Secrets d’alcôve

Droit Social

Les hasards judiciaires de la vie trépidante de notre petite structure nous ont récemment amenés à nous confronter aux principes gouvernant la confidentialité des propos tenus lors d’une audience devant le bureau de conciliation d’un Conseil de prud’hommes. Dans un cas, nous nous trouvâmes en position d’accusé, dans l’autre d’accusateur. Et ce n’est pas faire excès de modestie que d’indiquer tout de suite que, dans les deux cas, nous fûmes victorieux, quand bien même les textes gouvernant la matière ne seraient pas forcément limpides.

Tout d’abord, rappelons que sauf exception, la conciliation constitue un préliminaire obligatoire dont l’absence entraîne une nullité d’ordre public de la procédure. Les séances du bureau de conciliation  ne sont pas publiques, sauf lorsqu’il ordonne des mesures provisoires. Dans ce cadre, qu’est-ce qui peut être dit ou répété ultérieurement de ce qui s’est passé lors de cette première audience, en gardant à l’esprit que le but avoué de cette audience est de faire parvenir les parties à un accord amiable, évitant la poursuite de la procédure en Bureau de jugement. Il est dans ce cadre évident que la discrétion sur les pourparlers s’impose aux parties, ne serait-ce que pour garantir les bonnes conditions de la négociation où le secret et la discrétion s’imposent d’évidence.

Dans la première espèce dont il est ici question, il s’agissait de la contestation d’une rupture conventionnelle quelque peu forcée, car reposant en réalité sur des motifs économiques. Lors de l’audience de conciliation, l’employeur s’était exprimé en affirmant  que la rupture du contrat de travail de la salariée se justifiait par l’acquisition d’un logiciel de comptabilité (propos d’ailleurs notés par un des conseillers présents, vraisemblablement dans le but d’apporter des éclaircissements lors de l’audience de plaidoirie, comme cela en est l’usage).

Nous avions évidemment repris cet aveu dans nos écritures, comme confirmant la tentative de fraude ayant entaché la procédure de rupture du contrat de travail par la voie conventionnelle plutôt que par celle du licenciement, au détriment des intérêts de la salariée concernée.

 

Dans ses écritures en réponse, arguant de ce passage de nos écritures, la société défenderesse venait affirmer que le fait d’évoquer ces propos justifierait la nullité de la procédure intentée, s’appuyant ainsi sur les dispositions cumulées des articles L 1411-1, R 1454-8 et R 1454-10 du Code du travail et 433 et 446 du Code de procédure civile.

Pour justifier sa position, la société défenderesse faisait état d’une décision émanant du Conseil de prud’hommes de Caen du 22 février 2013 dont une lecture attentive permettait de constater que ce qui était reproché à la demanderesse dans cette affaire, et qui avait justifié la nullité de la procédure, était d’avoir « fait expressément état des propositions » qui lui avaient été faites lors de l’audience de conciliation.

Cette jurisprudence précise donc en réalité bien ce qui ou ne peut pas se dire de ce qui s’est tenu lors de l’audience de conciliation, interdisant seulement l’évocation des échanges afférents à une issue transactionnelle. Ainsi, et en tout état de cause, cette décision ne s’appliquait pas aux faits de l’espèce, les propos évoqués dans nos écritures en demande étaient sans lien aucun avec d’éventuels pourparlers entre les parties en présence.

Cette position est d’ailleurs confirmée par les juridictions d’appel. Dans une décision du 12 septembre 2013, la Cour d’appel de Chambéry, en réponse à un moyen identique soulevé par la société intimée, statuait en ces termes sur l’exception de nullité soulevée (pièce n° 12) :

« Attendu que les éléments et propos invoqués par Monsieur Marc X… et qui auraient été tenus par la société C A D’A devant le bureau de conciliation ne concernent pas une ébauche de conciliation ou de proposition transactionnelle, mais sont seulement des moyens invoqués par l’employeur pour refuser toute conciliation, qu’il n’existe donc pas au cas d’espèce de violation du principe de confidentialité ».

Dans sa décision du 3 mars 2014, suivant ce raisonnement, le Conseil de prud’hommes de Poissy a donc écarté la demande de nullité en ces termes :

« Vu l’article 114 du Code de procédure civile : « aucun acte de procédure ne  peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’est pas expressément prévue par la loi… »

Bien que l’article R 1454-8 du Code du travail dispose que les séances du bureau de conciliation ne sont pas publiques, aucun texte ne prévoit que les propos qui y sont échangés sont confidentiels. A défaut de conciliation, les prétentions qui restent contestées et les déclarations faites par les parties sur ces prétentions sont notés au dossier ou au procès-verbal, de telle sorte qu’elles peuvent être considérées comme faisant partie de la mise en état de l’affaire.

