Boire ou travailler

Droit Social

Bientôt les fêtes de fin d’année, le moment est donc idéal pour rappeler les règles de base fixées par le Code du travail et la jurisprudence quant à la consommation de produits dit « festifs » sur le lieu de travail.

Tout d’abord, un principe essentiel doit être rappelé : de l’eau potable et fraîche doit être mise à la disposition des salariés. Ce n’est certes pas très festif, mais c’est la loi.

Une boisson non alcoolisée doit également être distribuée gratuitement dans le cas où les salariés sont soumis à des conditions de travail les amenant à se désaltérer fréquemment (la liste des postes concernés par cette mesure est établie par l’employeur, après avis du médecin du travail et du CHSCT ou, à défaut, des DP).

Par ailleurs, les conventions ou accords collectifs de travail, ou les contrats de travail, ne peuvent prévoir l’attribution de boissons alcoolisées au titre d’avantages en nature, sauf s’il s’agit de boissons servies à l’occasion de repas constituant déjà un tel avantage (C. trav. art. R 3231-16).

A la question du contrôle du salarié, la jurisprudence a apporté les réponses suivantes : la soumission à l’éthylotest du salarié par l’employeur se justifie si les modalités de ce contrôle en permettent la contestation et si, en raison de ses fonctions, l’état d’ébriété du salarié est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger (Cass. soc. 22-5-2002 n° 99-45.878 : RJS 11/02 n° 1233 ; 24-2-2004 n° 01-47.000 : RJS 5/04 n° 535).

Ainsi, pas plus que sur l’autoroute, l’employeur ne doit laisser entrer ou séjourner dans l’établissement des personnes en état d’ivresse.

Une fois posé ce principe, on note toutefois que le vin, la bière, le cidre et le poiré sont autorisés sur le lieu de travail, boissons qui sont pourtant à même de permettre à tout un chacun de se trouver justement en « état d’ivresse ».

L’introduction de certaines boissons alcoolisées dans l’entreprise est donc possible, le règlement intérieur pouvant toutefois en limiter la consommation, mais seulement si des impératifs de sécurité le justifient. Il ne peut ainsi, exceptionnellement, prévoir une interdiction générale que si elle est fondée par l’existence d’une situation particulière de danger ou de risque (CE 12-11-2012 n° 349365 : RJS 2/13 n° 118 – j’imagine que l’on pense plus ici aux centrales nucléaires qu’aux employés de bureau).

Il existe donc dans le droit positif une relative tolérance, que l’on pourrait presque qualifier de bienveillance, vis-à-vis des boissons alcoolisées (la culture locale y étant sans doute pour beaucoup, et je n’ai pas parlé de lobbying), en revanche, force est de constater que la règle est beaucoup moins souple s’agissant des stupéfiants.

Ainsi, dans un arrêt récent, la Cour d’appel d’Aix en Provence (qui n’est toutefois quand même pas la Cour de cassation) a considéré que le fait de consommer des substances stupéfiantes sur le lieu de travail, en violation du règlement intérieur de l’entreprise et des dispositions du Code pénal, est d’une gravité telle qu’il justifie un licenciement immédiat (CA Aix-en-Provence 10 mai 2013 n° 11/16117, 9e ch. c., Sté Optical center c/ C.).

En l’espèce, un salarié s’était absenté de la boutique dans laquelle il travaillait et s’était isolé dans l’atelier adjacent pour fumer du cannabis. Alerté par l’odeur, qui éveillait au surplus la curiosité des clients, un de ses collègues le surprend et témoigne des faits auprès de son employeur. Le salarié fumeur, mis à pied à titre conservatoire puis licencié pour faute grave, a contesté la légitimité de ce licenciement (si j’ose dire, il ne manque pas d’air).

La question qui était posée ici ne concernait pas la matérialité des faits (le salarié ne contestait pas avoir fumé du cannabis), mais leur qualification : quel était le degré de gravité de la faute commise ?

Les juges commencent par rappeler l’évidence : le fait de consommer des stupéfiants constitue une infraction au Code pénal. Il est donc pour le moins cohérent de la part d’un employeur que de ne pas tolérer au sein de l’entreprise qu’un salarié adopte un comportement pénalement répréhensible.

Au surplus, en l’espèce, l’employeur pouvait se prévaloir des dispositions du règlement intérieur de son entreprise, qui à la fois prohibait l’introduction de stupéfiants dans l’enceinte de l’entreprise mais également interdisait de fumer dans les locaux.

En violant ces interdictions légitimes et proportionnées, le salarié avait objectivement commis une faute grave justifiant son licenciement immédiat. C’est en tout ce qu’a décidé la cour d’appel d’Aix-en-Provence, rejoignant ainsi à la position de la Cour de cassation (Cass. soc.1er juillet 2008 n° 07-40.053).

Cette possible immixtion de l’employeur dans les comportements à risque de ses employés connaît une limite. Si les juges admettent la légitimité d’un licenciement disciplinaire prononcé à l’encontre d’un salarié qui consomme de la drogue pendant le temps et au lieu du travail, il n’en va pas de même lorsque les faits relèvent de la vie privée du salarié. Ainsi, un salarié qui fume du cannabis en dehors du temps et du lieu de travail ne manque pas aux obligations découlant de son contrat de travail, et ne peut pas être licencié pour cela (CA Paris 11 septembre 2012 n° 10/09919).

