Time is of the essence

Droit Social

Il y avait quelque chose d’absurde au royaume du droit social à imaginer que soient compatibles les notions de forfait jours et de travail à temps partiel.

Pour mémoire, la convention de forfait jours permet de sortir certains salariés du décompte normal du temps de travail et de mesurer leur durée de travail annuelle par récapitulation du nombre de journées ou demi-journées travaillées sur ladite période.

La nécessaire convention ou l’indispensable accord collectif fixant les catégories de salariés susceptibles de conclure des conventions individuelles de forfait annuel en jours détermine au passage le nombre de jours travaillés dans la limite maximale de 218 jours.

Dans l’espèce qui nous agite, un salarié ayant conclu avec son employeur une convention de forfait annuel de 131 jours avait saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir la requalification de son contrat en contrat de travail à temps plein (et un rappel de salaire à ce titre). C’était bien tenté, mais en réalité, non.

Pour ce faire, il reprochait à son employeur de ne pas avoir respecté la législation sur le travail à temps partiel, laquelle prévoit effectivement des mentions obligatoires dans le contrat de travail, en particulier la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois (article L 3123-6 du Code du travail).

Le lecteur avisé sent poindre le possible paradoxe : si l’on ne décompte effectivement pas le temps de travail, comment alors en coucher précisément sur le papier la répartition ?

La chambre sociale de la Cour de cassation éclaircit enfin le débat et affirme, à l’instar de la Cour d’appel initialement saisie, que les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année dont le nombre est inférieur à 218 jours ne peuvent tout simplement pas être considérés comme des salariés à temps partiel (Cass. soc. 27-3-2019 n° 16-23.800 FS-PB, B. c/ Sté Giraudier conseil).

Comme évoqué supra, l’accord collectif autorisant la conclusion de conventions de forfait en jours fixe le nombre de jours de travail inclus dans ledit forfait, fixant ainsi un plafond (article L 3121-64 alinéa 3 du Code du travail). Ce principe n’interdit nullement ensuite aux parties de convenir d’un nombre de jours de travail inférieur à celui prévu par les partenaires sociaux.

Mais pour autant, cette durée de travail réduite et décomptée en jours ne se transforme pas en un temps partiel.

En effet, à quoi reconnaît-on un travailleur à temps partiel ? C’est celui dont le temps de travail est défini par référence au nombre d’heures de travail accomplies (et non pas au nombre de jours travaillés, c’est un peu sioux, mais finalement assez logique).

Ainsi, le contrat du salarié à temps partiel doit mentionner la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et sa répartition entre les jours de la semaine ou les semaines du mois (article L 3123-6 du Code du travail).

Au contraire, le forfait en jours permet de s’extraire du décompte légal en heures. Le salarié qui y est soumis s’engage à travailler un certain nombre de jours par an, en partant du principe que le nombre réel d’heures effectuées est impossible à comptabiliser.

Cette incompatibilité méritait d’être soulignée, la Cour s’en est enfin chargée.

Sébastien Bourdon

Distinguer le manquement de la faute

Droit Social

Rompre n’est pas chose aisée, le droit du travail nous le rappelle tous les jours. La question de la compétence ou de l’adéquation à une fonction est une question particulièrement pertinente, si l’on part du principe - pas forcément absurde puisqu’il est payé - que l’employé se doit d’être utile et efficace.

La recherche en management définit la compétence du salarié par trois dimensions cumulatives : l’autonomie, la collaboration et la responsabilité (Zarifian 2001). Partant de là, à charge pour l’employeur de déterminer où et comment l’employé a failli.

Lorsque l’employeur se prend ainsi à considérer que tel ou tel salarié ne fait plus l’affaire et décide donc de le licencier, il convient alors de distinguer ce qui relève de l’incompétence ou du manquement volontaire, voire fautif.

C’est dans ce cadre qu’avec une pertinence réitérée, la Cour de cassation a récemment rappelé que des faits fautifs ne peuvent pas justifier un licenciement pour insuffisance professionnelle (Cass. soc. 9-1-2019 n° 17-20.568 F-D, K. c/ Sté Crédit agricole Corporate and Investment Bank).

On peut travailler mal et ne pas le faire exprès (c’est généralement ce qu’essaye de plaider l’ado moyen auprès de ses parents à réception du bulletin scolaire), ou bien se comporter mal et volontairement saccager ses tâches au détriment des intérêts de l’entreprise (sans forcément aller jusqu’à l’intention de nuire, qui relève elle de la faute lourde).