En conséquence, dit mal fondée cette demande de nullité. »

Il n’échappera pas à la sagacité des lecteurs que le Conseil de prud’hommes ne semble ici retenir aucun propos tenu lors de la conciliation sous le sceau de la confidentialité, même d’éventuels échanges afférents à une solution amiable, et ce en contradiction avec les décisions précitées qui font expressément cette distinction.

Dans une autre espèce, c’est le cas inverse qui nous était soumis, le défenseur syndical de deux salariés ayant pris l’initiative singulière de révéler dans ses conclusions en demande des échanges afférents à des offres transactionnelles ayant pu être faites lors de l’audience de conciliation par l’employeur ou son représentant. Nous avons donc légitimement soulevé la nullité de la procédure intentée.

Le Conseil de prud’hommes de Saint-Dié des Vosges a tranché en ces termes le 26 janvier 2015 :

« Qu’en l’espèce Messieurs B et G ont fait expressément état des propositions qui leur on été faites par la défenderesse, lors de l’audience de Conciliation (…) ;

Que la demande de nullité soulevée in limine litis est recevable ; 

Que l’inobservation des règles de la procédure, dans la présente instance, constitue une irrégularité de fond et doit entraîner sa nullité ; 

En conséquence, le Conseil de prud’hommes constate que Messieurs B et G n’ont pas observé les règles de la procédure ; qu’en conséquence la procédure est nulle. »

Ces décisions sont susceptibles d’appel, mais elles permettent tout de même de se faire une idée un peu plus précise de ce que l’on peut ou non rapporter de la teneur d’une audience de conciliation dans le cadre du bureau de jugement.

Surtout et en tout état de cause, au regard de la gravité de la sanction (nullité de la procédure), l’idée de faire état des pourparlers, quand bien même les parties ou leurs représentants ne seraient pas tenus par le secret professionnel, est évidemment à proscrire absolument.

Après la période d’essai, ce n’est plus la période d’essai (justement)

Droit Social

Les hasards judiciaires de la vie trépidante de notre petite structure nous ont récemment amenés à nous confronter aux principes gouvernant la confidentialité des propos tenus lors d’une audience devant le bureau de conciliation d’un Conseil de prud’hommes. Dans un cas, nous nous trouvâmes en position d’accusé, dans l’autre d’accusateur. Et ce n’est pas faire excès de modestie que d’indiquer tout de suite que, dans les deux cas, nous fûmes victorieux, quand bien même les textes gouvernant la matière ne seraient pas forcément limpides.

Le préavis en cas de rupture de période d’essai a, de tous temps, constitué un véritable casse-tête, la durée de ce dernier pouvant déborder la date de rupture, prolongeant en quelque sorte une période d’essai en réalité… achevée. L’imprécision des textes en la matière n’arrangeant il faut bien dire pas grand-chose.

Pour mémoire, l’article L 1221-25 du Code du travail prévoit le respect d’un délai de prévenance en cas de rupture d’une période d’essai. La durée de ce délai varie en fonction de la durée de présence du salarié dans l’entreprise et de la personne qui prend l’initiative de la rupture.

Ce texte précise par ailleurs que la période d’essai, renouvellement inclus, ne peut être prolongée du fait de la durée du délai de prévenance.

Que déduire alors d’une exécution dudit préavis. Du fait du respect du délai de prévenance, si ce dernier était travaillé, le risque existe de voir un salarié dont la période d’essai est rompue être présent dans l’entreprise au-delà de ladite période.

La Cour tranche en quelque sorte la question en des termes finalement assez clairs : en cas de rupture de la période d’essai, la poursuite du contrat de travail au-delà du terme de cette période pour respecter le délai de prévenance fait naître un nouveau CDI ne pouvant être rompu par l’employeur que par un licenciement (Cass. soc. 5 novembre 2014 n° 13-18.114 (n° 1932 FS-PB).

Ainsi, tout va bien, sauf si l’on a l’idée saugrenue de demander au salarié de travailler alors que l’on ne veut plus de lui et qu’on le lui a déjà notifié.

En l’espèce, le salarié était soumis à une période d’essai de trois mois devant se terminer le 16 avril. Le 8 avril, l’employeur l’avait informé de la fin de son contrat à compter du 22 du même mois. S’estimant licencié, le salarié réclamait des dommages-intérêts. La cour d’appel l’avait débouté jugeant qu’il avait bien bénéficié du préavis de deux semaines auquel il pouvait prétendre.