Joies du droit et de son étude, je ne saurais toutefois clôturer cette note sans faire état d’une exception à ce dernier principe : même si la drogue est consommée dans le cadre de la vie privée, le salarié commet une faute s’il travaille ensuite sous l’influence de produits stupéfiants et met ainsi sa sécurité ou celle de tiers en danger (Cass. soc. 27 mars 2012 n° 10-19.915).

De la valeur de l’e-mail comme mode de preuve

Droit Social

On l’ignore peut-être, mais nombreuses sont maintenant les juridictions à solliciter des avocats qu’ils allègent leurs dossiers, à commencer par les chambres sociales des cours d’appel. Las, pauvre de nous en robes noires devant faire face à cette exigence quand, de l’autre côté le moindre licenciement pour insuffisance professionnelle contesté judiciairement voit la production nécessaire de dizaines d’e-mails échangés entre les parties au cours des années précédant la rupture.

Autrefois, l’on justifiait une rupture par quelques avertissements écrits, des réclamations écrites de clients, des attestations de salariés, tout le reste du litige s’étant souvent noué par de plus ou moins vigoureux échanges oraux, qui comme toute parole, se sont enfuis sans laisser de traces.

Le développement des NTIC à l’origine de nombreux bouleversements dans le monde du travail a donc également généré une impressionnante quantité de papier à produire devant les juridictions prud’homales afin de justifier l’une ou l’autre des positions défendues. Déjà d’une lecture souvent inconfortable, voilà que ces missives électroniques viennent grossir nos dossiers de plaidoirie, au risque de fâcher le magistrat. Mais là n’est toutefois pas l’essentiel, il est nécessaire de s’interroger sur la valeur de ces écrits et d’autant plus devant une juridiction où l’on pratique « l’oralité de la procédure », principe qui, à tort ou à raison, laisse souvent à croire à une grande souplesse dans l’appréciation de la validité des pièces versées par les parties.

L’occasion de revenir sur ces questions nous a récemment été donnée par la Cour
de cassation (Soc. 25 sept. 2013, F-P+B, n° 11-25.884). Tout d’abord, il convient
de rappeler que le développement accéléré des nouvelles technologies de l’information
et de la communication (NTIC) avait nécessité de légiférer sur ce sujet, s’agissant notamment de la délicate question du mode de preuve (quoi de plus facile en effet
à modifier qu’un e-mail ?). Les articles 287, 1316-1 et 1316-4 du Code de procédure civile ont ainsi été adaptés par la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000.

Le courrier électronique doit remplir certaines conditions pour être recevable comme mode de preuve dans le cadre d’un procès. L’on doit pouvoir « identifier la personne
dont il émane » et il doit être « établi et conservé dans des conditions de nature
à en garantir l’intégrité ». La signature électronique doit, quant à elle, relever d’un « procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache.
La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu’à preuve contraire ». Dans l’espèce dont
il est ici question, une salariée avait contesté son licenciement pour faute grave motivé, selon la lettre de licenciement, parce qu’elle ne serait pas revenue travailler dans l’entreprise à la suite d’un arrêt de travail. Pour justifier ladite absence, elle avait produit devant la juridiction prud’homale un courrier électronique émanant de son employeur dans lequel ce dernier lui interdisait de revenir travailler (ce qui équivalait
à un licenciement oral, ce dernier étant d’ailleurs admis, bien qu’interdisant évidemment à l’employeur de le justifier a posteriori, faute de lettre de rupture motivée).

Les juges de première instance avaient débouté la salariée de sa demande, mais
la cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 1er septembre 2011, a considéré
le licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que l’employeur ne « rapportait
pas la preuve que l’adresse de l’expéditeur mentionnée sur le courriel soit erronée ou
que la boîte d’expédition de la messagerie de l’entreprise ait été détournée » et qu’en
tout état de cause, un tel détournement ne saurait être imputé à la demanderesse. L’employeur s’est ensuite pourvu en cassation et a contesté la recevabilité de cette preuve au moyen que ce courrier (ou plutôt ce « courriel »), dont il niait être l’auteur
(ce qui n’est pas anodin en l’espèce), ne satisfaisait pas aux conditions de validité
des courriers et signatures électroniques telles que prévues par les articles 287 du
Code de procédure civile et les articles 1316-1 et1316-4 du Code civil.

Pour trancher le litige, la Cour suprême n’avait donc d’autre choix que de se prononcer sur les conditions de validité du courrier électronique utilisé comme moyen de défense. Par son arrêt du 2 octobre 2013, la Cour de cassation a considéré que les articles précités n’étaient tout simplement pas applicables car le « courrier électronique a été produit pour faire la preuve d’un fait, dont l’existence peut être établie par tous moyens
de preuve ». En d’autres termes, la preuve de l’existence d’un fait, en l’espèce un licenciement verbal, pouvant être établie par tous moyens, y compris par courrier électronique, il n’est pas nécessaire de vérifier si les conditions de validité de la signature électronique sont satisfaites. Il s’agit là en fait du rappel d’un principe de droit commun, et la Cour, à l’instar des autres juridictions concernées, confirme la validité
et la recevabilité de données résultant de l’utilisation des NTIC. Le juge a ainsi pu valider la production de SMS (Soc. 23 mai 2007, n° 06-43.209), de messages téléphoniques vocaux (Soc. 6 févr. 2013, n° 11-23.738) et même de conversations sur Facebook (Bordeaux, ch. soc., sect. B, 12 janv. 2012).