Pour mémoire, l’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité du salarié à accomplir les tâches qui lui sont confiées en raison d’un manque de compétences. Elle résulte donc par principe d’un comportement involontaire de l’intéressé et ne saurait être fautive. Ainsi l’employeur ne peut pas, sauf abstention volontaire ou mauvaise volonté délibérée de l’intéressé, se placer sur le terrain de la faute.

Conséquemment, le licenciement disciplinaire fondé sur la seule insuffisance professionnelle du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 13-1-2016 n° 14-21.305 F-D ; Cass. soc. 27-2-2013 n° 11-28.948 F-D).

A l’inverse, l’employeur ne peut pas motiver la rupture sur l’insuffisance professionnelle s’il justifie sa décision par des manquements volontaires tels que le non-respect des consignes.  En effet, cette qualification recouvre alors celle de l’insubordination, même si finalement, le résultat est le même : le boulot n’est pas – ou mal – fait. Ce n’est donc pas la conséquence qui prime, c’est le comportement qui en est à l’origine.

En l’espèce, un salarié avait été licencié pour insuffisance professionnelle quand lui étaient reprochés des manquements manifestement volontaires.

La Cour de cassation a donc ici légitimement rappelé aux praticiens que repose sur un motif disciplinaire, et non sur une insuffisance professionnelle, le licenciement motivé par le refus quasi systématique du salarié de se soumettre aux directives de son responsable hiérarchique, de lui serrer la main et, lors d’une convocation dans son bureau, le refus de s’y asseoir, la critique de la politique managériale et l’opposition, parfois de manière virulente, à son responsable.

Toutefois, s’agissant même de la rupture pour manquement professionnel involontaire, l’on pourrait même s’interroger sur sa légitimité de principe quand le licenciement pourrait être considéré comme étant intrinsèquement une sanction au sens des dispositions de l’article L 1331-1 du Code du travail (sauf pour motif économique), supposant alors nécessairement la commission d’une faute (« agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif »).

Sébastien Bourdon

Tout contrat de travail mérite salaire

Droit Social

On a évoqué il y a peu le fait que la Cour de cassation se soit prononcée pour la première fois sur la nature du contrat liant un coursier à pédales à une plate-forme numérique, le transformant d’autorité en contrat de travail, en rappelant que, s’appuyant sur des jurisprudences antérieures :

  • l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ;
  • le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Plus récemment encore, la Cour d’appel, s’inscrivant dans une trajectoire similaire, a jugé que les chauffeurs des plateformes en ligne de réservation peuvent avoir la qualité de salarié (CA Paris 10-1-2019 n° 18/08357, P. c/ Sté Uber B.V).

Pour ce faire, elle s’est basée sur le même principe selon lequel l’existence d’un contrat de travail se déduit de la caractérisation d’un lien de subordination.

Le fait d’être immatriculé au registre du commerce et des sociétés et au répertoire des métiers fait évidemment présumer que la relation nouée avec le donneur d’ordre ne soit pas un contrat de travail.

Mais il ne s’agit que d’une présomption, cette dernière ne résistant pas à la démonstration de la fourniture directe par des travailleurs indépendants de prestations à un donneur d’ordre dans des conditions les plaçant dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci (C. trav. art. L 8221-6).

En l’espèce, un chauffeur encarté chez Uber avait conclu un contrat qualifié de « prestation de services » avec la fameuse compagnie, cette dernière utilisant une plateforme en ligne d’intermédiation de transport mettant en relation des professionnels indépendants fournissant une prestation de transport et des utilisateurs souhaitant en bénéficier.

Ayant, et pour cause, un léger doute sur la réalité du rapport contractuel, celui qui tenait le volant saisit la juridiction prud’homale afin de solliciter la requalification de la relation le liant à la société en un contrat de travail à durée indéterminée.

Pour justifier une telle requalification, il fait audacieusement valoir que les courses qu’il réalisait constituaient autant de contrats à durée déterminée devant être requalifiés en un seul contrat à durée indéterminée.

Le conseil de prud’hommes se déclare incompétent pour connaître de la relation de travail entre les parties et rejette sa demande, mais la cour d’appel ensuite saisie ne tient pas exactement le même raisonnement.

La Cour, de manière didactique, commence par rappeler que le contrat de travail est constitué par l’engagement d’une personne à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre moyennant rémunération.

Dans ce contexte, la Cour parisienne enfonce un clou, sur lequel les juridictions tapent de plus en plus, en réaffirmant que le lien de subordination juridique est caractérisé par le pouvoir qu’a l’employeur de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son salarié et que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité.

