Le harcèlement sexuel n’a pas de genre

Droit Social

On n’est jamais à l’abri de surprises à la lecture de la jurisprudence sociale. Voilà que la Cour de cassation reconnaît la « banalité du mal » (cf. Hannah Arendt), et même son universalité (pas seulement la banalité du mâle donc) en constatant que l’auteur et la victime de harcèlement sexuel peuvent être de même sexe (Cass. soc. 3-3-2021 n° 19-18.110 F-D).

Ce n’est pas le seul intérêt de cette décision, mais il n’est parfois pas inutile que de marteler les évidences.

En l’espèce, une hôtesse de caisse « Chef de Groupe » estimant avoir été victime d’agissements relevant du harcèlement sexuel de la part de sa supérieure hiérarchique, saisit le Conseil de prud’hommes pour obtenir la résiliation de son contrat de travail aux torts et griefs de son employeur, et une indemnisation complémentaire pour le préjudice subi.

En appel, elle obtient la condamnation de l’employeur au paiement de dommages-intérêts pour le seul harcèlement sexuel. Insatisfaite, elle saisit la Cour de cassation pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail produisant les effets d’un licenciement nul. L’employeur forme de son côté un pourvoi incident contestant sa condamnation à ces dommages-intérêts.

S’agissant tout d’abord de la question du harcèlement sexuel, l’employeur réaffirme qu’il n’y a vu goutte, en raison de la « familiarité réciproque affichée » entre les deux salariées et même de leur « relation ambiguë ».

Il semble que la Cour de cassation soit d’ailleurs assez vigilante sur la problématique de « l’ambiguïté », questionnant la victime alléguée sur son comportement et ce en quoi sa propre attitude pourrait disqualifier ses accusations (rassurons le lecteur, il ne s’agit pas de reprocher à la victime de harcèlement de porter une jupe trop courte – Cass. soc. 25-9-2019 no 17-31.171 F-D).

Point d’ambiguïté ici puisque les faits conservent indéniablement la qualification de harcèlement sexuel caractérisé : non seulement la salariée a été destinataire de centaines de SMS à connotation sexuelle de la part de sa supérieure (mais quand travaillait-elle celle-là ?), mais également d’insultes et de menaces pour obtenir à un passage à l’acte. De son côté, la salariée avait sollicité à plusieurs reprises de sa supérieure qu’elle mette fin à ses agissements.

Sur le fond, rien de bien nouveau, si ce n’est que c’est effectivement la première fois que la Cour de cassation confirme l’existence d’une situation de harcèlement sexuel entre deux personnes du même sexe.

Pour le reste, la fin de l’histoire n’est pas totalement satisfaisante pour la victime qui espérait obtenir la résiliation judicaire de son contrat de travail sur les mêmes motifs.

Sur cette question, la salariée a eu un peu de retard à l’allumage et ce d’autant que l’employeur avait de son côté fait preuve d’une indiscutable réactivité. En effet, informé au mois de novembre 2014 des faits de harcèlement sexuel subis par la salariée, il a licencié la supérieure hiérarchique pour faute grave dès le 18 décembre 2014. Ce n’est que cinq mois plus tard que la salariée victime de harcèlement a finalement saisi le juge prud’homal d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail, considérant que la gravité des faits qu’elle avait subis justifiait la rupture aux torts de l’employeur.

Evidemment et heureusement, cette célérité a été justement saluée et les juges de première instance comme la Cour de cassation se sont fait fort de rappeler qu’un salarié doit être débouté de sa demande de résiliation judiciaire du contrat si, au jour du jugement, l’employeur a fait cesser la situation dont il se plaint. Il reste loisible de lui faire grief de n’avoir su empêcher les évènements et ainsi obtenir des dommages et intérêts, mais la résiliation judiciaire est impossible si une fois dûment informé, l’employeur a pris les mesures nécessaires pour mettre fin au trouble.

Sébastien Bourdon

Illustration « Passion » (Brian De Palma)

Le télétravail peut-il être un libre choix du salarié

Droit Social

La Cour de cassation a récemment rendu une décision discrète mais éclairante sur la prise en charge des frais afférents au télétravail.

Cette question étant pour le moins sous les feux de l’actualité récente, pandémie oblige, il était probablement pertinent de la décortiquer un peu (Chambre sociale, 17 février 2021, 19-13.783 ; 19-13-855).

