Il arrive, mais ce n’est pas si fréquent, qu’une situation illégale soit créatrice de droits (et de responsabilités). Pour cela, il suffit de pousser la logique du raisonnement jusqu’au bout. Et c’est exactement ce qu’a fait la Cour d’appel de Toulouse.
C’est l’histoire d’un chauffeur de poids lourds qui aurait eu une femme dans chaque station-service (en tout cas dans au moins deux), et qui aurait fait des enfants à chacune (en tout cas au moins un à chacune).
Cette affaire a commencé à défrayer la chronique – judiciaire à tout le moins – lorsque ledit chauffeur a saisi le Conseil de prud’hommes de la contestation de son licenciement pour faute grave.
Le torchon avait commencé à brûler avec son employeur lorsque le salarié avait demandé à bénéficier d’un second congé de paternité et d’un second congé de naissance au mois de décembre au titre de la naissance de son deuxième enfant intervenue en novembre, après avoir déjà bénéficié de tels congés en septembre pour la naissance d’un premier enfant en août de la même année.
Trouvant que la cigogne passait un peu souvent chez ce garçon, l’employeur refuse cette deuxième demande à moins de trois mois d’intervalle et même convoque l’impétrant à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire.
Lors de l’entretien, il s’érige en père la morale et rappelle que la « polygamie n’existe pas en France » (on relève là un léger emballement sémantique : elle existe, mais elle n’est pas autorisée…).
Le salarié ne s’en laisse pas « compter » (une manie chez lui probablement) et soutient avoir été victime d’une discrimination, l’employeur ayant refusé la seconde demande de congés en émettant un jugement de valeur sur sa vie familiale. Rappelons qu’il lui appartenait alors, conformément aux dispositions de l’article L 1132-1 du Code du travail, de présenter au juge des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Il incombe ensuite à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Lesdits éléments objectifs laissant supposer l’existence d’une discrimination étaient les suivants : le refus de congé paternité et de naissance en raison de la situation familiale du salarié, le bref délai qui lui a été laissé pour se positionner sur une proposition de rupture conventionnelle et la mise en congés imposés par l’employeur sans délai de prévenance.
Partant de là, la Cour d’appel constate que la société justifiait dans ses écritures son refus d’octroyer lesdits congés en raison d’une situation familiale de l’intéressé qu’elle estimait non conforme à la morale. Cette appréciation de l’employeur étant éminemment subjective, elle est qualifiée de discriminatoire par la juridiction d’appel.
La règle invoquée pour ce faire n’est pas déconnectée de la réalité : les textes relatifs aux congés de naissance et de paternité n’exigent nullement une communauté de vie permanente du père avec la mère de l’enfant (CA Toulouse 16-12-2022 n° 21/01896, Sté Trans Occitan c/ K).
Cela peut sembler surprenant, mais il n’est pas interdit de considérer que les congés de naissance existent dans l’intérêt de l’enfant et qu’il eût été anormal de le priver de son père (et ce d’autant qu’entre son camion et le reste, ce dernier n’est peut-être pas tellement disponible).
Sébastien Bourdon
Illustration : « The Bigamist » d’Ida Lupino