Une fois de plus, la cour d’appel, à l’instar de la Cour de cassation dans l’espèce vélocipédique précitée (Cass. soc. 28-11-2018 n° 17-20.079 FP-PBRI : RJS 2/19 n° 72), apprécie le faisceau d’indices qui lui est soumis par l’appelant pour établir un lien de subordination entre les parties. S’estimant suffisamment éclairée, elle infirme le jugement du conseil de prud’hommes.

Les faits de l’espèce sont d’ailleurs particulièrement caractéristiques de l’absence de liberté dont disposent ces travailleurs d’un genre nouveau. Le chauffeur concerné avait été ici contraint de s’inscrire au registre des métiers pour pouvoir exercer son activité, pour ensuite intégrer un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par la société, au travers duquel il ne pouvait pas :

  • se constituer une clientèle propre. Il lui était interdit pendant l’exécution d’une course de prendre en charge d’autres passagers en dehors du système et de garder les coordonnées des passagers pour une prochaine course ;
  • fixer ses tarifs. Ceux-ci étaient contractuellement fixés au moyen des algorithmes de la plateforme ;
  • déterminer les conditions d’exercice de sa prestation.

Dans cette douce fiction auto-entrepreneuriale qui était la sienne, il recevait donc des directives de la société qui en contrôlait ensuite l’exécution et exerçait un pouvoir de sanction à son égard. Il devait suivre les instructions du GPS de l’application (« Welcome to The Machine » chanteraient ici les Pink Floyd) et recevait même des directives comportementales. Son activité était contrôlée en matière d’acceptation des courses ainsi que via un système de géolocalisation et il pouvait perdre l’accès à son compte et à l’application en cas de signalements des utilisateurs.

Dès lors, sans trop d’efforts finalement, la cour d’appel a considéré qu’un faisceau d’indices suffisant était réuni pour caractériser le lien de subordination existant entre les parties et renverser la présomption simple de non-salariat pesant sur la relation. L’affaire est donc renvoyée devant le conseil de prud’hommes de Paris comme relevant de sa compétence, à qui il appartiendra de se prononcer sur les effets de la requalification du contrat liant les parties en un contrat de travail.

Il est probable que ce ne soit qu’un début et que la horde de plus en plus importante des forçats de la pédale et du volant voit dans ces décisions successives quelques raisons d’ester efficacement en justice.

Sébastien Bourdon

La bataille de Troyes aura lieu

Droit Social

L’agitation judiciaire autour du barème prud’homal ne fait que commencer, et c’est très logiquement que le bal a débuté en première instance, au sein des Conseils de prud’hommes de France et de Navarre.

Contrairement au conseil de prud’hommes du Mans, celui de Troyes puis celui d’Amiens et enfin celui de Lyon ont jugé le référentiel obligatoire pour les dommages-intérêts alloués en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse contraire aux conventions internationales.

A l’instar de ce qui s’était produit devant le Conseil de prud’hommes du Mans, le débat a porté sur la conformité de ce texte à :

  • L’article 10 de la convention 158 de l’OIT, selon lequel, si les juges « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » ;
  • L’article 24 de la charte sociale européenne qui prévoit que, « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motifs valables à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

Le moins que l’on puisse dire est que les décisions rendues à ce jour se révèlent contrastées mais que la balance pencherait plutôt pour la non-applicabilité du barème, puisque nous en sommes à trois décisions contre une.

Les Conseils de prud’hommes se retrouvent éventuellement pour affirmer que l’article 10 de la convention 158 de l’OIT a un effet direct « horizontal » (jargon de droit international) permettant à un salarié de l’invoquer directement sur le territoire national dans un litige l’opposant à son employeur.

En revanche, contrairement à celui du Mans, les juges troyens, amiénois et lyonnais reconnaissent également cet effet « horizontal » à l’article 24 de la Charte Sociale Européenne.

Partant de cette affirmation, les juges prud’homaux établissent le principe selon lequel le barème d’indemnités serait contraire à la convention précitée de l’OIT et ajoutent donc qu’il viole également la charte sociale européenne.

Le Conseil de prud’hommes de Lyon se contente même, dans sa décision du 21 décembre 2018, d’évoquer uniquement ledit article 24 de la Charte sociale Européenne, et de manière pour le moins lapidaire. Libéré du barème, il alloue trois mois de dommages et intérêts à une salariée comptant à peine plus de deux ans d’ancienneté, semblant respecter le barème ! Mais ladite ancienneté se faisant au titre d’une succession de contrats à durée déterminée que le Conseil de prud’hommes ne requalifie pas (rien n’est simple), la salariée comptait en réalité… un jour d’ancienneté.