En l’espèce, et entre autres demandes, le salarié concerné avait sollicité de son employeur le remboursement de divers frais exposés par ses soins dans le cadre du télétravail. Sur le principe, on ne voit pas bien ce qui aurait bien pu justifier qu’on le lui refuse, à un détail près, et pas des moindres.

En effet, précurseur d’un mode d’organisation du travail devenu banal depuis le mois de mars 2020, cet employé avait décidé de lui-même de se mettre en télétravail, sans l’aval de son employeur.

Or, et pour mémoire, le télétravail peut être mis en place dans l’entreprise à deux conditions, non-cumulatives :

  • dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique (CSE), s’il existe.
  • en l’absence de charte ou d’accord collectif, le salarié et l’employeur doivent formaliser par tout moyen leur accord de recourir au télétravail.

Ainsi, alors qu’aucune de ces deux conditions n’était remplie, le salarié saisit la juridiction prud’homale afin de se faire rembourser les frais exposés dans le cadre du travail effectué à son domicile.

Il invoque à cette fin les articles L. 1222-9 et suivants du Code du travail, mettant à la charge de l’employeur tous les coûts découlant directement du télétravail, indépendamment de la question de savoir qui est à l’origine de la décision d’y recourir, dès lors qu’il est établi que la prestation assurée par le télétravailleur l’est au profit de l’employeur (l’abonnement NETFLIX n’est pas inclus dans ce package, faut-il le rappeler).

Cette analyse il est vrai discutable n’avait pas été retenue par la Cour d’appel, qui avait fait ressortir qu’il n’existait aucun accord entre le salarié et l’employeur sur le recours au télétravail. En considération de ces éléments, la Cour de cassation a logiquement confirmé que le salarié ne pouvait se prévaloir de la législation relative au télétravail et donc obtenir un quelconque remboursement.

C’est donc une situation très particulière qui est ici tranchée, celle d’un salarié qui, tout seul, décide un beau matin qu’il n’ira plus au bureau et qu’il travaillera de son canapé, aux frais de celui qui l’emploie. C’était faire peu de cas du lien de subordination, ce qui lui a été ici rappelé.

S’agissant des périodes de pandémie – on ne sait jamais, ça pourrait encore durer ou se reproduire – le législateur s’est plutôt penché sur la question de pouvoir l’imposer sans plus de façons au salarié. Ainsi, le risque épidémique peut justifier le recours au télétravail sans son accord et sa mise en œuvre dans ce cadre ne nécessite aucun formalisme particulier. L’employeur peut donc mettre en place le télétravail sans accord ou charte, et ne consulter le CSE – pour peu qu’il y en ait un – qu’après la mise en œuvre de sa décision, à condition de l’en informer sans délai.

Sébastien Bourdon

Illustration : sms de la compagne du rédacteur

 

Manger en télétravaillant: quid du ticket-restaurant ?

Droit Social

Ces derniers temps, on pourrait avoir la vague sensation d’une jurisprudence qui ronronne, comme tétanisée par la crise sanitaire. Toutefois, effet induit de la même situation, la question du sort des travailleurs enfermés chez eux commence à un peu à agiter la vie pas forcément poussiéreuse des tribunaux.

Ainsi, s’il est bien une question essentielle – car oui le salarié est un être humain comme les autres – c’est celle de la nourriture, de la possibilité de se sustenter à la « pause dèj ».

Pour cela, le monde du travail a inventé un truc formidable : le ticket-restaurant. Et comme souvent dans la vie, ce que l’on a, on croit que c’est pour toujours, il s’avère que ce n’est pas si simple comme a pu le trancher récemment le Tribunal judiciaire de Nanterre (TJ Nanterre 10-3-2021 n° 20/09616, Fédération des syndicats des services activités diverses tertiaires et connexes (Unsa FESSAD) c/ Association de moyens assurance de personnes).

En l’espèce, l’UES Malakoff Humanis avait placé l’essentiel de ses salariés en télétravail à compter du 17 mars 2020 – pour mémoire, si on me lit dans encore dans 100 ans : en raison de l’état d’urgence sanitaire lié à l’épidémie de Covid-19 – et n’attribuait plus de titres-restaurant dans ce cadre.

Estimant que les salariés des sociétés composant l’UES qui n’ont pas accès à un restaurant d’entreprise ou interentreprises placés en télétravail doivent bénéficier des titres-restaurant, pour chaque jour travaillé au cours duquel un repas est compris dans leur horaire de travail journalier, une fédération syndicale saisit le tribunal judiciaire afin d’obtenir la régularisation de leurs droits depuis le 17 mars 2020.