 

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle juge qu’en cas de rupture de la période d’essai, le contrat de travail prend fin au terme du délai de prévenance s’il est exécuté, et au plus tard à l’expiration de la période d’essai. La poursuite de la relation de travail à l’expiration de cette période donne naissance à un nouveau contrat à durée indéterminée qui ne peut être rompu à l’initiative de l’employeur que par un licenciement.

A défaut de notifier le licenciement dans les conditions légales requises, donc sans informer le salarié des motifs de la rupture, le licenciement est abusif. Le salarié ainsi licencié peut alors prétendre, en application de l’article L 1235-5 du Code du travail, à la réparation du préjudice nécessairement subi (Cass. soc. 24 janvier 2006 n° 04-41.341) et dont l’étendue est souverainement appréciée par les juges du fond (Cass. soc. 25 septembre 1991 n° 88-41.251 ; 14 mai 1998 n° 96-42.104).

L’employeur a donc intérêt à rompre la relation de travail au plus tard au terme de la période d’essai même si le préavis ne peut plus être exécuté. Ce manquement ne rend pas le contrat définitif et la rupture ne s’analyse pas en un licenciement (Cass. soc. 23-1-2013 n° 11-23.428). De manière plus générale, il est donc recommandé, en cas de rupture de période d’essai d’un salarié ne donnant pas satisfaction, de ne surtout pas lui faire effectuer un préavis qui perdurerait au-delà de la durée de ladite période.

Pour mémoire, sauf s’il a commis une faute grave, le salarié dont la période d’essai est rompue a droit à une indemnité compensatrice égale au montant des salaires et avantages qu’il aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du délai de préavis, conformément à l’article L 1221-25 du Code du travail tel que complété par l’ordonnance 2014-699 du 26 juin 2014 (ordonnance venue préciser des textes pour le moins abscons comme l’avait justement relevé la Cour de cassation dans son rapport annuel de 2012).

Sébastien Bourdon

On ne badine (toujours) pas avec la rémunération

Droit Social

Il y a quelques mois déjà, certains médias, brillant par leur sens de l’analyse et de la précision affirmaient, sur la foi de décisions rendues par la Cour de cassation, que : « un salarié ne peut plus refuser toute modification de son contrat de travail décidée unilatéralement par son patron ».

En réalité, cette erreur d’analyse de décisions rendues le 12 juin dernier venait d’une transcription quelque peu hâtive d’une dépêche AFP. Erreur fréquente que certains ont corrigé, mais sans toutefois pouvoir en empêcher la diffusion préalable, sur les réseaux sociaux notamment.

Qu’a en réalité dit la Cour de cassation, tel est le propos à suivre.

Ces deux décisions du 12 juin 2014 s’inscrivent dans le sillage de trois arrêts du 26 mars 2014, rendus en formation plénière, par lesquels la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé que la notion de manquement grave pouvant justifier la prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail ou sa résiliation judiciaire aux torts de l’employeur s’entend d’un manquement empêchant la poursuite du contrat de travail (Cass. soc. 26-3-2014 n° 12-23.634, 12.35.040, 12-21.372 : FRS 10/14 inf. 8 p. 7 ou FR 24/14 inf. 9 p. 22).

La perturbation que le manquement de l’employeur apporte au bon déroulement de la relation contractuelle est, en effet, également prise en compte ici pour débouter les salariés de leur demande de résiliation judiciaire du contrat de travail fondée sur la modification unilatérale de leur rémunération contractuelle. Le raisonnement de la Cour paraît également pouvoir être retenu s’agissant de la prise d’acte de la rupture du contrat.

En réalité, la Cour de cassation affirme que la simple modification du mode de rémunération du salarié ne justifie pas nécessairement la rupture dudit contrat, il n’y a aucun caractère d’automaticité.

Il est vrai que les interrogations des praticiens étaient légitimes dans la mesure où des arrêts antérieurs de la chambre sociale de la Cour de cassation avaient laissé entendre que le mode de rémunération contractuel d’un salarié constituant un élément du contrat de travail, il ne pouvait être modifié sans son accord même pour un système plus avantageux. Dans ces conditions, une modification du contrat portant sur cet élément justifiait systématiquement sa résiliation à l’initiative du salarié (notamment Cass. soc. 22-2-2006 n° 03-47.639 et Cass. soc. 10-10-2007 n° 04-46.468 : sur une demande de résiliation judiciaire ; Cass. soc. 5-5-2010 n° 07-45.409 : sur une prise d’acte de la rupture). Il n’en va donc plus de même aujourd’hui.