Pour écarter l’applicabilité du barème, il semble donc à ce jour que deux principaux arguments soient retenus :

  • L’article L 1235-3 du Code du travail instaurant ledit barème, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier pleinement les situations individuelles des salariés injustement licenciés et de réparer de manière juste le préjudice subi.
  • Ce barème serait en contradiction avec une décision du Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS), organe en charge de l’interprétation de la charte. Celui-ci a en effet jugé que la loi finlandaise fixant un plafond de 24 mois d’indemnisation était contraire à ce texte (CEDS 8-9-2016 n° 106/2014).

Partant de là, le Conseil de prud’hommes de Troyes a conclu à l’iniquité du barème considérant qu’il sécurise davantage les coupables que les victimes (il alloue ainsi 9 mois de salaire à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse quant le salarié comptait 2 ans d’ancienneté, et n’aurait pu prétendre au maximum qu’à une indemnité de 3,5 mois de salaire).

La curiosité est maintenant grande de connaître les décisions qui seront rendues par les Cours d’appel et la Cour de cassation (cette dernière se serait déjà vue solliciter un avis par le MEDEF).

De manière annexe, lorsque le Ministère du Travail a été interrogé par Le Monde sur les premières décisions troyennes, il aurait déclaré qu’elles posaient « la question de la formation juridique des Conseillers prud’homaux » (sic).

Les conseillers prud’hommes de l’autre capitale de la célèbre andouillette, n’ont évidemment guère apprécié qu’on les prenne pour des jambons et déclaré dans un communiqué de presse que ce propos s’asseyait joyeusement sur le principe de la séparation des pouvoirs, portant atteinte à l’autorité de la chose jugée et à son indépendance.

Y ajoutant, les juges troyens rappelaient, entre autres amabilités destinées au Ministère, qu’il relevait de leur autorité de pouvoir écarter une loi votée dans le cadre de leur exercice juridictionnel. L’argument est ici particulièrement pertinent s’agissant d’un texte de loi donnant la curieuse impression de vouloir réduire le pouvoir d’appréciation et l’autorité du juge.

Sébastien Bourdon

À bicyclette

Droit Social

Alors que, gilet jaune oblige, l’on ne reconnaît plus un cycliste prudent d’un manifestant, la Cour de cassation s’est penchée sur l’épineuse question du statut du livreur à vélo. Le monde de demain, celui de l’auto-entrepreneuriat, que l’on tente péniblement d’installer dans le monde d’hier, celui où le CDI ouvre toutes les portes à commencer par celles de banques et des domiciles, se heurte à la résistance judiciaire.

C’est ainsi que le 28 novembre dernier, la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur la nature du contrat liant un coursier à pédales à une plate-forme numérique, rappelant à l’occasion les conséquences de l’existence d’un lien de subordination établi (Cass. soc. 28-11-2018 no 17-20.079 FP-PBRI, D. c/ L. ès qual.).

Pour mémoire, l’existence d’un contrat de travail peut être établie lorsque des travailleurs indépendants fournissent directement, ou par une personne interposée, des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions les plaçant dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci (article L 8221-6, II du Code du travail).

En l’espèce, un coursier sur roues ayant conclu un contrat de prestation de services avec une société utilisant une plate-forme numérique et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas et des livreurs à vélo exerçant leur activité sous le statut de travailleurs indépendants, saisit la juridiction prud’homale afin de solliciter la requalification dudit contrat en un contrat de travail.

Pour rejeter sa demande et se déclarer incompétente pour connaître du litige, la cour d’appel, après avoir pourtant constaté l’existence d’un système de bonus/malus relevant d’un pouvoir disciplinaire, a considéré qu’il ne suffisait pas à caractériser un lien de subordination liant le coursier à la plate-forme numérique.

En outre, ledit cycliste restait en effet libre chaque semaine de déterminer lui-même les plages horaires au cours desquelles il souhaitait travailler ou de n’en sélectionner aucune s’il ne souhaitait pas travailler.

La chambre sociale de la Cour de cassation ne partageant pas cette analyse, très logiquement, elle la censure, rappelant que :

  • l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs (Cass. soc. 20-1-2010 no 08-42.207 FP-PBR : RJS 4/10 no 303) ;
  • le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (Cass. soc. 13-11-1996 no 94-13.187 PBR : RJS 12/96 no1320).

Pour caractériser l’absence de liberté de notre infortuné cycliste, la décision s’appuie sur deux éléments.

Tout d’abord, l’application utilisée par la société était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres qu’il parcourait, de sorte que le rôle de la plate-forme ne se limitait pas à la simple mise en relation du restaurateur, du client et du coursier.