Il est vrai que cela peut sembler un peu surprenant (et guère généreux) que de décider de cette suppression alors que par essence, chez soi, on n’a pas accès à un restaurant d’entreprise, et encore moins dans le cadre de restrictions strictes de sortie.

Rappelons ici les règles qui gouvernent l’attribution de ces fameux tickets :

Tout d’abord et c’est l’évidence, les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise. Il s’agit d’une règle d’ordre public notamment rappelée dans le Code du travail à l’article L 1222-9.

Ensuite, le ticket-restaurant n’est pas un droit mais, selon le ministère du travail, un avantage consenti par l’employeur qui ne résulte d’aucune obligation légale et son attribution est possible si, et seulement si, en application de l’article R 3262-7 du Code du travail, le repas du salarié est compris dans son horaire de travail journalier.

Dans ce cadre, et en application du principe d’égalité de traitement entre salariés rappelé ci-dessus, dès lors que les salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise bénéficient de titres-restaurant, les télétravailleurs doivent également en recevoir si leurs conditions de travail sont équivalentes (QR min. trav. 9-3-2021).

Ce qui nous amène petit à petit au domicile des travailleurs, puisque c’est plutôt là qu’on les trouve.

Dans son jugement du 10 mars 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre tranche en défaveur de ces forçats à domicile et considère que le télétravailleur n’étant pas dans une situation comparable à celle des salariés travaillant sur site sans accès à un restaurant d’entreprise, il ne peut prétendre à l’attribution de titres-restaurant.

Il est intéressant de reprendre le raisonnement suivi par la juridiction tant la solution dégagée semble un peu déconcertante :

Tout d’abord, le tribunal rappelle, comme le ministère du travail, que le titre-restaurant est un avantage consenti par l’employeur qui ne résulte d’aucune obligation légale. La loi ne définit donc pas ses conditions d’attribution, si ce n’est que le repas pris en charge doit être compris dans l’horaire de travail journalier.

Il ajoute ensuite que si titres-restaurants il y a, c’est pour permettre aux salariés de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile. Les mots ayant un sens, le tribunal affirme alors qu’un salarié en télétravail peut par essence se sustenter chez lui (une vérité de La Palice) et ne serait donc pas exposé à un « surcoût ».

Il n’empêche que cette assertion est surprenante : coincé chez lui sur ordre de l’employeur (ce dernier obéissant aux injonctions étatiques en ce sens), le salarié va forcément exposer quelques-uns de ses propres deniers pour se nourrir à l’heure du déjeuner, dans le strict cadre de son horaire de travail journalier.

Le tribunal a-t-il alors vraiment tenu compte des nécessaires critères objectifs gouvernant l’attribution d’un avantage au salarié quand ce dernier ne repose sur aucune obligation légale ?

Il n’est pas interdit d’en douter et l’on verra comment tranchera la Cour d’appel de Versailles, cette dernière ayant d’ores et déjà été saisie.

Sébastien Bourdon

Illustration : Franquin

La rupture vexatoire et ses conséquences

Droit Social

Ce n’est pas parce qu’on se débarrasse de quelqu’un que l’on doit en plus être désagréable ! Si graves soient les agissements du salarié que l’on licencie, la jurisprudence n’autorise pas à l’employeur de plus amples débordements verbaux ou écrits.

Les règles du savoir-vivre élémentaire doivent continuer à s’imposer sans quoi le salarié vertement sorti, même pour faute grave, peut prétendre judiciairement à la réparation du préjudice particulier ainsi subi.

Dans l’arrêt de cassation dont il est ici question (Cass. soc. 16-12-2020 n° 18-23.966 F-PBI, P. c/ Sté Altercafé), le salarié faisait grief à son ex employeur d’avoir publiquement allégué qu’il serait un drogué et un voleur. Il est vrai que de telles accusations ne sont pas de nature à apaiser le conflit, ni même et surtout à faciliter la recherche d’emploi pour celui qui, justement, vient de le perdre.

La Cour d’appel n’y avait pas vu malice, raisonnement que la Cour de cassation n’a pas suivi, considérant que le salarié avait bien subi un traitement anormal, en sus de la rupture de son contrat de travail.

Pour mémoire, cette sanction pécuniaire complémentaire s’applique même en cas de faute grave, ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt du 16 décembre 2020.