La première affaire concernait un attaché commercial embauché sur la base d’un contrat de travail prévoyant le versement d’une rémunération fixe complétée par des commissions calculées à des taux variables. En mars 2008, un avenant prévoyant une modification du mode de rémunération à effet rétroactif au 1er janvier précédent, était proposé au salarié, ce dernier refusant de le signer.

Cette modification lui ayant été néanmoins appliquée, le salarié, dénonçant ce qu’il qualifiait de « modification unilatérale de son contrat de travail », a saisi la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de l’employeur. Les juges du fond, après avoir constaté que, malgré l’application de taux de commissionnements fréquemment moins avantageux, le montant cumulé des éléments variables de rémunération calculés chaque mois et des primes allouées était supérieur au montant qui serait résulté de la simple application de la grille de commissionnements dont le salarié avait bénéficié en 2007, avaient débouté l’intéressé. A leurs yeux, les manquements de l’employeur aux règles contractuelles n’ayant pas été préjudiciables au salarié ne pouvaient être considérés comme suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail, ce qu’a confirmé la Cour de cassation.

La deuxième espèce concernait un VRP auquel son employeur avait, en 2005, notifié une baisse de son taux de commissionnement de 33 % à 25 % sur la vente de certains matériels dont il avait la charge, alors qu’il avait antérieurement refusé de signer l’avenant contractuel correspondant. La Cour de cassation approuve là encore les juges du fond d’avoir débouté le salarié au motif, cette fois, que la modification unilatérale du contrat de travail ne représentait qu’une faible partie de la rémunération.

Evidemment, une lecture rapide de ces décisions pourrait laisser penser que la Cour, dans un élan inattendu, aurait soudainement décidé de laisser totalement la main à l’employeur s’agissant de la modification de la rémunération du salarié, réalisant ainsi les rêves les plus fous de Pierre Gattaz.

Il n’en est naturellement rien et il ne faut pas déduire de ces arrêts (ou des dépêches de l’AFP) que l’employeur pourrait dorénavant à sa convenance imposer une modification du contrat de travail au salarié. Une modification de la rémunération, dans son montant ou dans sa structure, ne peut toujours pas être imposée unilatéralement au salarié, et ce quelle que soit son importance.

Par ailleurs, le silence conservé par le salarié et la poursuite du contrat de travail aux nouvelles conditions imposées par l’employeur, même pendant une longue période, ne permet pas de déduire une acceptation tacite (notamment : Cass. soc. 17-9-2008, n° 07-42.366). Et il reste possible au salarié d’exiger la poursuite du contrat aux conditions antérieures (Cass. soc. 26-6-2001 n° 99-42.489).

Le changement opéré par les arrêts du 12 juin concerne uniquement l’issue de la prise d’acte de la rupture de son contrat par le salarié ou de sa demande de résiliation judiciaire : la rupture ne sera prononcée aux torts et griefs de l’employeur que si son manquement empêche la poursuite de l’exécution du contrat.

Il convient donc désormais de distinguer le manquement incontestable que commet l’employeur en modifiant unilatéralement le contrat, de ses conséquences sur la poursuite de la relation contractuelle. Ces dernières dépendent en effet de l’appréciation de la gravité du manquement commis, gravité appréciée par les juges du fond au regard des circonstances de fait exposées par les parties.

Dans un contexte où a été facilité et accéléré la phase judiciaire de la prise d’acte de rupture (https://bourdonavocats.fr/blog/bourdonnement.asp?id=18), la mise en place de tels freins jurisprudentiels ne peut qu’être saluée.

Optimisme législatif et marasme judiciaire

Droit Social

Pas plus tard qu’hier matin, j’étais au Conseil de prud’hommes de Nanterre, patientant gentiment que vienne mon tour (trois heures d’attente quand même). Avec quelques Confrères, nous évoquions les derniers développements afférents à la prise d’acte de la rupture, sujet en pointe dans l’un des dossiers de la matinée, et ce d’autant que le législateur s’est penché sur les aspects procéduraux de cette question juste avant l’été.