En définitive, il est laissé aux juges du fond (pour peu qu’ils lisent les pièces…)
la possibilité d’apprécier souverainement si les éléments de preuve rapportés par le salarié suffisent à emporter leur conviction, peu importe leur forme. En l’espèce, la cour d’appel de Bordeaux avait estimé « que la version de la salariée selon laquelle l’employeur lui a refusé l’accès aux locaux de l’entreprise à compter du 6 août est fondée et que, dès lors, le contrat de travail a été rompu à cette date sans motifs valables, la procédure de licenciement engagée postérieurement étant, de ce fait, privée de cause réelle
et sérieuse ». La cour d’appel, confirmée en l’espèce par la Cour de cassation, a donc
fait une simple application de la jurisprudence relative à l’absence de cause réelle
et sérieuse d’un licenciement verbal (Soc. 23 juin 1998, RJS 1998. 621, n° 971 ;
9 févr. 1999, RJS 1999. 302, n° 489 ; 11 janvier 2011, n° 09-67.676).

Quel sort faire aux contraventions du salarié

Droit Social

La logique comme la bienséance pourraient laisser à penser qu’un salarié à qui l’on confie un véhicule de fonction, ou pour l’exercice de ses fonctions, soit seul responsable des contraventions que cette conduite pourrait générer. Pourtant, les joies du droit du travail, cela n’est pas aussi simple.

En effet, même s’il semble indiscutable à l’employeur que le salarié soit responsable de la contravention routière reçue par l’entreprise, il n’en demeure pas moins qu’il ne saurait se faire justice lui-même face à un salarié récalcitrant dans le fait d’assumer ses errements automobiles. Ainsi, la retenue sur salaire pour le remboursement des contraventions afférentes à un véhicule professionnel mis au service du salarié est illégale, y compris et même lorsqu’elle est prévue par le contrat de travail (Cass. soc. 11-1-2006 n° 03-43.587 RJS 3/06 n° 347). L’employeur doit, pour récupérer le montant des amendes auprès du salarié, engager une action devant le juge.

Dans un arrêt récent (17 avril 2013, n° 11-27.550), la Cour de Cassation a confirmé que l’employeur ne peut pas non plus espérer obtenir devant le juge prud’homal une condamnation du salarié à lui rembourser le montant de ses amendes. Dans cette affaire, contrairement au cas exposé ci-dessus, l’employeur n’avait pas opéré de lui-même une compensation entre le montant des contraventions et le salaire de l’intéressé, il avait simplement présenté au juge prud’homal, dans le cadre du litige né de la contestation par le salarié de la légitimité de son licenciement, une demande reconventionnelle tendant au remboursement par ce dernier du montant de plusieurs contraventions pour stationnement irrégulier et excès de vitesse.

La Cour de cassation rejette néanmoins son pourvoi en rappelant que, conformément à une jurisprudence constante, un salarié n’engage sa responsabilité civile envers son employeur que s’il a commis une faute lourde, ce dont l’employeur ne se prévalait pas en l’espèce. Or, sauf cas particulier, l’intention de nuire du salarié caractéristique de la faute lourde paraît devoir être écartée dans une telle hypothèse, même si, qui sait, l’on pourrait imaginer un salarié accumulant les contraventions dans le seul but de nuire à son employeur…

Cela étant, le paiement par l’employeur des amendes pour les infractions routières commises par le salarié dans l’exercice de ses fonctions avec un véhicule appartenant à l’entreprise n’est pas une fatalité.

En effet, le Code de la route désigne certes le titulaire du certificat d’immatriculation d’un véhicule ou le représentant de la personne morale lorsque ce certificat est établi au nom de celle-ci, comme pécuniairement responsables des amendes encourues au titre de certaines infractions (excès de vitesse, non-respect des règles de stationnement ou des distances de sécurité…). Mais, il permet à l’employeur de s’affranchir de cette responsabilité pécuniaire en établissant n’être pas l’auteur véritable de l’infraction (C. route art. L 121-2 et L 121-3).

A réception de l’avis d’amende, l’employeur peut donc, s’il le souhaite, former une requête en exonération de paiement dans laquelle il doit préciser l’identité, l’adresse et la référence du permis de la personne présumée conduire le véhicule lors de la constatation de la contravention (CPP art. 529-10). Le salarié auteur de l’infraction devra alors s’acquitter de l’amende. Il se verra aussi retirer sur son permis les points correspondants à cette infraction.

Le salarié ayant été le cas échéant désigné par l’employeur comme étant l’auteur d’une infraction au Code de la route peut évidemment lui-même soulever une contestation. Si à la suite de cette dernière, l’identification du véritable auteur s’avère impossible, le paiement de l’amende incombera alors nécessairement à l’employeur, en tant que titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule ou en tant que représentant légal de l’entreprise titulaire dudit certificat.