En ces temps où les salariés voient leurs demandes plafonnées par le désormais fameux barème prud’homal, il n’est pas anodin de rappeler que l’indemnisation allouée en réparation d’un licenciement vexatoire ou brutal est cumulable avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. En effet, il s’agit là d’une demande indemnitaire basée sur un autre fondement, elle n’a pas pour objet de réparer le préjudice lié à la perte d’emploi.

C’est probablement pour cela que l’on voit fleurir sur les requêtes de saisine prud’homale de si nombreuses demandes indemnitaires sur ce fondement, permettant de court-circuiter au moins un peu le plafond légal lié à l’ancienneté.

 

Sébastien Bourdon

Illustration : « L’avare » (Jean Girault – Louis de Funès)

La vie sentimentale et ses conséquences en entreprise

Droit Social

En ces temps plus ou moins confinés, télétravail oblige, la frontière entre le boulot et la vie privée devient nécessairement de plus en plus ténue. Intéressons-nous un peu, à ce qu’il en est des sentiments amoureux et dans quelle mesure l’employeur aurait un droit de regard dessus (car, du lieu comme des circonstances, Cupidon par ailleurs se fout, comme chacun sait).

En l’espèce, la Cour de cassation a eu à trancher l’épineuse question du rattachement à la vie professionnelle du comportement d’un amoureux éconduit (Cass. soc. 16-12-2020 n° 19-14.665 F-D, Sté Banque populaire c/ X).

En l’espèce, un salarié avait entretenu pendant plusieurs mois une relation amoureuse avec une de ses collègues de travail. Nous relèverons ici la pudeur avec laquelle les juges ont qualifié cette idylle, ayant considéré qu’elle était faite « de ruptures et de sollicitations réciproques » (fuis l’amour, il te suit, suis l’amour, il te fuit).

Comme le chantait Michel Jonasz, « y a rien qui dure toujours », cette affaire sentimentale un beau jour s’est achevée, semble-t-il sur un mode consensuel. Mais le salarié se révèle encore épris et, jaloux, pose une balise GPS sur le véhicule personnel de son ex-compagne. Il ne se contente d’ailleurs pas de seulement surveiller ses déplacements, mais lui adresse également des messages à caractère personnel à partir de sa messagerie professionnelle.

Le garçon soupçonne en effet l’impétrante d’avoir noué une relation amoureuse avec un autre salarié de l’entreprise. L’employeur, alerté de ces agissements, mène une enquête à l’issue de laquelle il engage une procédure de licenciement à l’encontre du salarié.

De quoi se mêle-t-il ? Il part du principe qu’il s’agit d’un harcèlement dans un cadre professionnel, se place alors sur le terrain disciplinaire et licencie l’employé pour faute grave. A contrario, l’évincé de l’entreprise (et de la vie de celle dont il est épris) considère que son employeur a outrepassé ses pouvoirs dans la mesure où les faits relèvent de sa vie privée (et donc ne peuvent justifier son licenciement, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, sauf à ce qu’ils se rattachent à la vie professionnelle du salarié).

La cour d’appel saisie du litige n’avait pas contesté la matérialité des faits, mais avait considéré qu’ils étaient exclusivement liés aux relations privées nouées par les deux salariés. Partant de là, ils ne constituaient pas une faute pouvant être sanctionnée par l’employeur. L’employeur, condamné à verser au salarié plus de 30 000 € d’indemnités de rupture, près de 4 500 € de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et 60 000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, s’est pourvu en cassation.

Mal lui en a pris, la Cour de cassation ne bouge pas d’un iota et reprend le raisonnement suivi par les juges du fond.

En premier lieu, elle estime que les faits reprochés au salarié ne constituaient pas un harcèlement moral. Elle relève ensuite que la balise avait été posée sur le véhicule personnel de la salariée et que les envois de messages au moyen de l’outil professionnel s’étaient limités à deux, sans que les faits n’aient eu de surcroît aucun retentissement au sein de l’agence ou sur la carrière de l’intéressée (éléments semble-t-il essentiels pour faire le distinguo vie personnelle/professionnelle).

Par conséquent, les faits relevaient de la vie privée du salarié, et échappaient au pouvoir disciplinaire de l’employeur. Le licenciement est jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse.

A l’instar de la Cour de cassation – saisie ici d’une question afférente au droit du travail – il ne nous appartient pas de trancher sur le caractère blâmable du comportement même de ce garçon, éventuellement pénalement et civilement condamnable. Tout juste pourrait-on citer Lacan : « L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ».