Par ailleurs, la société disposait d’un pouvoir de sanction à son égard, selon un système de – excuse my French – « strikes ». On ne résiste pas à relever le jargon anglo-saxon applicable dans la société et largement décrite par la Cour dans sa décision : le pauvre vélocipédiste pouvait se voir marquer du sceau de l’infâmant « strike » en cas de : désinscription tardive d’un « shift », de connexion partielle au « shift », d’absence de réponse à son téléphone « wiko » ou « perso » pendant le « shift », d’incapacité de réparer une crevaison, de refus de faire une livraison, de circulation sans casque (on appréciera ici le souci de la sécurité manifesté par la société), en cas de « no-show », en cas d’insulte du « support » ou d’un client, de conservation des coordonnées de client, de cumul de retards importants sur livraisons et de circulation avec un véhicule à moteur ( !).

Avec une telle variété et une possibilité d’échelle de sanctions (les « strike » pouvant s’additionner) est pour la Cour de cassation caractérisé un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation, caractérisant un lien de subordination, justifiant la requalification du contrat de prestation de services en un contrat de travail.

Le vélo, c’est la liberté, mais il faudrait envisager de ne point trop en abuser.

Sébastien Bourdon

« Bicycle bicycle bicycle
I want to ride my bicycle, bicycle (c’mon), bicycle
I want to ride my bicycle
I want to ride my bike
I want to ride my bicycle
I want to ride it where I like
. »

QUEEN « Bicycle Race »

Contre le barème, L’oit ne fait pas loi

Droit Social

Nous avons récemment évoqué les débats constitutionnels italiens sur le principe du barème de condamnation prud’homale, le Conseil de prud’hommes du Mans nous fait abandonner un temps la scamorza affumicata pour la rillette, obligeant à une évocation de cette première décision judiciaire française sur ce thème (le barème, pas les rillettes).

Dans une décision du 26 septembre dernier, dont il est évidemment un peu tôt pour savoir si elle fera autorité sur tout le territoire national, le Conseil de prud’hommes manceau a considéré que le référentiel obligatoire pour les dommages-intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse n’est pas contraire à la convention 158 de l’OIT qui exige notamment une indemnisation adéquate (Cons. prud’h. Le Mans 26-9-2018 n° 17/00538, G. c/ Epic OPH de la communauté urbaine du Mans-Le Mans métropole habitat).

Rappelons à ceux qui dorment au fond de la classe que depuis l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, l’article L 1235-3 du Code du travail fixe un barème de l’indemnité à la charge de l’employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, barème qui s’impose au juge. On le rappelle si besoin, le montant de l’indemnité est compris entre un minimum et un maximum, variant en fonction de l’ancienneté du salarié.

Pour mémoire, le Conseil d’Etat avait déjà considéré que ces dispositions ne violaient pas les textes internationaux à la base de ces principes.

En l’espèce, la salariée, dont le licenciement a été reconnu sans cause réelle et sérieuse, soutenait en premier lieu que le barème prévu à l’article L 1235-3 du Code du travail est contraire à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT ainsi rédigé : si les juges « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

Cette convention internationale a un effet direct « horizontal », ce qui permet à un salarié de l’invoquer dans un litige l’opposant à son employeur de droit privé.

Le Conseil de prud’hommes du Mans, s’inspirant probablement des décisions du Conseil d’Etat et du Conseil Constitutionnel dans le même sens, a considéré que l’article L 1235-3 du Code du travail respectait les deux principes indemnitaires et ce pour trois raisons :

  • l’indemnité prévue au barème a vocation à réparer le préjudice résultant de la seule perte injustifiée de l’emploi et que, si l’évaluation des dommages-intérêts est encadrée entre un minimum et un maximum, le juge peut toujours, dans les bornes du barème fixé, prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu’il se prononce sur le montant de l’indemnité (notamment l’âge et les difficultés à retrouver un emploi, le salarié de 53 ans avec un an et demi d’ancienneté appréciera…) ;
  • le barème n’est pas applicable aux situations où le licenciement intervient dans un contexte de manquement particulièrement grave de l’employeur à ses obligations (nullité pour violation d’une liberté fondamentale, pour harcèlement sexuel ou moral, atteinte à l’égalité professionnelle homme/femme, exercice du mandat d’un salarié protégé etc.) ;
  • les autres préjudices, en lien avec le licenciement et notamment les circonstances dans lesquelles il a été prononcé, sont susceptibles d’une réparation distincte sur le fondement du droit de la responsabilité civile, dès lors que le salarié est en mesure de démontrer l’existence d’un préjudice distinct.