Voilà une configuration où l’on ne peut donc qu’espérer que les parties en cause soient dans les meilleurs dispositions possibles si l’on souhaite s’épargner des procédures éventuellement longues et peu palpitantes.

On ne transige plus sur la rupture

Droit Social

Faisant suite à des développements déjà évoqués sur ces lignes l’an passé, la Cour de cassation est venue récemment préciser les possibilités de conclure un accord transactionnel à la suite d’une rupture conventionnelle (Cass soc 26 mars 2014 n° 12-21.136 (n° 660 FP-PBR), M c/ Institut Polytechnique Lasalle Beauvais).

Sans grande surprise, la Cour de cassation répond par l’affirmative à la possibilité d’une transaction dans le cadre décrit, mais elle impose des conditions assez draconiennes.

Tout d’abord, s’agissant de la date de signature, elle rappelle que, pour être valable, la transaction doit nécessairement  intervenir postérieurement à l’homologation de la rupture conventionnelle par l’administration ou, s’agissant des salariés protégés, après la notification de son autorisation par l’inspecteur du travail. Les deux opérations doivent donc être dûment séparées et se suivre (à l’instar de ce qui se fait en matière de transaction après un licenciement, cette dernière ne pouvant se produire qu’une fois la notification de la rupture dûment effectuée par la voie recommandée).

Ensuite et surtout, et c’est là que les choses se corsent un peu plus, la transaction signée postérieurement à une rupture conventionnelle ne saurait pas avoir pour objet de régler un différend relatif à la rupture du contrat de travail. De ce fait, la transaction qui interviendrait postérieurement à la validation d’une rupture conventionnelle ne pourrait porter que sur un litige en lien avec l’exécution du contrat de travail et tout autre réclamation, afférente, sans lien avec la convention de rupture elle-même (une transaction ne pourrait ainsi couvrir un vice du consentement).

La Cour de cassation semble par là vouloir mettre fin à l’impossibilité de contester une rupture conventionnelle, même prudemment complétée par une transaction postérieure. Il est vrai qu’un tel raisonnement est cohérent : la rupture conventionnelle suppose par principe l’absence de différend entre le salarié et l’employeur, contrairement à la transaction qui vient justement à mettre fin à un litige ouvert entre les parties.

Cette solution s’inscrit dans la droite ligne de celle dégagée par la Cour en juin 2013 par la Cour de cassation, selon laquelle les parties à la convention de rupture ne peuvent pas renoncer, par avance, à leur droit de contester la rupture, une telle clause étant réputée non écrite sans affecter pour autant la validité de la convention (Cass. soc. 26 juin 2013 n° 12-15.208 (n° 1212 FS-PBR)).

En limitant la possibilité aux parties de transiger sur les seuls conflits relatifs à l’exécution du contrat de travail et à la condition que la transaction ne porte sur un élément déjà réglé par la convention de rupture, la Cour de cassation restreint considérablement en pratique les possibilités de conclure une transaction à la suite d’une rupture conventionnelle. En effet, la transaction est plus que fréquemment utilisée pour régler les conflits afférents à la rupture de la relation de travail (bien-fondé, conséquences pécuniaires…).

Le succès indiscutable rencontré par ce mode alternatif de rupture allait nécessairement engendrer un encadrement jurisprudentiel strict de sa pratique, c’est la voie logique suivie par la Cour de cassation, sans doute soucieuse d’éviter un dévoiement des textes applicables…

Des nouvelles de la rupture conventionnelle

Droit Social

Avant de se noyer dans la torpeur de l’été, quelques informations pour le moins essentielles à l’usage de la rupture conventionnelle nous étaient parvenues de la Cour de cassation, il serait regrettable de les ignorer encore à l’approche de la rentrée.

Longtemps, l’on a pu s’inquiéter de la signature d’un tel processus de sortie de l’entreprise d’un salarié lorsqu’un conflit plus ou moins larvé, ou plus ou moins ouvert, existait entre l’employeur et le futur partant. Il pouvait effectivement sembler que le législateur avait voulu ici créer un processus totalement pacifique de sortie, et certainement pas un mode alternatif de règlement des conflits. La Cour de cassation, sans trahir l’intention du législateur, et s’inscrivant même dans la volonté exprimée par les partenaires sociaux dans l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2008, a tranché cette question dans un arrêt du 23 mai 2013 en permettant le recours à une rupture conventionnelle en cas de litige entre les parties (Cass. Soc. 23 mai 2013 n° 12-13.865).

En effet, les partenaires sociaux avaient assigné pour objectif à ce qui allait devenir la rupture conventionnelle la possibilité pour l’employeur et le salarié de se séparer dans le cadre d’un processus négocié, sans passer par la procédure de licenciement, y compris lorsque cette rupture pouvait résulter d’un désaccord compromettant la poursuite du contrat de travail entre les parties.