Sébastien Bourdon

Le défaut de protection fautif

Droit Social

Cet arrêt de Cassation date un peu (Cass. soc. 23-10-2019 n° 18-14.260 F-D, D c/ Sté Airbus), mais les faits de l’espèce sont croustillants, et puis un éclairage sur ce qui peut fonder une faute grave est toujours bienvenu.

Pour mémoire ou rappel, en application de l’article L 4121-1 du Code du travail, l’employeur est tenu d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Cette obligation concerne chaque travailleur auquel il appartient de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail.

La jurisprudence a étendu cette obligation en une obligation de résultat, et vise toute atteinte à la santé, physique comme morale. La Haute Juridiction juge ainsi qu’un management par la peur peut constituer un manquement de l’employeur à son obligation de prévention (Cass. soc. 6-12-2017 no 16-10.885 FS : RJS 3/17 no 194).

S’inscrivant dans ce cadre, la Cour de Cassation a donc rappelé qu’un manager organisant une activité de « team building » ne peut s’exonérer du respect de la santé et de la sécurité de ses collaborateurs.

De quels excès ce cadre dynamique a-t-il bien pu se rendre coupable pour qu’il finisse ce week-end intégration par son licenciement pour faute grave ? Pris par l’enthousiasme, il n’a pas interrompu une épreuve alors que la santé d’un des « candidats » était menacée.

Ce garçon était en charge de l’équipe « Programme Management Solutions » et avait organisé pour son équipe un « team booster » dont la dernière épreuve consistait à casser tour à tour une bouteille en verre enroulée dans une serviette à l’aide d’un marteau, à déposer le verre brisé sur un morceau de tissu étendu au sol et à faire dessus, nu pieds, quelques entrechats gracieux (sur ce dernier point, j’extrapole un peu).

Un collaborateur, ne se sentant aucune vocation de fakir devant cette épreuve qui tenait littéralement du supplice hindou, est alors sorti en larmes. A son retour, il s’est justifié de son refus – comme si cela était nécessaire ! – par le fait qu’il était porteur d’une pathologie pouvant entraîner des risques d’infection pour les participants.

Averti de cette ténébreuse affaire par la médecine du travail et les ressources humaines, l’employeur a licencié le manager pour faute grave.

Le manager conteste alors la sanction devant la juridiction prud’homale, et jusqu’à la Cour de Cassation, en affirmant que l’employeur qui exige d’un salarié qu’il supervise une activité à risques ne peut lui reprocher la réalisation de ce risque dans le cadre de cette activité organisée dans les conditions qu’il a imposées.

L’arrêt n’a pas été publié, aussi l’on ignore si marcher sur du verre pilé relève d’une initiative du manager ou du prestataire chargé d’organiser ce week-end d’intégration.

Mais la question n’est pas là et la cour d’appel considère que le salarié n’y coupera pas : la faute avait consisté à ne pas intervenir durant le stage pour préserver l’intégrité physique et psychique de ses collaborateurs, en méconnaissance de ses obligations en matière de santé et de sécurité, lesquelles figuraient dans le règlement intérieur. La Cour de cassation confirme l’analyse des juges du fond.

Finalement, qu’importe l’organisateur de l’épreuve, c’est à celui qui l’encadre que de prendre soin des participants. Et ça aussi, c’est du « team building ».

Sébastien Bourdon

La preuve au pied du mur

Droit Social

Le temps passé sur les réseaux sociaux par tout un à chacun ne peut être qu’exponentiel, surtout après que nous ayons été tous enfermés et dans la perspective probable de l’être à nouveau, plus ou moins (même si les heures ouvrables de bureau semblent pour l’instant préservées).

Le salarié, qu’il soit télétravailleur ou confiné, privé de conversation à côté de la machine à café, ne dispose alors plus que de l’échange virtuel avec les collègues, et ça tombe bien, le 21ème siècle a été prolixe en médias dédiés, dont l’incontournable Facebook.

Si à notre connaissance, aucun employeur ne s’est fait jamais prendre en ayant posé des micros dans la salle de pause, la question de la preuve de l’éventuelle intention de nuire du salarié se pose fréquemment dans le cadre virtuel.

Le droit à la preuve est un principe consacré par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, permettant ainsi l’atteinte à la vie privée pour peu qu’elle soit justifiée par l’exigence de protection des droits de la défense, et à certaines conditions.

