Le salarié peut faire ce qu’il veut (avec ses cheveux)

Droit Social

La question de la tenue vestimentaire sur le lieu de travail a de tous temps donné lieu à des décisions croquignolettes : ainsi de la salariée qui persistait, nonobstant mises en garde, à porter un chemisier transparent laissant voir ses seins nus (licenciement pour cause réelle et sérieuse : Cass. soc. 22-7-1986 n° 82-43.824, M. c/ SA Siteco) ou du responsable commercial en bermuda (jugé non fautif, à défaut pour l’employeur de prouver avoir donné instruction en ce sens et du fait de l’absence de contact avec la clientèle : CA Paris 11 octobre 2007 n° 06-93, 21e ch. B, Nottot c/ Sarl Dr Import).

Cette question dit évidemment souvent quelque chose de l’époque et il faut lire les décisions à l’aune de la date à laquelle elles ont été rendues.

Dans un arrêt récent (Cass. soc. 23-11-2022 no 21-14.060 FP-BR), la chambre sociale de la Cour de cassation s’est penchée sur le pouvoir de l’employeur en matière de coupe de cheveux (et nous n’étions pas dans un salon où l’on gère ce type de problème) : si l’on résume, il s’avérerait qu’interdire un type de coiffure aux seuls hommes pourrait être discriminatoire puisque fondé sur l’apparence physique et le genre qui s’y rattacherait (homme ou femme, la Cour ne s’est pour l’instant pas risquée plus loin dans les distinctions).

L’affaire concerne un steward travaillant pour Air France. Le salarié, embauché depuis 1998, s’est présenté à l’embarquement, en 2005, coiffé de tresses africaines nouées en chignon. Son employeur lui a alors refusé l’accès à l’avion au motif qu’une telle coiffure n’était pas autorisée par le manuel des règles de port de l’uniforme pour le personnel navigant commercial masculin. Le salarié a alors décidé de porter une perruque pour exercer ses fonctions et ce, jusqu’en 2007.

Soutenant être victime de discrimination, le salarié a saisi le 20 janvier 2012 la juridiction prud’homale afin d’obtenir réparation. Le 13 avril 2012, l’employeur – du genre tenace – lui a notifié une mise à pied sans solde de 5 jours pour présentation non conforme aux règles de port de l’uniforme. Le 17 février 2016, le salarié a été déclaré définitivement inapte à exercer la fonction de personnel navigant commercial, en raison d’un syndrome dépressif reconnu comme maladie professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie. Il a finalement été licencié le 5 février 2018 pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement.

Il saisit alors la juridiction du travail d’une demande de condamnation de l’employeur au paiement de dommages-intérêts pour discrimination, harcèlement moral et déloyauté, d’un rappel de salaire, la nullité de son licenciement et en conséquence la condamnation de l’employeur au paiement de dommages-intérêts à ce titre, d’un solde de préavis avec les congés payés afférents et d’une indemnité de licenciement.

Las, il n’obtient d’abord pas gain de cause, les juges du fond considérant que le refus des dreadlocks ne vaut pas discrimination, en tout cas pas à bord d’un avion.

Pour rejeter l’accusation de discrimination, sont avancés les arguments factuels de la Cour d’appel sont les suivants :

  • le manuel du parfait steward n’instaure aucune différence entre cheveux lisses, bouclés ou crépus et donc aucune différence entre l’origine des salariés et il n’est reproché au salarié que sa coiffure,
  • si les filles ont le droit d’avoir des tresses et pas les garçons, cela peut être admis pour une période donnée du fait d’une simple reprise des « codes en usage » sur le lieu de travail.

La cour d’appel écarte également tout autre forme de discrimination ou de harcèlement estimant que la présentation du personnel navigant commercial fait partie intégrante de l’image de marque de la compagnie qui, à l’instar de toutes les compagnies aériennes, impose le port de l’uniforme.

Il est vrai que la jurisprudence admet la question du contact avec la clientèle comme pouvant justifier certaines restrictions à la liberté de s’habiller comme on le souhaite.

La Cour de cassation prend un contrepied radical et, se fondant notamment, sur les articles L 1132-1 et L 1133-1 du Code du travail (principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail), elle rappelle que les différences de traitement en raison du sexe doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle véritable et déterminante et être proportionnées au but recherché. Elles doivent ainsi renvoyer à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause.

La Cour en déduit que l’interdiction faite à l’intéressé d’une coiffure, pourtant autorisée pour le personnel féminin, caractérise une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe.

Et effectivement, ce n’est pas parce qu’un garçon a les cheveux longs (« c’est un garçon pas comme les autres », air connu) que l’on ne peut pas reconnaître en lui un membre du personnel navigant. L’habit fait donc le moine, même si en lieu et place de tonsure on porte des tresses.

Et la Cour d’ajouter que pouvoir distinguer un homme d’une femme n’est pas une exigence professionnelle impérative.

Le rêve de Jacques Dutronc, tel qu’exprimé en 1970 (in « L’hôtesse de l’air »), est donc devenu réalisable grâce à la Chambre Sociale de la Cour de Cassation :

« Toute ma vie, j’ai rêvé d’être une hôtesse de l’air,

Toute ma vie, j’ai rêvé d’avoir le bas d’en haut,

Toute ma vie, j’ai rêvé d’avoir des talons hauts,

Toute ma vie, j’ai rêvé d’avoir, d’avoir,

Les fesses en l’air ».

Sébastien Bourdon

 

Illustration François Walthéry

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