Le processus de rupture conventionnelle étant encadré par diverses règles procédurales (entretiens, homologation, délai de rétractation, délai de contestation…), l’on peut légitimement considérer que les garanties nécessaires à un consentement éclairé sont données aux parties, permettant une rupture conventionnelle, même en cas de litige ouvert. Comme dans toute convention, le consentement doit simplement être donné librement, entraînant à défaut la nullité de la rupture. La rupture conventionnelle peut alors être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse (mais n’entraîne pas sa nullité). Cette possibilité de rupture conventionnelle en cas de conflit a entraîné un relatif emballement chez certains qui allaient jusqu’à imaginer que signer un formulaire CERFA permettait de mettre fin à tout conflit, présent ou futur, assurant une tranquillité éternelle postérieurement au départ du salarié. Las, c’était confondre convention de rupture et protocole transactionnel. Là aussi, dans la droite ligne de la jurisprudence précitée, la cour, confirmant la validité d’une convention de rupture en présence d’un différend, est venue rappeler cette évidence, il ne s’agit en revanche pas d’une transaction au sens des articles 2044 et suivants du Code civil. Ainsi, une clause de renonciation à tout recours insérée dans une convention de rupture doit être réputée non écrite, comme contraire à l’article L 1237-14 du Code du travail (Cass. Soc. 26 juin 2013 n° 12-15.208). En effet, une transaction n’est valable que si elle est conclue postérieurement à la rupture définitive du contrat de travail, et ce quel que soit le mode de rupture (Cass. soc. 29 mai 1996 n° 92-45.115).

Il eût été intéressant d’obtenir également de la Cour de cassation à cette occasion une position claire sur la possibilité de conclure une transaction après une rupture conventionnelle homologuée. Cette pratique est fréquente et rien ne paraît l’interdire, une confirmation serait toutefois éventuellement bienvenue.

Le forfait jour ne serait donc pas all-inclusive

Droit Social

Avant d’évoquer les derniers développements de la Cour de cassation sur ce sujet, rappelons brièvement ce qu’est une convention « forfait-jours ». Il s’agit d’une de ces conventions apparemment extrêmement souple et avantageuse, permettant de dégager les salariés concernés des dispositions afférentes à la durée légale hebdomadaire du travail et des durées maximales journalière et hebdomadaire du travail. Seules survivent les dispositions afférentes aux repos quotidien et hebdomadaires.

La durée de travail du salarié est décomptée chaque année par récapitulation du nombre de journées ou demi journées travaillées (dans la limite de 218 jours).

Pour mémoire, la mise en place de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l’année est subordonnée à la conclusion :

– d’un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, d’une convention ou d’un accord de branche, qui détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions ;

– d’une convention individuelle de forfait impérativement écrite (contrat ou avenant par exemple), laquelle requiert l’accord du salarié.

S’agissant plus particulièrement du forfait dont il est ici question, le « forfait annuel en jours », ne peuvent le conclure que (article L 3121-43 du Code du travail) :

– les cadres qui disposent d’une autonomie dans leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ;

– les salariés dont la durée du travail ne peut être prédéterminée.

Une fois ces conditions générales d’applicabilité légales posées et mises en place, ce système a rencontré semble t’il un succès certain, étant, au moins en apparence, très adapté au monde du travail contemporain, plus particulièrement dans les secteurs où l’activité intellectuelle est prédominante et les nouvelles technologies incontournables. Comme le soulignait alors récemment un commentateur : « la seule question est de savoir si le rapport entre les jours obligés par le forfait et la nature du travail demandé sont raisonnablement compatibles » (Bernard Boubli). Le salaire versé doit donc respecter les minimas éventuellement applicables et être adapté à la charge de travail (et vice versa). Surtout, le salarié soumis au forfait jours doit être effectivement autonome dans l’organisation de son travail. On m’avait interrogé un jour sur la possibilité de sanctionner un tel salarié pour ses fréquentes arrivées tardives sur le lieu de travail. Cela se révèle évidemment difficile (le beurre et l’argent du beurre…), les griefs envisageables se fondent plutôt sur l’assiduité (ainsi, la présence lors de réunions importantes, la présence chez un client à des moments clés…) et plus généralement sur la qualité du travail fourni. C’est dans ce cadre que doit être analysé le débat sur le « droit à la santé », sous-tendu par le nécessaire « droit au repos ». L’employeur doit en effet garantir au salarié, dans le cadre de son autonomie, notamment le respect du repos dominical (il est ainsi vivement déconseillé d’adresser à un salarié, même au forfait-jour, des e-mails d’instructions plus ou moins comminatoires un dimanche soir par exemple) et une durée raisonnable de travail.

Ce droit à la santé doit notamment être assuré par le contenu même des conventions ou accords collectifs prévoyant la possibilité de conclure des forfaits-jours. La Cour de Cassation vérifie ainsi que le texte desdits accords garantisse le respect des durées maximales de travail, ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (Cass. Soc. 29 juin 2011 n° 09-71.107 ; RJS 8-9/11 n° 696). A été ainsi validé un accord prévoyant l’établissement de documents de contrôle, le suivi régulier par le supérieur hiérarchique de l’organisation et de la durée du travail du salarié, la tenue d’un entretien annuel (CCN Métallurgie – arrêt précité).