La Cour de cassation a fait application dudit principe dans un arrêt du 30 septembre dernier (Cass. soc. 30-9-2020 n° 19-12.058 PBRI).

En l’espèce, l’employeur reprochait à une salariée d’avoir divulgué des informations confidentielles afférentes à l’entreprise sur Facebook.

Cette affaire est d’autant plus intéressante que c’est sur son propre « mur », en principe accessible uniquement à ses « amis » (au sens où on l’entend sur Facebook), que la salariée avait posté une photographie d’une nouvelle collection « fashion » qui avait été à ce stade présentée uniquement aux commerciaux de la société .

Informé de cette publication, l’employeur a licencié la salariée pour faute grave, lui reprochant un manquement à son obligation contractuelle de confidentialité, d’autant plus grave que ce mur était accessible à des personnes travaillant pour des entreprises concurrentes.

Si la salariée n’a pas nié les faits, elle a basé sa contestation sur le mode de preuve, arguant de ce que l’employeur avait abusivement accédé à sa page Facebook.

La Cour de cassation rappelle tout d’abord qu’en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, l’employeur ne peut pas avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve.

Comment donc l’employeur s’était-il fourni ces clichés ? Des captures d’écran de la publication litigieuse avait été spontanément communiquées à l’employeur par une autre salariée de l’entreprise, elle-même « amie » de la coupable.

La Haute Juridiction confirme alors la position retenue de la cour d’appel de Paris, réaffirmant que ce procédé d’obtention de preuve n’était pas déloyal.

Mais est tout de même ainsi caractérisée une atteinte à la vie privée de la salariée.

En principe, l’employeur ne devrait donc pas être admis à s’en prévaloir comme élément de preuve d’une faute qu’il entendrait sanctionner. La Cour de cassation invoque alors le droit à la preuve de l’employeur.

Il résulte en effet des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit, et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. Après avoir énoncé ce principe, la Cour de cassation réaffirme que la production par l’employeur d’éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée était :

  • indispensable à l’exercice du droit à la preuve d’une part, car l’employeur ne disposait que de ces éléments pour établir le grief allégué dans la lettre de licenciement ;
  • proportionnée au but poursuivi, à savoir ici la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires.

Si l’on résume, le recours à de telles preuves ne peut se faire qu’en l’absence de toute autre moyen au soutien de sa démonstration et en n’ayant pas recours à un quelconque stratagème machiavélique pour y parvenir.

Gageons que cette jurisprudence connaîtra dans un proche futur de nouveaux développements.

Sébastien Bourdon

Mâle cassation

Droit Social

Il arrive que bon an mal an de légitimes et nécessaires évolutions sociétales fassent leur chemin, pour être finalement entérinées devant les tribunaux.

Ce dont il est ici question semble ainsi relever de l’évidence et pourtant la Cour de cassation a jugé utile de le rappeler : adopter un comportement sexiste et dégradant sur le lieu de travail, ou à l’occasion du travail, constitue une faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat de travail (Cass. soc. 27-5-2020 n° 18-21.877 F-D, Sté Octapharma c/ F). 

En principe, dans le cadre de son contrôle de la faute grave, la Cour de cassation se limite à éventuellement censurer les erreurs manifestes des juges du fond dans leur qualification des faits fautifs. Si l’on résume, ce qui relève de la faute, ou ce qui s’en détache.

C’est ainsi que, sans grande surprise, la Cour de cassation a considéré par exemple que le racisme ou l’antisémitisme ne pouvaient être qualifiés de faute simple, mais nécessairement de faute grave, donc incompatible avec le maintien du salarié dans l’entreprise (Cass. soc. 5-12-2018 no 17-14.594 F-D pour des propos racistes ; Cass. soc. 2-6-2004 no 03-45.269 FS-PBRI pour des insultes antisémites ; Cass. soc. 19-1-2010 no 08-42.260 F-D en cas d’atteinte à la dignité d’un autre salarié).,

L’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 27 mai dernier fournit une nouvelle illustration de la manière dont ce contrôle est exercé.

Venons-en d’abord aux faits, c’est plus imagé : un agent de fabrication employé par un laboratoire pharmaceutique était notamment accusé d’avoir tenu des propos dégradants et humiliants à connotation sexuelle et ouvertement sexiste à l’encontre de l’une de ses collègues et en présence d’autres salariés. Il se serait notamment publiquement adressé à elle en ces termes (choisis) : « tu sais que jai envie de te casser le cul ».