Il vous a en effet peut-être échappé que dorénavant, en cas de prise d’acte de la rupture du contrat par un salarié, l’affaire sera directement portée devant le bureau de jugement qui statuera dans le délai d’un mois suivant sa saisine. Le Parlement a en effet définitivement adopté le 18 juin dernier la proposition de loi relative à la procédure applicable devant le conseil de prud’hommes dans le cadre d’une prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié. Est donc supprimée donc la phase dite de conciliation (comme en matière de requalification de CDD par exemple – article L 1245-2 du Code du travail), obligeant le juge prud’homal à statuer dans le mois suivant sa saisine. Ce texte entrera en vigueur au lendemain de sa publication au Journal officiel.

Pour mémoire, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail est une construction jurisprudentielle issue des arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation du 25 juin 2003 (n° 01-42.335). Un salarié, considérant que son employeur est à l’origine de manquements sérieux dans l’exécution du contrat de travail justifiant que soit constatée sa rupture aux torts et griefs de la société, quitte l’entreprise et saisit le juge afin qu’il tranche. Si les manquements sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite des relations contractuelles, la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (avec les conséquences pécuniaires en découlant : préavis, congés payés sur préavis, indemnité de licenciement et dommages et intérêts) ; dans le cas contraire, elle produit les effets d’une démission (et le salarié se retrouve le bec dans l’eau, pouvant même être condamné le cas échéant à verser à l’employeur une indemnité pour non respect du préavis – Cass. Soc. 4 février 2009 n° 07-44.142).

Une telle procédure, à l’issue très incertaine, est à la fois périlleuse et longue. Durant cette période d’attente pendant laquelle le juge n’a pas tranché, entre la saisine du Conseil de prud’hommes et le Bureau de jugement, le salarié se trouve alors dans une situation précaire puisque ne bénéficiant d’aucune protection sociale. En effet, sauf exceptions, l’intéressé n’a en effet pas droit aux allocations de chômage, Pole emploi estimant, légitimement, qu’il existe un doute sur le caractère volontaire ou non de la rupture. Dans les gazettes spécialisées, on évoque une durée d’attente de jugement se situant entre dix et seize mois. Hier, à Nanterre, c’était trente-et-un mois pour tout le monde (sauf les licenciements économiques)…

Afin de sécuriser la situation du salarié, ou du moins de réduire son temps d’incertitude impécunieuse, le législateur a donc décidé de mettre en place une procédure accélérée du traitement contentieux des prises d’actes par le conseil de prud’hommes. Aux termes d’un nouvel article L 1451-1 inséré dans le Code du travail, lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine, sans phase de conciliation préalable.

Peut-être un peu plus au fait des réalités du terrain, les partenaires sociaux ont fait part de leur relatif pessimisme, rappelant ainsi une évidence première : fixer dans la loi un délai de jugement d’un mois ne garantit pas qu’il soit respecté. Et ce n’est pas votre serviteur, avec des dates de bureau de jugement fin mars 2017 qui va affirmer le contraire (d’autant que les délais précités ne tiennent évidemment pas compte d’une éventuelle et possible poursuite de la procédure en appel). Tous les habitués des Conseils de prud’hommes sont naturellement curieux de voir comment ces juridictions surchargées vont gérer de tels délais dans un agenda déjà surchargé.

L’enfer est pavé de bonnes intentions, le législateur s’est fait fort de nous le rappeler.

De l’art d’être jeune père et salarié

Droit Social

Prenant en compte les évolutions de la société, le législateur a récemment apporté quelques modifications au statut du jeune père salarié avec la loi 2014-873 du 4 août 2014 dite « pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes ».

Une fois n’est pas coutume, le législateur dans cette démarche, s’est attardé sur le cas du père salarié et notamment par le biais de deux dispositions détaillées ci-après.

Tout d’abord, le conjoint de la future mère pourra bénéficier de trois autorisations d’absence pendant la grossesse (article 11 de la loi précitée).

La loi modifie ainsi l’article L 1225-16 du Code du travail pour permettre au conjoint d’une future mère de se rendre à trois des examens médicaux obligatoires de suivi de la grossesse. On parle ici généralement d’échographies, pour ceux qui auraient des doutes.

Cette autorisation d’absence est accordée aux personnes mariées, mais également à celles liées par un pacte civil de solidarité ou vivant maritalement avec la future mère, quel que soit leur sexe. Une femme salariée peut donc en bénéficier.

L’autorisation d’absence étant accordée pour se rendre à des examens médicaux, la durée de l’absence devrait comprendre non seulement le temps de l’examen médical, mais également le temps du trajet aller et retour. Mais tout le monde sait qu’il ne vaut mieux habiter trop loin de la clinique…

L’employeur devrait pouvoir exiger du salarié qu’il justifie de son lien avec la future mère, mais également d’un certificat du médecin suivant la grossesse et attestant que l’absence est liée à un examen prénatal obligatoire.