A contrario, les juges de la Cour de Cassation ont privé de validité une convention de forfait en jour considérant que les dispositions des accords (industrie chimique) la prévoyant n’étaient pas de nature « à assurer la protection de la santé et la sécurité des salariés ». En effet, l’article 12 de l’accord chimie prévoyait uniquement que la convention individuelle de forfait « comportera des modalités de mise en œuvre et de contrôle » et que le salarié pourra prétendre une fois par an à un « entretien d’activité ». Le caractère lapidaire des dispositions conventionnelles prive d’effet la convention de forfait en jours. Il n’est toutefois pas interdit à l’employeur de mettre en place, en interne, un accord d’entreprise conforme aux exigences jurisprudentielles (modifier la seule convention individuelle de forfait serait en revanche insuffisant). La Cour de Cassation a récemment confirmé cette analyse à propos d’un accord pris en application des dispositions de la convention collective SYNTEC en ces termes : « Les dispositions de l’accord du 22 juin 1999, pris en application de la convention SYNTEC et les stipulations des accords d’entreprises applicables en l’espèce ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié et, donc, à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé. La convention de forfait en jours est alors nulle » (Cass. Soc. 24 avril 2013 n° 11-28.398).

L’air du temps est donc à une relecture d’accords toujours en vigueur, à la rédaction parfois ancienne, ces derniers pouvant se révéler infiniment moins sûrs et confortables que prévus. Si la Cour de cassation ne condamne pas le recours au forfait en jours, elle rappelle qu’il appartient aux partenaires sociaux, au niveau des entreprises, de suppléer les manques constatés dans les textes applicables.

De l’importance de la date dans le renoncement

Droit Social

La clause de non-concurrence apparaît souvent, du fond de nos cabinets, comme une source inépuisable de conflits à même d’exciter la créativité juridique du juriste. L’on pourrait en noircir des pages, mais là n’est pas l’intention de cette brève. 

En effet, s’intéressant une fois encore à cet aspect redoutable – le formalisme de la renonciation à la clause de non-concurrence – la Cour de cassation est venue préciser les conditions dans lesquelles elle doit s’opérer dans le cas particulier de la dispense de préavis postérieure un licenciement (Cass. Soc. 13 mars 2013, n° 11-21.150).

L’article L 1234-4 du Code du travail prévoit que l’inexécution du préavis n’a pas pour conséquence d’avancer la date de fin du contrat de travail (Cass. Soc. 22 juin 2011 n° 09-68.762 : RJS 10/11 n° 788). Toutefois, et pour des raisons pratiques évidentes, dans ce cadre de dispense de préavis, le salarié soumis à une clause de non-concurrence peut légitimement prétendre à la contrepartie financière de celle-ci dès la date de son départ effectif de l’entreprise (Cass. Soc. 19 juin 1991 n° 86-45.504 : RJS 7/91 n° 826 et Cass. Soc. 22 juin 2011 précité). Une telle possibilité est d’autant plus cohérente que le salarié, dispensé de son préavis, peut entamer d’ores et déjà une nouvelle carrière et être à même de violer la clause de non-concurrence conclue à l’origine entre les parties. Il est donc de l’intérêt de l’employeur que de la mettre en vigueur dès le départ effectif de l’entreprise pour protéger ses intérêts légitimes. Le salarié maintenant livré à lui-même doit donc, dans le cadre de sa recherche d’emploi, être dûment informé de sa possibilité de rejoindre – ou pas – la concurrence, dans les conditions fixées par la clause contractuelle. Aussi, si l’employeur y renonce, il doit le faire au plus tard à la date du départ effectif de l’entreprise du salarié, peu important les éventuelles dispositions conventionnelles ou contractuelles applicables à l’espèce : « l’employeur qui dispense le salarié de l’exécution de son préavis doit, s’il entend renoncer à l’exécution de la clause de non-concurrence, le faire au plus tard à la date du départ effectif de l’intéressé de l’entreprise, nonobstant stipulations ou dispositions contraires ». Passé cette date de départ effectif, le salarié a droit au paiement de la contrepartie financière de la clause si l’employeur a omis de la lever.

Comme toujours en la matière, la rigueur et la prudence s’imposent donc.

De la laïcité dans le secteur privé

Droit Social

L’affaire dite « Baby-loup », du nom de la crèche concernée, est née de la rédaction du règlement intérieur de ladite entreprise et de l’invocation de ce texte au soutien d’une mesure de licenciement pour faute grave. La salariée licenciée s’était effectivement vue reprocher par son employeur son insubordination réitérée, cette dernière ayant persisté à porter un voile islamique, nonobstant les demandes de l’employeur de l’ôter sur le lieu de travail, conformément aux dispositions du règlement intérieur évoqué.

Pour mémoire, sont expressément prohibées dans un règlement intérieur les dispositions imposant des obligations ou comportant des interdictions de caractère général, sans distinction entre les salariés selon la nature des tâches effectuées
(article L 1321-32 du Code du travail). Sont ainsi visées les clauses portant atteinte aux droits des personnes ainsi qu’aux libertés, tant individuelles que collectives. La liberté de conscience et de pensée relève en effet des libertés fondamentales qui ne peuvent faire l’objet de restriction.