La lettre de licenciement n’évoquait pas le harcèlement sexuel à proprement parler (et même à parler salement), mais l’employeur considérait néanmoins que le comportement du salarié était suffisamment grave pour justifier son licenciement immédiat (on est en droit de considérer tout de même que les propos tenus par l’impétrant allaient un peu au-delà du sexisme).

Rappelons ici que le harcèlement sexuel est jugé de manière constante comme constitutif d’une faute grave (Cass. soc. 24-10-2012 no 11-20.085 F-D).

C’est d’autant plus étonnant de n’avoir pas retenu cette qualification que le salarié était coutumier du fait, comme rappelé dans le corps de la missive de rupture : deux ans plus tôt, l’intéressé avait baissé ses sous-vêtements pour faire mine de montrer ses parties génitales à la même collègue (décidément privilégiée) ou bien avait traité de « gouine » une autre collègue qui s’était refusée à lui.

Pourtant la Cour d’appel, sans nier la matérialité des faits reprochés, écarte la faute grave et juge le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse au motif que l’intéressé justifie de deux circonstances atténuantes : il a près de sept ans d’ancienneté et ne présente aucun antécédent disciplinaire.

Ce raisonnement n’est heureusement pas suivi par la Cour de cassation, qui censure la décision des juges du fond pour violation de la loi, en rappelant que le fait d’adopter un comportement sexiste et de tenir des propos dégradants à l’encontre d’une collègue est constitutif d’une faute grave.

Terminons par une illustration gastronomique du même raisonnement : la Cour d’appel de Paris a considéré justifié le licenciement d’un supérieur hiérarchique qui faisait régulièrement des allusions sexuelles à ses collègues, notamment en offrant des pâtes en forme… de pénis (CA Paris 29 mars 2018, n° 16/02751).

Sébastien Bourdon

Des nouvelles du procès

Droit Social

Le déconfinement à peine entamé, nous autres avocats plaidants, nous avons commencé à nous enquérir du sort de nos dossiers auprès des greffes jusqu’alors bien silencieux.

Alors que de mon côté, j’attendais notamment une date de renvoi dans un référé, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir que dans cette affaire, une ordonnance avait été rendue durant le confinement. La demanderesse (j’étais défendeur) s’était vue déboutée de ses demandes, sans audience ni convocation, et sans même avoir pris connaissance de nos écritures et pièces, ces dernières devant être en principe remise le jour de la convocation, à l’issue de la plaidoirie qui n’avait donc jamais eu lieu.

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, le Conseil de prud’hommes a tranché dans notre sens, sans peut-être même savoir ce qu’on en pensait !

Dans notre chronique précédente, rédigée pendant le confinement, nous appelions de nos vœux l’avènement de la cyberjustice afin de limiter les déplacements superfétatoires, à tout le moins pour les affaires simples et courantes, mais en tout état de cause certainement pas sans ministère d’avocat (au moins derrière un écran !).

Il semble que la pandémie ait permis d’aller plus vite en besogne, puisque il fut possible de juger (certes uniquement en référé), sans entendre les parties. Est ainsi rappelé dans le corps de la décision l’article 9 de l’ordonnance du 25 mars 2020 autorisant la formation de référés à rejeter la demande avant l’audience, par ordonnance non contradictoire, s’il n’y a pas lieu à référé – comprendre ici que les magistrats peuvent décider seuls, sans écouter les arguments des uns et des autres.

Cette tendance à court-circuiter les représentants des parties s’illustre également devant certaines juridictions qui proposent d’ores et déjà de se passer de la plaidoirie, avec un argument de poids : si vous souhaitez plaider, ce sera renvoyé aux calendes grecques.

A l’heure où l’on envisage de réformer les cours d’assises pour se passer de jurés et où des confrères avocats se vantent de pouvoir déterminer par le big data si vous allez gagner ou perdre votre procès, ces phénomènes cumulés inquiètent.

Il est évident que la disparition des avocats émeut moins que celle des pandas – pourtant également vêtus de noir et blanc – mais il n’est pas interdit à l’électeur de s’interroger sur la manière dont il veut voir la justice rendue et si l’on doit réellement accepter que les droits de la défense soient ramenés à leur plus simple expression.

