Idylle Fatale

Droit Social

« Pour vivre heureux, vivons cachés », tel fut le mantra des deux salariés dont il va ici être objet, mais la Cour de cassation ne l’a pas entendu de cette oreille (Cass. soc. 29-5-2024 n° 22-16.218 F-B, Z. c/ Sté Payen).

L’amour ignorant tout des frontières, un Directeur des Ressources Humaines s’était épris d’une représentante du personnel, mais n’en avait dit mot à sa hiérarchie. Cela pouvait être problématique dans la mesure où nos tourtereaux participaient ensemble aux réunions des instances représentatives du personnel…
Dissimuler sa vie amoureuse à son employeur peut-il être considéré comme un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail ? C’est en tout cas ce qu’a considéré la Cour.
En l’espèce, le DRH concerné exerçait des fonctions de direction et disposait d’une délégation de pouvoir effective et permanente du président du directoire et présidait les institutions représentatives du personnel.
La salariée avec laquelle il avait une relation de longue date occupait différents mandats de représentation syndicale et de représentation du personnel.
Informé officieusement de l’idylle, l’employeur licencie le DRH pour faute grave (pas le genre à mégoter avec la lutte des classes). Le salarié demande en justice l’annulation de son licenciement en raison de son caractère attentatoire à sa vie privée et, à titre subsidiaire, que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse. Ses demandes sont rejetées devant la cour d’appel et la Cour de cassation.
A ceux qui s’étonneraient de la recevabilité d’un motif tiré de la vie personnelle du salarié, la Cour de cassation rappelle que cela reste possible en cas de manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail et si le fait tiré de la vie personnelle se rattache à la vie professionnelle.
Alors qu’est-ce qui fait tache dans cette histoire de cœur ? Selon les juges, elle :
  • se rattache à la vie professionnelle, en raison des fonctions respectives des concernés, qui les amènent à participer à des réunions au cours desquelles sont discutés des sujets sensibles (très active, la représentante du personnel avait participé à des mouvements de grève et à la négociation de plans de réduction des effectifs) ;
  • et est de nature à affecter le bon exercice de leur activité professionnelle, la relation intime ne pouvant être sans influence sur l’exercice par le salarié de ses fonctions de DRH.
Ainsi, pour les juges, l’employeur pouvait se placer sur le terrain disciplinaire.
Quid de la faute grave retenue ? Elle réside dans la dissimulation, caractérisant un manquement à l’obligation de loyauté.
Le licenciement disciplinaire n’avait pas pour fondement la relation intime entre deux salariés mais le fait de maintenir secrète son existence, quand elle pouvait être à l’origine d’un conflit d’intérêts et d’actes de déloyauté. Cette situation justifiait l’impossibilité de maintenir le contrat, peu important même l’existence avérée d’un préjudice.
Le respect de la vie privée du salarié cède devant l’intérêt de l’entreprise : la constance en amour n’excuse donc pas l’infidélité à l’employeur…
Sébastien Bourdon

Le téléphone, ce n’est pas tout à fait comme une lettre à la Poste

Droit Social

Le mieux est l’ennemi du bien, et force est de constater que la jurisprudence sociale illustre parfois l’adage.

Soucieux de ménager les susceptibilités d’un collaborateur, un employeur décroche son téléphone pour l’avertir de son licenciement, et ce avant l’issue de la procédure.

Bien mal lui en a pris, puisque comme l’a tranché la Cour de cassation, le licenciement est alors verbal et par essence dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 3-4-2024 n° 23-10.931 F-D, Sté Legallais c/ K.).

Rappelons les principes en la matière : après l’avoir convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, l’employeur qui décide de licencier un salarié doit lui notifier sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette dernière doit comporter l’énoncé du ou des motifs de rupture du contrat de travail (C. trav. art. L 1232-6).

Le licenciement verbal, qui par définition n’est pas motivé – « les paroles s’envolent, les écrits restent » – est systématiquement jugé sans cause réelle et sérieuse (il rompt certes le contrat de travail mais ne peut être régularisé ensuite par l’envoi d’une lettre).

En l’espèce, la directrice des ressources humaines de l’entreprise avait passé un coup de fil à celui dont le sort avait été scellé pour l’informer de son licenciement, la notification pour faute grave étant ensuite postée le même jour. Estimant avoir fait l’objet d’un licenciement verbal, le futur ex salarié saisit la juridiction prud’homale afin de contester la rupture de son contrat de travail.

Pour sa défense, la société avait avancé un argument inhabituel, humainement recevable : la courtoisie. Las, le droit se moque du savoir-vivre et la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir jugé le licenciement du salarié sans cause réelle sérieuse.

Il y avait une solution toute bête : appeler le salarié certes, mais après être passé à la Poste pour envoyer la lettre, et ces désagréments pécuniaires et judiciaires auraient été épargnés à l’entreprise…

Sébastien Bourdon

Se victimiser ne fait pas forcément de soi une victime

Droit Social

Dans la catégorie « tentons le tout pour le tout », un salarié licencié pour faute grave pour des faits de harcèlement sexuel avait imaginé une défense originale : il aurait été injustement « victime » (sic) du phénomène de libération de la parole #Metoo (CA Aix-en-Provence 19-4-2024 n° 21/02932).

L’impétrant se serait distingué au sein de l’association qui l’employait par des comportements d’une relative banalité : propos déplacés sur le physique de ses collègues féminines, tentatives de baisers volés (mais sans le charme du film du même nom), avances non désirées des récipiendaires, le tout dans un climat général de drague lourde et persistante.

Informé du problème, l’employeur avait diligenté une enquête interne afin de vérifier la véracité des accusations portées.

Classiquement, le salarié accusé a d’abord dénoncé l’insuffisance des preuves, mais aussi affirmé qu’il s’agissait d’un « complot », voire d’une « propagande calomnieuse ». A contrario, il affirmait que son humour était « sain » (concept mal défini) et que l’une des accusatrices lui aurait même fait des avances, le mettant mal à l’aise…

La Cour d’appel n’y est pas allée par quatre chemins, s’attachant surtout à relever si étaient caractérisés des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés portant atteinte à la dignité du salarié, en raison de leur caractère dégradant, au sens de l’article L 1153-1 du Code du travail.

Et il s’avère que pour la Cour d’appel, tel était le cas, les témoignages des employés étant particulièrement nombreux, précis, circonstanciés et concordants. Quant aux indignes pressions qui auraient été exercées sur les salariées, tel qu’allégué par l’accusé, nulle trace relevée.

Face à ces preuves, l’argument du « complot » est balayé par la Cour. La gravité des faits de harcèlement sexuel retenus justifie le licenciement de l’intéressé pour faute grave, privative d’indemnités.

La tentative de passer de Metoo à Mytho n’a ici pas prospéré. L’audace sans panache, c’est tout de suite moins bien.

Sébastien Bourdon