Au regard des montants alloués à la salariée en application du barème – 1 715 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’intéressée ayant moins d’un an d’ancienneté, et 2 000 € pour licenciement brutal et vexatoire – on comprend assez aisément qu’ait pu être grande la tentation de contourner la réglementation applicable.

Si l’invocation des traités internationaux ne devait pas fonctionner, il est probable que les demandes de constatations de nullité deviennent de plus en plus fréquentes devant la juridiction prud’homale, puisque permettant de contourner cet obstacle indemnitaire majeur.

La salariée soutenait en l’espèce également que le barème était contraire à l’article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996, qui prévoit que « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties (c’est-à-dire les gouvernements signataires de la charte) s’engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motifs valables à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

Ici le conseil de prud’hommes a esquivé la question, partant du principe que ces dispositions ne sont pas directement applicables par la juridiction prud’homale (analyse que ne fait pas le Conseil d’Etat qui considère lui que les stipulations de l’article 24 ont un effet direct « horizontal », mais cette charte sociale européenne fait l’objet de débats de spécialistes qui, risquant de faire fuir le néophyte, ne seront pas nécessairement développés sur cette page).

Il est en tout cas certain que la bataille judiciaire ne fait que commencer et que la créativité des acteurs de droit social a de beaux jours devant elle.

Sébastien Bourdon

Bring me the disco king

Non classé

Avis aux salariés noctambules et fêtards, la Cour de cassation vient de rendre une décision qui devrait réjouir ces oiseaux de nuit : l’accident survenu dans une discothèque à l'étranger peut être un accident du travail (Cass. 2e civ. 12-10-2017 no 16-22.481 F-PB).

Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, un salarié accomplissant une mission a par essence droit à la protection contre les accidents du travail pendant tout le temps de la mission qu’il accomplit pour son employeur, peu important que l’accident survienne à l’occasion d’un acte professionnel ou d’un acte de la vie courante (Cass. soc. 19-7-2001 n° 99-21.536 FS-PBRI et n° 99-20.603 FS-PBRI ).

L’employeur ou l’organisme social peuvent toutefois renverser la présomption en rapportant la preuve que le salarié s’était, lors de l’accident, interrompu dans l’exécution de sa mission pour un motif personnel (« Aimer, Boire et Chanter » Johann Strauss).

Dans l’affaire du 12 octobre 2017, le salarié, alors en mission en Chine, s’était blessé à la main à trois heures du matin après avoir glissé en dansant dans une discothèque (trop d’alcool, soirée « mousse »,… l’arrêt ne le précise pas). La cour d’appel avait d’abord jugé que la seule présence dans une discothèque ne pouvait suffire à démontrer qu’il n’existerait aucun lien entre celle-ci et l’activité professionnelle du salarié. Cela doit être particulièrement vrai pour les employés de boîte de nuit, mais tel n’était pas le cas en l’espèce.

La Cour d’appel avait également estimé qu’aucun des éléments versés aux débats ne permettait d’exclure que le salarié se serait rendu en discothèque pour les besoins de sa mission. Il pouvait en effet tout aussi bien être là pour accompagner des clients ou collègues. Elle avait donc jugé que l’accident devait être pris en charge au titre de la législation des accidents du travail. Sa décision est approuvée par la Cour de cassation.

L’accident ayant eu lieu à trois heures du matin, on ne pourra également que constater que ce garçon ne comptait pas ses heures… L’histoire ne dit pas si cette présence tardive a été rémunérée.

Drôle d’atmosphère

Droit Social

Toujours soucieux de vanter les mérites du tourisme judiciaire français, nous voilà à la cour d’appel d’Orléans. Il ne s’agit certainement pas avec cette chronique de favoriser les bas instincts de l’éventuel lectorat, mais il sera cette fois question de la gestion de ses pulsions, même verbales, au temps et sur le lieu de travail.

Dans sa première rédaction, l’article L 1153-1 du Code du travail définissait le harcèlement sexuel par le but poursuivi par son auteur, lequel pouvait se résumer à la volonté d’obtenir des faveurs de nature sexuelle (acception technique dans ses termes, mais finalement assez claire dans ce qu’elle décrit).

C’est ainsi qu’un temps la jurisprudence a considéré la grivoiserie sur le lieu de travail comme n’étant pas constitutive de harcèlement sexuel (CA Versailles 27 sept. 2012, n° 11-03057). La réécriture du texte fondateur par la loi du 6 août 2012 a quelque peu modifié la donne : sont maintenant constitutifs de harcèlement sexuel « des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui (subis par un salarié) soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent une situation intimidante, hostile ou offensante ».