Sébastien Bourdon

Avocat à la Cour

And cyberjustice for all

Droit Social

Depuis le début du confinement, les Conseils de prud’hommes de France et de Navarre sont fermés, et les seules réponses que l’on peut obtenir de cette excellente institution relèvent les plus souvent d’e-mails lapidaires et sibyllins de cet ordre : « En raison de la situation sanitaire nationale, tous les services du Conseil de Prud’hommes de … sont fermés. En conséquence, le dépôt de requêtes, toutes les audiences, le rendu et la notification des décisions sont suspendus jusqu’à nouvel ordre. D’autre part, nous vous informons que les messages électroniques reçus sur cette boîte aux lettres ne pourront pas être traités ».

Cela a le mérite d’être clair, mais on ne m’ôtera pas de l’esprit que la seule situation sanitaire suffise à expliquer un effacement aussi radical d’une institution essentielle au fonctionnement de la société.

Si la moitié des salariés français se trouve être au chômage partiel depuis le 22 avril, l’autre ne l’est pas, et dans un cas comme dans l’autre, nombre de problématiques vont surgir et on conçoit mal comment une institution déjà engluée dans des délais à rallonge va pouvoir digérer l’afflux de dossiers (et ce d’autant qu’à l’ouverture, les mesures de sécurité sanitaires se traduiront sans doute par des audiences réduites, afin d’éviter les pics d’affluence habituels).

Si la question de l’impréparation de l’Etat est particulièrement prégnante ces jours-ci et dans de nombreux domaines, force est de constater qu’elle est ici totale et que l’on n’avait tout simplement rien prévu. Et ce n’est pas le silence assourdissant des autorités de l’Etat sur le sort de la Justice à chacune de leurs interventions qui nous rassurera.

Se profile donc à l’horizon un encombrement abyssal des juridictions du travail dans un monde où un tiers des avocats aura disparu (chiffres CNB : entre ceux qui projettent de changer de profession (28 %), les retraites anticipées (6 %) et les fermetures définitives de cabinets (6 %), ils seraient environ 28 000 à quitter la profession dans les prochains mois).

Il n’y a guère de chiffres qui ne donnent le tournis ces temps derniers, mais la situation interroge à tout le moins, et puisque nous n’avions rien prévu, ne serait-il pas temps de préparer un peu l’avenir (d’autant qu’il est particulièrement sombre à défaut d’être incertain – ou l’inverse).

Au début du confinement, alors que je devais me rendre au Conseil de prud’hommes de Paris pour entériner en Bureau de Conciliation et d’Orientation un protocole d’accord, cette audience, comme toutes les autres, a été reportée sine die, sans message, sans rien, par simple effet de porte close.

Mon excellent client (comme tous mes clients) me fit alors part de son étonnement, bien légitime. Ce dernier s’est légitimement interrogé auprès de moi : comment n’existait-il pas déjà un système type « échange documentaire, éventuellement certifié ? (…) A période exceptionnelle, mesure exceptionnelle qui de plus, soulagerait l’administration judiciaire qui n’avait pas besoin de cet épisode nouveau. »

Cette question, pertinente début mars, risque de l’être encore pour un moment.

Ayant quelques relations avec le Québec, je me suis interrogé sur ce que propose le laboratoire de cyberjustice (unité de recherche du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal) et sur la manière dont ses concepts et travaux de dématérialisation du procès pourraient trouver écho en ces temps troublés.

Dirigé par le professeur de droit Karim Benyekhlef, ledit laboratoire développe des plateformes Web qui permettent une « dématérialisation » des processus judiciaires et une simplification des interactions entre les acteurs concernés. Ne serait-ce pas exactement ce dont nous aurions aujourd’hui besoin ?

En effet, ces plateformes rendent possible l’administration de la justice entièrement à distance grâce aux audiences en ligne ou encore à la négociation et à la médiation à distance des conflits

S’agissant, comme en l’espèce, de formaliser un accord conclu de longue date entre les parties, tout semble absurde dans le fait qu’aucun système de cet ordre n’ait été mis en place en France. En effet : renvoi sans date donnant une incertitude à un litige qui n’en avait plus, coût carbone du déplacement des parties, risque sanitaire lié à la propagation du virus etc.

Laissons d’ailleurs le mot de conclusion au professeur Benyekhlef : « Si, en temps ordinaire, la cyberjustice contribue à rendre la justice plus accessible et plus concrète pour tous nos concitoyens, elle devient, en ces temps de crise (sanitaire et d’isolement social), la première condition de la résilience de la justice dans nos sociétés et, par conséquent, la seule garantie de la protection sociale et économique des citoyens par les tribunaux. Une protection qui semble essentielle pour concevoir une sortie de crise ».

Sébastien Bourdon