La datation ne fait pas le grief

Droit Social

La rédaction de la lettre de licenciement est un mode d’expression artistique en prose insuffisamment reconnu. Il faut en effet moult compétences pour ne point tomber dans les mille chausse-trappes qui guettent le rédacteur.

Ainsi, et l’on pourrait s’en étonner, s’agissant d’invoquer « des motifs précis et matériellement vérifiables » la Cour de cassation vient de préciser qu’il est inutile de les dater (Cass. soc. 6-5-2025 n° 23-19.214 F-D, Sté J. assurances c/ S.).

 Rappelons que la lettre de licenciement doit énoncer le motif invoqué par l’employeur à l’appui de la rupture (C. trav. art. L 1232-6). L’essentiel est que le salarié comprenne ce qui justifie qu’il soit débarqué.

Ce motif doit donc être suffisamment précis, permettant au passage au juge d’en contrôler la validité. Pour ce faire, il s’agit d’avancer un motif matériellement vérifiable (Cass. soc. 14-5-1996 nos 93-40.279 F-D et 94-45.499 P).

Un peu comme avec les sentiments, il ne s’agirait pas d’être vague et inconsistant. En revanche, l’employeur n’est pas tenu d’indiquer, dans la lettre de licenciement, la date des faits qu’il invoque.

En l’espèce, une salariée avait été embauchée par son mari, agent d’assurances. Une dizaine d’années plus tard, le torchon brûle, et alors que le couple est en procédure de divorce, la salariée est licenciée pour faute grave.

L’atmosphère n’était pas sereine, et l’employeur motive le licenciement par divers manquements disciplinaires : dénigrement (étonnant non ?), mensonges sur les horaires d’arrivée, contestation agressive etc.

L’ex – épouse comme salariée – soutenant que ces motifs étaient imprécis, contre-attaque judiciairement. La cour d’appel lui donne raison et juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse : les faits reprochés n’étant ni datés ni circonstanciés, formulés en termes vagues, ne constituaient pas des motifs précis et matériellement vérifiables de licenciement.

La Cour de cassation censure la décision des juges du fond, constatant que la lettre de licenciement énonçait des griefs précis et matériellement vérifiables, qui pouvaient être discutés devant les juges du fond. La seule tâche de la Cour d’appel dans ce cadre était de vérifier le caractère réel et sérieux de ces derniers, et pas de chipoter sur l’absence de date, point qui eût pu être vérifié a posteriori.

Il semblerait donc que l’on puisse se passer de dater les griefs, mais par prudence atavique, s’agissant notamment des questions de prescription, on se permettra de suggérer que cette mention n’est pas forcément superfétatoire.

Sébastien Bourdon

Le harcèlement sexuel indirect

Droit Social

La définition du harcèlement sexuel paraît simple, mais est probablement insuffisante. Il est donc du ressort de la jurisprudence que de préciser son champ d’application.

Ainsi, la Cour de cassation a considéré que des propos à connotation sexiste ou sexuelle adressés en public, de manière répétée, à plusieurs personnes, peuvent caractériser le délit de harcèlement sexuel (Cass. crim. 12-3-2025 no 24-81.644 F-B, Université de Haute-Alsace c/ V.).

Pour mémoire, et si l’on voulait résumer le concept : le harcèlement sexuel, c’est quand le récipiendaire n’est pas d’accord – sans qu’il y ait d’ailleurs besoin qu’il l’ait expressément dit – et c’est un délit (article 222-33 du Code pénal).

Le trou dans la raquette du raisonnement est celui-ci : et si l’harceleur ne vise personne en particulier ?

En l’espèce, les évènements s’étaient produits dans le milieu universitaire. Un maître de conférences s’étant distingué par des propos et attitudes sexistes et dénigrants, il est poursuivi pour harcèlement sexuel par personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions au préjudice de pas moins de 15 étudiants.

Le tribunal correctionnel le déclare coupable de l’intégralité de ces faits et le condamne à 12 mois d’emprisonnement avec sursis et 3 ans d’interdiction d’exercer l’enseignement.

C’est la Cour d’appel de Colmar qui va opérer un distinguo qui n’avait pas été fait en première instance : elle relaxe le prévenu pour 14 victimes, considérant que ces dernières n’ont pas directement été visées par les propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste du prévenu, ce dernier les distribuant généreusement sans viser personne en particulier.

La Cour de cassation ne l’entend pas de cette oreille (chaste) et casse partiellement considérant que des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste, s’ils ne sont destinés à personne en particulier peuvent toucher tout le monde de manière générale.

L’exposition, même indirecte, à des comportements relevant du harcèlement sexuel ou sexiste peuvent faire de celui qui les reçoit une victime potentielle d’un harcèlement sexuel pénalement sanctionnable. C’était le cas pour cette communauté d’étudiants comme il peut en être de la communauté de travail et du « harcèlement sexuel d’ambiance » (déjà commenté sur nos lignes).

Sébastien Bourdon