Très logiquement, ces absences autorisées ne devront entraîner aucune diminution de la rémunération. Elles sont donc assimilées à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par le salarié au titre de son ancienneté dans l’entreprise.

Encore plus fort, si l’on peut dire, les jeunes pères sont même maintenant protégés pendant quatre semaines contre le licenciement (article 9 de la loi). Durant les quatre semaines qui suivent la naissance de son enfant, le jeune père ne peut être licencié que s’il commet une faute grave ou si le maintien de son contrat de travail est impossible (nouvel article L 1225-4-1 du Code du travail).

Cette protection est accordée pendant les quatre semaines qui suivent la naissance de l’enfant, que le salarié choisisse de s’absenter – dans le cadre du congé de naissance, du congé de paternité et d’accueil de l’enfant ou de congés payés – ou qu’il reste présent dans l’entreprise au cours de cette période.

L’objectif de cette mesure est d’empêcher que la situation de famille du salarié ou le fait qu’il prenne son congé de paternité devienne un motif, même inavoué, de licenciement. Les bouleversements liés à l’arrivée d’un enfant ne s’interrompant pas au bout de quatre semaines, d’aucuns pourront dire que c’est un peu court, quand d’autres trouveront que c’est déjà ça.

La protection accordée au jeune père n’interdit toutefois pas à l’employeur de le licencier s’il a commis une faute grave ou si le maintien du contrat de travail est impossible pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant, tournures que l’on rencontre déjà dans notre code du travail.

En effet, le dispositif est inspiré de la protection dite « relative » accordée aux mères pendant les quatre semaines qui suivent leur retour de congé de maternité. Les principes posés par la jurisprudence à propos des jeunes mères devraient donc logiquement être transposables aux pères.

Ainsi, la faute grave ne devrait pas pouvoir être retenue si elle est liée à la naissance de l’enfant : par exemple, une absence injustifiée liée à des problèmes de santé dont souffrirait le nouveau-né ne pourrait donc pas justifier la rupture du contrat de travail (pas encore de jurisprudence sur le fait que le délicieux bambin ne fasse toujours pas ses nuits).

S’agissant de l’impossibilité de maintenir le contrat de travail, on pense souvent aux difficultés économiques de l’entreprise, l’employeur serait tenu de justifier précisément le motif de la rupture, et de ne pas manquer de préciser en quoi le maintien du contrat de travail serait impossible.

La loi ne prévoit pas expressément les sanctions encourues par l’employeur qui licencierait un salarié dans les quatre semaines suivant la naissance de son enfant sans justifier d’une faute grave ou d’une impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant.

Par analogie avec la protection accordée aux jeunes mères, on peut considérer qu’un tel licenciement serait nul. Le salarié pourrait donc se prévaloir d’un droit à réintégration dans l’entreprise assorti d’une indemnisation compensant les salaires perdus entre son licenciement et sa réintégration ou bien, à défaut de réintégration, de dommages et intérêts ainsi que des indemnités de rupture du contrat de travail.

Sur le plan pénal, l’article R 1227-5 du Code du travail sanctionne le non-respect des règles relatives à la protection de la grossesse et de la maternité par une amende de 1 500 Euros pour une personne physique et de 7 500 Euros pour une personne morale. Mais la loi pénale étant d’application stricte, ces dispositions ne sont pas transposables en l’état aux pères salariés.

On ne doute pas de ce que les employeurs s’adapteront à ces nouvelles règles, la question est plutôt de savoir si les bénéficiaires de ces dispositions se lèveront plus souvent la nuit pour s’occuper des enfants. Mais là n’est pas l’objet de cette chronique.

Une histoire sans fin

Droit Social

On a cru n’en jamais voir l’issue, mais voilà que cette affaire qui a agité le pays se termine enfin, du moins sur un plan local. Pour mémoire, la salariée dont il est question avait été licenciée pour avoir refusé d'ôter son voile, malgré la neutralité expressément exigée par le règlement intérieur de la crèche : en assemblée plénière, la Cour de cassation admet finalement cette clause comme étant valable et le licenciement justement fondé sur une faute grave (Cass. Ass. Plén. 25 juin 2014 n° 13-28.369, X c/ Association Baby-Loup).

Pour se remémorer les divers rebondissements de cette ténébreuse affaire, je me permets un renvoi à ma précédente chronique sur ce thème, faisant suite à la décision prise par la Cour d’appel de renvoi (https://bourdonavocats.fr/blog/bourdonnement.asp?id=11).