Ne peuvent ainsi notamment figurer dans le règlement intérieur l’interdiction de discussions politiques ou religieuses et de toute conversation entre les salariés étrangère au service (CE 25-1-1989 n° 64296 : RJS 5/89 n° 423).

Par la décision dite « Baby-Loup », la Cour de Cassation est venue encore préciser
le périmètre des interdictions (Cass. Soc. 19 mars 2013 n° 11-28.845). Pour mémoire,
les dispositions du règlement intérieur de cette crèche imposaient au personnel une obligation générale de laïcité et de neutralité. Si les juges du fond avaient pu estimer cette obligation comme légitime au regard de l’activité de la société, ce ne fut pas
le cas de la Cour Suprême qui a donc cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel.

La Cour a ainsi rappelé que le principe de laïcité posé par la Constitution française n’est pas applicable aux employeurs de droit privé ne gérant pas un service public. La crèche, même chargée d’une mission d’intérêt général – la garde d’enfants, devait donc s’en tenir au Code du travail.

En application des articles L 1121-1, L 1133-1 et L 1321-3 du Code du travail,
les restrictions apportées à la liberté religieuse doivent être justifiées par
la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et être proportionnée au but recherché.

Par sa généralité et son imprécision, la clause du règlement intérieur de la crèche Baby-Loup contrevenait à ces règles. Sa méconnaissance ne pouvait dès lors justifier
le licenciement de la salariée. La mesure de rupture fautive devenant alors constitutive d’une discrimination en raison des convictions religieuses de l’intéressée, elle a logiquement été déclarée nulle.

La HALDE avait déjà peu ou prou exprimé les mêmes restrictions à la rédaction d’un règlement intérieur : la clause restreignant la liberté religieuse doit être rédigée le plus précisément possible, la pertinence et la proportionnalité de la restriction aux libertés
du salarié s’appréciant au cas par cas, au regard des tâches concrètes du salarié
et du contexte de l’exécution de son travail (Délibération Halde 2009-117 du 6-4-2009).

L’on peut le déplorer ou s’en réjouir, mais il semble que la Cour en soit arrivée ici
à une interprétation stricte de notre législation nationale. En effet, en l’état actuel
du droit, les principes de laïcité et de neutralité ne peuvent pas être invoqués pour restreindre la liberté de religion des salariés employés dans une entreprise n’assurant pas la gestion d’un service public.

En tout état de cause, ces questions de société sont donc tranchées par le législateur
et non par le juge, et en l’état du droit positif, il n’existe pas de norme législative en ce sens. C’est sur cet aspect que le débat, à tout le moins délicat et compliqué, semble aujourd’hui ouvert devant nos institutions.

Y a t’il une vie après la période d’essai… Si elle n’a pas été convenablement rompue ?

Droit Social

La période d’essai est une merveilleuse invention qui permet à des cocontractants de vérifier s’ils s’apprécient réellement avant de convoler en justes noces. Ainsi, à l’employeur d’évaluer les compétences du nouvel embauché durant cette période, au salarié de voir si les fonctions lui conviennent. La rupture durant ladite période dite d’essai n’entraîne en principe ni le respect de la procédure de licenciement, ni ses conséquences, et il en était ainsi depuis… 1957 (Cass. Soc. 10 octobre 1957 JCP 1958. II. 10402).

Rien n’étant jamais tout à fait simple en droit du travail, nombre de conventions collectives vinrent ajouter à la loi en instaurant un délai de prévenance, et ce afin d’éviter toute rupture brutale, ou de donner libre cours à d’éventuelles tendances au non respect des obligations en matière de loyauté contractuelle.

Ce principe d’un délai de prévenance a finalement entériné en droit positif avec la loi du 25 juin 2008. Désormais, lorsqu’il met fin à la période d’essai, l’employeur doit respecter un délai dont la durée varie de quarante-huit heures à un mois, selon le temps de présence du salarié dans l’entreprise, étant précisé que ledit délai de prévenance ne peut avoir pour effet de prolonger la période d’essai au-delà des maxima prévus (article L 1221-25 du Code du travail).

Toute règle étant un jour amenée à être violée, volontairement ou pas, que se passait-il lorsque ledit délai de prévenance n’était pas respecté par l’employeur ? S’agissait-il alors toujours d’une rupture de la période d’essai, ou bien devait-on considérer cette rupture sans respect des formes impératives comme un licenciement nécessairement abusif puisque par essence privé de motivation ?

La Cour de cassation est venue éclairer la lanterne des praticiens le 23 janvier dernier (Cass. Soc. 23 janvier 2013 FS-P+P, n° 11-23.428), en ces termes : « la rupture du contrat de travail avant l’échéance du terme de la période d’essai ne s’analyse pas en un licenciement, peu important le non-respect par l’employeur du délai de prévenance ». Ainsi, le non-respect de cette nouvelle obligation légale s’avère sans incidence sur la qualification même de la rupture du contrat de travail. Ouf.

