniques vocaux (Soc. 6 févr. 2013, n° 11-23.738) et même de conversations sur Facebook (Bordeaux, ch. soc., sect. B, 12 janv. 2012).

En définitive, il est laissé aux juges du fond (pour peu qu’ils lisent les pièces…)
la possibilité d’apprécier souverainement si les éléments de preuve rapportés par le salarié suffisent à emporter leur conviction, peu importe leur forme. En l’espèce, la cour d’appel de Bordeaux avait estimé « que la version de la salariée selon laquelle l’employeur lui a refusé l’accès aux locaux de l’entreprise à compter du 6 août est fondée et que, dès lors, le contrat de travail a été rompu à cette date sans motifs valables, la procédure de licenciement engagée postérieurement étant, de ce fait, privée de cause réelle
et sérieuse ». La cour d’appel, confirmée en l’espèce par la Cour de cassation, a donc
fait une simple application de la jurisprudence relative à l’absence de cause réelle
et sérieuse d’un licenciement verbal (Soc. 23 juin 1998, RJS 1998. 621, n° 971 ;
9 févr. 1999, RJS 1999. 302, n° 489 ; 11 janvier 2011, n° 09-67.676).

Quel sort faire aux contraventions du salarié

Droit Social

La logique comme la bienséance pourraient laisser à penser qu’un salarié à qui l’on confie un véhicule de fonction, ou pour l’exercice de ses fonctions, soit seul responsable des contraventions que cette conduite pourrait générer. Pourtant, les joies du droit du travail, cela n’est pas aussi simple.

En effet, même s’il semble indiscutable à l’employeur que le salarié soit responsable de la contravention routière reçue par l’entreprise, il n’en demeure pas moins qu’il ne saurait se faire justice lui-même face à un salarié récalcitrant dans le fait d’assumer ses errements automobiles. Ainsi, la retenue sur salaire pour le remboursement des contraventions afférentes à un véhicule professionnel mis au service du salarié est illégale, y compris et même lorsqu’elle est prévue par le contrat de travail (Cass. soc. 11-1-2006 n° 03-43.587 RJS 3/06 n° 347). L’employeur doit, pour récupérer le montant des amendes auprès du salarié, engager une action devant le juge.

Dans un arrêt récent (17 avril 2013, n° 11-27.550), la Cour de Cassation a confirmé que l’employeur ne peut pas non plus espérer obtenir devant le juge prud’homal une condamnation du salarié à lui rembourser le montant de ses amendes. Dans cette affaire, contrairement au cas exposé ci-dessus, l’employeur n’avait pas opéré de lui-même une compensation entre le montant des contraventions et le salaire de l’intéressé, il avait simplement présenté au juge prud’homal, dans le cadre du litige né de la contestation par le salarié de la légitimité de son licenciement, une demande reconventionnelle tendant au remboursement par ce dernier du montant de plusieurs contraventions pour stationnement irrégulier et excès de vitesse.

La Cour de cassation rejette néanmoins son pourvoi en rappelant que, conformément à une jurisprudence constante, un salarié n’engage sa responsabilité civile envers son employeur que s’il a commis une faute lourde, ce dont l’employeur ne se prévalait pas en l’espèce. Or, sauf cas particulier, l’intention de nuire du salarié caractéristique de la faute lourde paraît devoir être écartée dans une telle hypothèse, même si, qui sait, l’on pourrait imaginer un salarié accumulant les contraventions dans le seul but de nuire à son employeur…

Cela étant, le paiement par l’employeur des amendes pour les infractions routières commises par le salarié dans l’exercice de ses fonctions avec un véhicule appartenant à l’entreprise n’est pas une fatalité.

En effet, le Code de la route désigne certes le titulaire du certificat d’immatriculation d’un véhicule ou le représentant de la personne morale lorsque ce certificat est établi au nom de celle-ci, comme pécuniairement responsables des amendes encourues au titre de certaines infractions (excès de vitesse, non-respect des règles de stationnement ou des distances de sécurité…). Mais, il permet à l’employeur de s’affranchir de cette responsabilité pécuniaire en établissant n’être pas l’auteur véritable de l’infraction (C. route art. L 121-2 et L 121-3).

A réception de l’avis d’amende, l’employeur peut donc, s’il le souhaite, former une requête en exonération de paiement dans laquelle il doit préciser l’identité, l’adresse et la référence du permis de la personne présumée conduire le véhicule lors de la constatation de la contravention (CPP art. 529-10). Le salarié auteur de l’infraction devra alors s’acquitter de l’amende. Il se verra aussi retirer sur son permis les points correspondants à cette infraction.

Le salarié ayant été le cas échéant désigné par l’employeur comme étant l’auteur d’une infraction au Code de la route peut évidemment lui-même soulever une contestation. Si à la suite de cette dernière, l’identification du véritable auteur s’avère impossible, le paiement de l’amende incombera alors nécessairement à l’employeur, en tant que titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule ou en tant que représentant légal de l’entreprise titulaire dudit certificat.

Voilà une configuration où l’on ne peut donc qu’espérer que les parties en cause soient dans les meilleurs dispositions possibles si l’on souhaite s’épargner des procédures éventuellement longues et peu palpitantes.