Dans l’arrêt du 25 juin 2014 dont il est ici question, l’assemblée plénière de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la salariée contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui, statuant sur renvoi après cassation, avait jugé son licenciement fondé sur une faute grave (CA Paris 27 novembre 2013 n° 13/02891), alors que la chambre sociale de la Cour de cassation l’avait précédemment déclaré nul (Cass. soc. 19 mars 2013 n° 11-28.845).

La chambre sociale de la Cour de cassation avait rappelé dans cette affaire que le principe de laïcité ne s’applique pas aux salariés des employeurs de droit privé ne gérant pas un service public, pour lesquels toute restriction à la liberté religieuse doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence essentielle et déterminante et être proportionnée au but recherché. C’est en partant de ce postulat qu’elle avait déclaré nul le licenciement intervenu, décision remise en question par la Cour d’appel de renvoi.

Sans remettre expressément en cause la mise à l’écart de l’application du principe de laïcité, la Haute Juridiction, cette fois réunie en assemblée plénière ne retient pas l’idée quelque peu novatrice de la Cour d’appel de renvoi d’une entreprise « de tendance laïque ».

En effet, alors que la Chambre sociale de la Cour l’avait jugée trop imprécise, l’assemblée plénière de la Cour de cassation admet la licéité de la clause du règlement intérieur prévoyant que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche ».

Elle décide en effet que la cour d’appel a pu déduire de cette rédaction le caractère suffisamment précis, justifié et proportionné d’une telle restriction dans l’entreprise concernée en appréciant concrètement les conditions de fonctionnement de l’association de dimension réduite, n’employant que dix-huit salariés qui étaient ou pouvaient être en contact avec les enfants ou leurs parents.

L’assemblée plénière, considérant peut-être que la Cour de cassation avait une interprétation par trop abstraite des clauses du règlement intérieur, fait ainsi une appréciation on ne peut plus concrète des conditions de travail dans la crèche : le fait de pouvoir se croiser tous les jours (salariés, parents, enfants) dans cette petite structure justifierait de la validité de cette clause du règlement intérieur. Il y a là indéniablement un message à l’attention des rédacteurs de règlement intérieur, devant impérativement de tenir compte des conditions réelles de travail et de la taille de l’entreprise concernée. On ne peut par ailleurs que se réjouir de cette tendance de la Cour de cassation à « mettre les mains dans le cambouis » pour déterminer les solutions à retenir.

Cette obligation de neutralité est également jugée justifiée par les tâches accomplies par les salariés, les activités en contact avec de jeunes enfants seraient donc de nature à légitimer une restriction de la liberté des salariés de manifester leurs convictions religieuses (difficile de ne pas considérer que le signe religieux dont il était ici objet, un voile pouvant plus ou moins dissimuler le physique de la salariée, n’ait pas pesé dans la décision rendue, s’agissant d’un lieu ayant surtout vocation à accueillir des enfants).

Toutefois, alors que la cour d’appel de Paris avait qualifié la crèche d’entreprise de conviction au sens de la jurisprudence européenne, la Cour de cassation rejette cette qualification dès lors que cette association a pour objet, non de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques, mais, aux termes de ses statuts, de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes, sans distinction d’opinion politique et confessionnelle.

Si la Haute Juridiction disqualifie cet argument des juges d’appels, elle considère en réalité qu’il est surtout inopérant sur la solution du litige.

Elle tranche en affirmant que le licenciement de la salariée a pu être jugé fondé sur une faute grave en raison de son refus d’accéder aux demandes licites de son employeur de s’abstenir de porter le voile et des actes d’insubordinations répétés et caractérisés dans la lettre de licenciement, rendant impossible la poursuite du contrat de travail.

Cette décision met donc fin au litige devant les juridictions nationales. Cependant, un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme reste possible et qui sait, probable.

Tout est dans le paramétrage

Droit Social

Il y a peu, j’évoquais les conséquences pour un salarié d’un abus de l’utilisation d’Internet durant les heures de travail, au détriment de ce pour quoi il est présent, c’est-à-dire l’accomplissement de ses tâches quotidiennes.

Récemment, la Cour d’appel de Lyon est venu se pencher sur une autre problématique, là encore on ne peut plus contemporaine, celle des propos tenus par les salariés sur les réseaux sociaux, plus ou moins directement afférents à l’entreprise (CA Lyon 24 mars 2014 n° 13-03463, ch. soc. A, SA Catesson c/ D).