Mais, si l’on ne bascule donc pas dans le licenciement abusif, l’employeur doit tout de même verser au salarié une indemnité compensatrice pour la partie du délai de prévenance qu’il n’a pas respectée, à hauteur du salaire correspondant. En réalité, la Cour de cassation a, de manière pragmatique, repris les solutions dégagées antérieurement pour les délais prévus par certaines conventions collectives et les a appliquées à la loi du 25 juin 2008 (Cass. Soc. 31 mai 2002 n° 00-42.098).

Bien mal acquis ne profiterait plus

Droit Social

L’interdiction du mensonge et de la dissimulation est un principe bien établi. Au surplus, notre droit positif nous enseigne notamment que « les conventions légalement formées s’exécutent de bonne foi ». Et pourtant, avec l’exercice quotidien du droit du travail, surgissent quelques surprises. Ainsi, l’on peut considérer que le mensonge par omission a longtemps été toléré dans le cadre de la protection exorbitante dont bénéficient certains titulaires de mandats extérieurs à l’entreprise.

En effet, le Code du travail protège depuis 1945 certains salariés exerçant des fonctions d’intérêt général, en subordonnant la rupture de leur contrat à une autorisation administrative préalable, délivrée par l’inspection du travail. Sont ici visés les salariés élus ou de représentants syndicaux, mais bénéficient également de telles dispositions certains salariés qui exercent un mandat extérieur à l’entreprise, et notamment les conseils ou administrateurs d’une caisse de sécurité sociale, les conseillers du salarié inscrits sur une liste dressée par l’autorité administrative et chargés d’assister les salariés convoqués par leur employeur en vue d’un licenciement et du conseiller prud’homme.

Le titulaire d’un tel mandat, bénéficiaire de la protection exorbitante du droit commun, n’est toutefois astreint à aucune obligation déclarative auprès de l’employeur, ce silence autorisé se justifiant pour le législateur par la crainte que la révélation de sa qualité ne puisse aboutir à une quelconque discrimination syndicale de l’employeur, à l’embauche comme dans l’exercice des fonctions.

Ainsi et en pratique, il n’était pas rare que l’employeur soit totalement ignorant de ce statut au moment de la mise en œuvre d’un licenciement et, en toute bonne foi, ne respecte pas la procédure impérative d’autorisation administrative préalable. La conséquence en est immédiate, si le salarié refuse sa réintégration, l’employeur peut être condamné au versement d’importantes indemnités, sans qu’il ne soit jamais reproché au salarié de s’être tu au moment de la procédure. En effet, la rupture du contrat de travail d’un salarié effectuée dans l’ignorance de l’existence d’un mandat extérieur était nécessairement nulle et ouvrait droit pour le salarié à une indemnisation pour violation du statut protecteur. Le mensonge par omission pouvait se révéler extrêmement rémunérateur (s’agissant d’un conseiller prud’homme, la Cour de cassation avait ainsi considéré que devait lui être alloué, son contrat de travail ayant été illégalement rompu, le montant de la rémunération qu’il aurait du percevoir entre son éviction et l’expiration de la période de protection, dans la limite de la durée de la protection accordée aux représentants du personnel et, d’autre part, non seulement les indemnités de rupture, mais une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l’article L 1235-4 du Code du travail – Cass. Soc. 12 juin 2001 n° 99-41.695).

Evidemment, cette interprétation des textes était extrêmement critiquée, ses effets pervers étant indiscutables.

Par une première décision du 16 février 2011 (n° 10-10.592), la Cour de cassation a d’abord atténué les potentiels effets pervers de cette jurisprudence en tenant compte de l’éventuel manque de loyauté du salarié. Si ce dernier n’avait ainsi pas informé l’employeur de son mandat lors de la mise en œuvre de la procédure de licenciement, ce comportement était à même d’avoir une incidence sur le montant de l’indemnité pour violation du statut protecteur.

Cette première évolution jurisprudentielle s’est poursuivie devant le Conseil constitutionnel, à l’occasion d’une QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) transmise par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Les Sages ont jugé les articles du code du travail concernés « conformes à la Constitution », mais les ont assortis d’une importante réserve : les intéressés ne peuvent pas se prévaloir de la protection s’ils n’ont pas informé l’employeur de la détention d’un mandat attaché, au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement.

Poursuivant dans cette logique, la Cour de cassation, le 14 septembre 2012 (n° 11-28.269), a finalement posé les conditions suivantes. Le salarié ne peut désormais se prévaloir de cette protection que si :

_ Il a informé l’employeur de l’existence de son mandat au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement, ou au plus tard avant la notification de l’acte de rupture s’il ne s’agit pas d’une rupture nécessitant un entretien préalable ;

_ Ou s’il rapporte la preuve de ce que l’employeur en avait connaissance.

Après de nombreuses années sans se prononcer sur cette question (n’en ayant semble t’il pas été clairement saisie !), la Cour de cassation, sous l’impulsion du Conseil constitutionnel, a fini par reconnaître ce qui pourrait sembler relever de l’évidence : la fraude peut priver son bénéficiaire d’un droit, et le manquement à l’obligation de loyauté ne saurait rester sans conséquence. L’on ne peut voir dans cette décision qu’un indiscutable progrès, tant sur le plan juridique (la fraude corrompt tout) que, peut-être, sur le plan moral.