Il en est du conflit prud’homal comme de tout procès : il appartient à chacune des parties de verser aux débats les preuves de ce qu’elle avance, afin d’emporter le morceau (article 9 du Code de procédure civile).
Mais ce que l’on peut produire en justice obéit à des règles – ce qui n’est guère étonnant – et tout n’est pas permis. D’où le concept soumis à la variabilité jurisprudentielle de « preuve illicite », c’est-à-dire obtenu en violation d’une règle de droit.
En la matière qui nous préoccupe le plus souvent – le droit du travail donc – l’exemple le plus typique est celui de la surveillance du salarié sans information préalable de ce dernier. Le droit disciplinaire dans l’entreprise n’obéit pas aux mêmes règles que celles la Police : pas de planque, pas de mouchards, pas d’indics, pas de flag. Si les salariés sont filmés, ils doivent le savoir (à cela il faut ajouter notamment le principe de proportionnalité du moyen utilisé etc.).
L’espèce aborde cette question de manière un peu plus alambiquée, donnant au principe un éclairage intéressant.
Un chauffeur de bus constatant la disparition de tickets de transport durant son service, s’en ouvre à son employeur. Ce dernier dépose une plainte et remet à la Police les bandes du système de vidéoprotection équipant les véhicules de l’entreprise, pour les besoins de l’enquête.
L’histoire ne dit pas si l’on a finalement trouvé le voleur de tickets, en revanche, les forces de l’ordre établissent un procès-verbal après visionnage des enregistrements au terme duquel est constaté la commission d’infractions dudit chauffeur durant le service : utilisation de son téléphone au volant et tabagie dans le bus. Le sang de l’employeur ne fait qu’un tour et licencie le garçon pour faute grave. Evidemment, et sinon on ne serait pas là pour en causer, le salarié saisit la justice de la contestation de la rupture.
Et bien lui en a pris puisqu’il a obtenu gain de cause. La Cour d’appel, que n’a pas contredite la Cour de cassation dans son arrêt, a constaté que :
• La preuve de la faute justifiant le licenciement ne reposait que sur ce PV de Police ;
• Ledit PV avait été communiqué de manière informelle, dans le cadre d’une procédure pénale dans laquelle l’employeur était tiers, sans autorisation du Procureur de la République ;
• La charte même de l’entreprise prévoyait l’interdiction d’utilisation du système de vidéoprotection pour apporter la preuve d’une faute d’un salarié lors d’affaires disciplinaires internes.
Enfin, la société s’était révélée incapable de démontrer que recevoir cette preuve malgré son illicéité d’obtention porterait atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.
Bref, on peut avoir totalement raison et perdre sur toute la ligne, pour peu que l’on ait soi-même été un peu limite sur les moyens employés (Cass. Soc. 8 mars 2023, n° 20-21.848).
Sébastien Bourdon