Il ne s’agit plus de sanctionner un quidam pour ses appétits trop directs ou explicites (et pas forcément partagés) sur le lieu de travail, mais un comportement plus général et intrinsèquement humiliant.

En l’espèce, la Cour d’appel a étendu quelque peu l’application du texte en jugeant que « le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables ».

Cette lecture peut sembler surprenante et pour le moins extensive. La salariée avait entendu en l’espèce dénoncer le caractère misogyne et offensant du climat de travail au sein d’un journal de presse locale. Elle aurait ainsi été exposée à des comportements déplacés, mais sans justement établir avoir été elle-même directement visée.

L’atmosphère était ainsi qualifiée de sexiste, graveleuse, caractérisée par des propos (et bruits) vulgaires tenus en sa présence. Une atmosphère particulièrement raffinée donc, tenant plus du vestiaire que de la salle de rédaction d’un organe d’information.

Ainsi, comme cette espèce le montre, la notion de harcèlement sexuel qui visait initialement la sanction du comportement de l’auteur, a depuis opéré un glissement vers le seul ressenti de la victime. Qu’importe qu’elle n’ait pas été directement concernée par ces agissements, il suffit qu’elle ait pu en souffrir, notamment par une altération de son état de santé (ce qui était le cas en l’espèce).

Le climat de travail intimidant, hostile et offensant devient le lien de causalité sans qu’il y ait besoin de s’intéresser aux éventuelles relations existant entre l’auteur des faits incriminés et la victime.

Enfin, si les gestes sont évidemment particulièrement répréhensibles, les mots peuvent suffire : propos sexistes, grivois, obscènes ou insultants. Il est certain que la répétition de tels propos peut contribuer à créer une ambiance quelque peu déplaisante à la longue et de nature à, comme le disait le médecin du travail dans ses conclusions, entraîner « une atteinte à la dignité provoquant une effraction dans le fonctionnement mental ne permettant plus à l’individu de trouver les ressources pour y faire face ».

Cette évolution de la notion même de harcèlement sexuel amène à s’interroger sur le moyen de prouver l’existence d’un tel « harcèlement sexuel d’ambiance ».

Il appartient désormais au salarié de « présenter » des faits laissant présumer le harcèlement sexuel, sans nécessité de les « établir ». Les juges feront le reste et trancheront, en appréciant les éléments versés aux débats par les parties, décidant si l’on est dans le potache ou dans l’agression systématique et caractérisée.

Pour mémoire, il appartient à l’employeur de prendre les mesures nécessaires en vue de prévenir le harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner, et il s’agit d’une obligation de résultat (article L 1153-1 du Code du travail). Prudence donc quand la communauté de travail se transforme en une émission de Collaro (pour les plus âgés) ou de Cyril Hanouna (pour les plus jeunes).

Du sommeil sur le lieu de travail

Droit Social

Colmar, que la presse internationale – à juste titre – vante comme une destination européenne enchanteresse, recèle en son sein une Cour d’appel aux décisions justifiant également qu’on s’y attarde (et pas en touriste).

A propos de repos éventuellement mérité, ladite Cour n’a ainsi pas hésité à affirmer récemment que dormir au travail n’est pas toujours fautif (CA Colmar 7-3-2017 n° 15-03621).

Dans l’espèce concernée, un honnête travailleur épuisé par le labeur s’était ainsi endormi chez le principal client de son employeur, alors que sa tâche consistait à filtrer les entrées. Il avait ainsi laissé sans surveillance l’accès au site resté ouvert, ainsi que les clés des locaux posées à l’avant de son bureau.

L’employeur, sans attendre que la nuit porte conseil, le licencie immédiatement pour faute grave en insistant sur les conséquences de son comportement sur l’image commerciale de l’entreprise.

Ne rêvons pas, le fait de s’endormir à son poste de travail est régulièrement reconnu comme une faute justifiant le licenciement (CA Montpellier 12-4-2000 n° 98-159 : RJS 12/01 n°1521) notamment – et assez logiquement – lorsque le salarié occupe des fonctions de gardiennage comme c’était le cas en l’espèce (CA Versailles 26-7-2011 n° 10-02784).

La Cour d’appel de Colmar, faisant preuve d’une inattendue mansuétude méditerranéenne, a pourtant jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, estimant que la défaillance alléguée du salarié à son poste était due à sa fatigue excessive, celui-ci ayant travaillé 72 heures sur 7 jours consécutifs au moment des faits.

