Boire ou travailler

Droit Social

Bientôt les fêtes de fin d’année, le moment est donc idéal pour rappeler les règles de base fixées par le Code du travail et la jurisprudence quant à la consommation de produits dit « festifs » sur le lieu de travail.

Tout d’abord, un principe essentiel doit être rappelé : de l’eau potable et fraîche doit être mise à la disposition des salariés. Ce n’est certes pas très festif, mais c’est la loi.

Une boisson non alcoolisée doit également être distribuée gratuitement dans le cas où les salariés sont soumis à des conditions de travail les amenant à se désaltérer fréquemment (la liste des postes concernés par cette mesure est établie par l’employeur, après avis du médecin du travail et du CHSCT ou, à défaut, des DP).

Par ailleurs, les conventions ou accords collectifs de travail, ou les contrats de travail, ne peuvent prévoir l’attribution de boissons alcoolisées au titre d’avantages en nature, sauf s’il s’agit de boissons servies à l’occasion de repas constituant déjà un tel avantage (C. trav. art. R 3231-16).

A la question du contrôle du salarié, la jurisprudence a apporté les réponses suivantes : la soumission à l’éthylotest du salarié par l’employeur se justifie si les modalités de ce contrôle en permettent la contestation et si, en raison de ses fonctions, l’état d’ébriété du salarié est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger (Cass. soc. 22-5-2002 n° 99-45.878 : RJS 11/02 n° 1233 ; 24-2-2004 n° 01-47.000 : RJS 5/04 n° 535).

Ainsi, pas plus que sur l’autoroute, l’employeur ne doit laisser entrer ou séjourner dans l’établissement des personnes en état d’ivresse.

Une fois posé ce principe, on note toutefois que le vin, la bière, le cidre et le poiré sont autorisés sur le lieu de travail, boissons qui sont pourtant à même de permettre à tout un chacun de se trouver justement en « état d’ivresse ».

L’introduction de certaines boissons alcoolisées dans l’entreprise est donc possible, le règlement intérieur pouvant toutefois en limiter la consommation, mais seulement si des impératifs de sécurité le justifient. Il ne peut ainsi, exceptionnellement, prévoir une interdiction générale que si elle est fondée par l’existence d’une situation particulière de danger ou de risque (CE 12-11-2012 n° 349365 : RJS 2/13 n° 118 – j’imagine que l’on pense plus ici aux centrales nucléaires qu’aux employés de bureau).

Il existe donc dans le droit positif une relative tolérance, que l’on pourrait presque qualifier de bienveillance, vis-à-vis des boissons alcoolisées (la culture locale y étant sans doute pour beaucoup, et je n’ai pas parlé de lobbying), en revanche, force est de constater que la règle est beaucoup moins souple s’agissant des stupéfiants.

Ainsi, dans un arrêt récent, la Cour d’appel d’Aix en Provence (qui n’est toutefois quand même pas la Cour de cassation) a considéré que le fait de consommer des substances stupéfiantes sur le lieu de travail, en violation du règlement intérieur de l’entreprise et des dispositions du Code pénal, est d’une gravité telle qu’il justifie un licenciement immédiat (CA Aix-en-Provence 10 mai 2013 n° 11/16117, 9e ch. c., Sté Optical center c/ C.).

En l’espèce, un salarié s’était absenté de la boutique dans laquelle il travaillait et s’était isolé dans l’atelier adjacent pour fumer du cannabis. Alerté par l’odeur, qui éveillait au surplus la curiosité des clients, un de ses collègues le surprend et témoigne des faits auprès de son employeur. Le salarié fumeur, mis à pied à titre conservatoire puis licencié pour faute grave, a contesté la légitimité de ce licenciement (si j’ose dire, il ne manque pas d’air).

La question qui était posée ici ne concernait pas la matérialité des faits (le salarié ne contestait pas avoir fumé du cannabis), mais leur qualification : quel était le degré de gravité de la faute commise ?

Les juges commencent par rappeler l’évidence : le fait de consommer des stupéfiants constitue une infraction au Code pénal. Il est donc pour le moins cohérent de la part d’un employeur que de ne pas tolérer au sein de l’entreprise qu’un salarié adopte un comportement pénalement répréhensible.

Au surplus, en l’espèce, l’employeur pouvait se prévaloir des dispositions du règlement intérieur de son entreprise, qui à la fois prohibait l’introduction de stupéfiants dans l’enceinte de l’entreprise mais également interdisait de fumer dans les locaux.

En violant ces interdictions légitimes et proportionnées, le salarié avait objectivement commis une faute grave justifiant son licenciement immédiat. C’est en tout ce qu’a décidé la cour d’appel d’Aix-en-Provence, rejoignant ainsi à la position de la Cour de cassation (Cass. soc.1er juillet 2008 n° 07-40.053).

Cette possible immixtion de l’employeur dans les comportements à risque de ses employés connaît une limite. Si les juges admettent la légitimité d’un licenciement disciplinaire prononcé à l’encontre d’un salarié qui consomme de la drogue pendant le temps et au lieu du travail, il n’en va pas de même lorsque les faits relèvent de la vie privée du salarié. Ainsi, un salarié qui fume du cannabis en dehors du temps et du lieu de travail ne manque pas aux obligations découlant de son contrat de travail, et ne peut pas être licencié pour cela (CA Paris 11 septembre 2012 n° 10/09919).

Joies du droit et de son étude, je ne saurais toutefois clôturer cette note sans faire état d’une exception à ce dernier principe : même si la drogue est consommée dans le cadre de la vie privée, le salarié commet une faute s’il travaille ensuite sous l’influence de produits stupéfiants et met ainsi sa sécurité ou celle de tiers en danger (Cass. soc. 27 mars 2012 n° 10-19.915).

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