Cette durée pour le moins excessive de travail constitue en effet une violation de la limite maximale hebdomadaire fixée, pour mémoire, à 48 heures par le droit européen. Pour les juges d’appel, l’employeur qui ne respecterait pas cette limite maximale ne pourrait alors blâmer le salarié des conséquences physiologiques qui en résulteraient.

Il reste impossible d’alléguer de sa propre turpitude et l’employeur avait bien maladroitement sanctionné un travailleur épuisé par sa faute.

Il était justice de dormir du sommeil du juste.

Gravé dans le marbre

Droit Social

L’exercice quotidien, et évidemment surtout pas laborieux, de notre noble profession nous a permis de constater une évolution que nous qualifierons d’anglo-saxonne dans la rédaction des transactions postérieures au licenciement.

Eût un temps, que je n’ai d’ailleurs même pas connu, ce type de document faisait joyeusement une page dans laquelle était à peine évoquée la guerre, pour en venir tout de suite à la paix et à ses conséquences en termes de réparation pécuniaire (le cœur du débat en somme).

Avec le temps qui passe, viennent les complications et le souci d’anticipation dans un monde de plus en plus incertain. Les protocoles se sont donc épaissis et renforcés, les rédacteurs s’efforçant de tout prévoir et même l’impossible afin de garantir à leurs clients sécurité et tranquillité de l’esprit (à un tarif qui fait sourire).

Il est vrai que, justifiant ces préventions d’avocats pointilleux, la chambre sociale de la Cour de cassation persistait, dans certains arrêts, à retenir une conception restrictive de la portée d’une transaction (contrairement à l’Assemblée plénière de la même Cour qui considérait que la signature d’une transaction donnait une portée générale à la renonciation à toute réclamation).

Ainsi, elle considérait que les obligations ayant vocation à s’appliquer postérieurement à la rupture du contrat de travail n’étaient pas comprises dans l’objet de la transaction, en l’absence de dispositions expresses (clause de non-concurrence, options sur titres etc.).

La Cour de cassation est finalement venue rappeler que la transaction rédigée en termes généraux interdit toute demande d’indemnisation ultérieure, rejoignant finalement l’interprétation de l’assemblée plénière (Cass. soc. 11-1-2017 n° 15-20.040 FS-PB).

Il est vrai que pouvait être grande la tentation du salarié de solliciter encore plus de monnaie sonnante et trébuchante en découvrant un préjudice jusqu’alors ignoré, mais reconnu par la jurisprudence postérieurement à la signature de l’accord transactionnel.

Pour mémoire, une transaction a pour objet de mettre fin à toute contestation née ou à naître résultant de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail, au moyen de concessions réciproques (articles 2044 et suivants du Code civil : « (…) terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. »). Elle devrait donc définitivement éteindre les contestations qui en font l’objet. Seules les demandes ayant un objet différent restent toutefois recevables.

En l’espèce, le salarié et l’employeur avaient conclu une transaction aux termes de laquelle le premier déclarait être rempli de tous ses droits et ne plus avoir aucun grief quelconque à l’encontre de la société du fait de l’exécution comme de la rupture de son contrat de travail. Une formulation somme toute assez classique et rédigée dans les règles de l’art et du droit. Le salarié n’en avait pourtant pas moins quand même saisi ultérieurement la juridiction prud’homale d’une demande en réparation de son préjudice d’anxiété en lien avec une exposition à l’amiante, le site où il travaillait étant inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante.

La notion de reconnaissance et de possible indemnisation d’un tel préjudice d’anxiété résultait d’une jurisprudence postérieure à la signature de la transaction (Cass. soc. 11-5-2010 n° 09-42.241), et n’aurait donc pas pu être expressément prévue par la transaction signée par les parties.

Les juges du fond, retenant une interprétation stricte d’une transaction ne contenant aucune disposition de type « Retour vers le Futur », avaient déclaré recevable la demande du salarié.

La Chambre sociale de la Cour de cassation décide de ne pas suivre un tel raisonnement et censure : étant donné les termes généraux de la transaction, le salarié n’était plus recevable à saisir la juridiction prud’homale d’une demande en lien avec l’exécution ou la rupture de son contrat de travail, une évolution ou un changement de jurisprudence ne pouvant pas modifier l’objet de la transaction.

L’on ne peut que se réjouir d’une décision dont les termes sont de nature à sécuriser les transactions existantes et à rappeler qu’il n’est pas forcément nécessaire de surcharger les dispositions d’un tel document pour se prémunir des dangers de l’avenir.