On aurait légitimement tendance à croire que les propos que l’on publie sur Facebook relèvent de la sphère privée, ne pouvant en principe être lus que par nos « amis » (ou « friends » pour les anglo-saxons). Une conversation de salon en somme. La Cour d’appel de Lyon, faisant montre d’une connaissance des technologies de l’information dont d’aucuns auraient pu malicieusement douter affine quelque peu ce raisonnement.

Ainsi, à la question l’employeur peut-il sanctionner un salarié pour avoir tenu sur un réseau social des propos concernant l’entreprise ou ses membres qui dépasseraient selon lui les limites du droit à la liberté d’expression dont bénéficie tout salarié, la Cour répond par un examen sourcilleux de la technologie applicable sur lesdits réseaux sociaux.

Il était ici demandé à cette dernière de se prononcer sur la légitimité du licenciement pour faute grave d’un salarié, conducteur routier, auquel l’employeur reprochait d’avoir tenu sur Facebook des propos qu’il qualifiait de diffamatoires et insultants à l’égard des dirigeants et de l’entreprise, affirmant que de nombreux salariés et clients avaient eu accès, ce qui aurait nui à l’image de l’entreprise.

De manière un peu lapidaire, la Cour, estimant que l’employeur ne rapportait pas la preuve que des clients de l’entreprise avaient eu accès aux propos litigieux, écarte la faute grave, partant du principe que dans une entreprise occupant plus de cent-cinquante salariés, il était peu probable que les clients de celle-ci aient connaissance de l’identité des membres de son personnel. Le raisonnement peut paraître surprenant, la société semblant vue comme un vase clos, avec des salariés sans contacts avec la clientèle.

La Cour d’appel fait en revanche état de sa connaissance du fonctionnement réseau fondé par Mark Zuckerberg, en s’intéressant de très près aux paramètres du « mur » du salarié concerné. Pour accéder à celui-ci, il suffisait simplement de saisir sur ce réseau social les nom et prénom de l’intéressé. Partant de cette facilité d’accès, du fait de l’absence de verrouillage des critères de confidentialité par le salarié, la cour d’appel admet alors la cause réelle et sérieuse du licenciement.

En effet, pour les juges du fond, même si les propos tenus par le salarié s’apparentaient en l’espèce plus à l’expression d’un malaise qu’à une volonté de porter atteinte à l’image de l’entreprise, ils décrivaient néanmoins la société en des termes injurieux et peu flatteurs démontrant un abus par le salarié de sa liberté d’expression.

Pour la Cour d’appel, la facilité d’accès au mur du salarié, notamment par plusieurs de ses collègues de travail titulaires d’un compte Facebook, avait donné un caractère public aux propos tenus. C’est donc le salarié lui-même, précise la cour d’appel, qui avait pris le risque de donner de la publicité à des propos qu’il estimait privés (en tout cas, c’est ce qu’il affirmait après coup…).

Ce n’est pas la première fois que les juges du fond procèdent à une distinction selon que le salarié a ou non paramétré son compte de manière à garantir la confidentialité de ses propos sur Facebook (cf. CA Besançon 15 novembre 2011 n° 10-02642 : N-VIII-7522). Dans le même esprit, la première chambre civile de la Cour de cassation, a jugé que des propos concernant l’employeur tenus par un salarié sur son compte Facebook ne peuvent constituer le délit d’injure publique – et justifier une action en dommages-intérêts sur ce fondement – dès lors qu’ils ne sont accessibles qu’aux seules personnes agréées par l’intéressé, en nombre très restreint (Cass. 1e civ. 10 avril 2013 n° 11-19.530 : N-VIII-7532).

Ainsi, peu importe ce que l’on écrit, l’essentiel étant de savoir qui peut le lire !

L’heure c’est l’heure

Droit Social

En toute logique, la Cour de cassation poursuit la construction d’un édifice jurisprudentiel afférent aux conventions de forfait-jours (problématique déjà évoquée sur ces lignes et que l’on peut retrouver ici : https://bourdonavocats.fr/blog/bourdonnement.asp?id=8). L’exercice pour l’employeur est finalement périlleux : il faut prévoir de manière rigide un système en apparence souple.

Ainsi, le 12 mars dernier, la Cour de cassation a arrêté le principe suivant : toute convention de forfait en jours doit fixer exactement le nombre de jours travaillés. Par ailleurs, l’entretien annuel sur la charge de travail doit bénéficier à tous les salariés soumis au dispositif y compris ceux qui ont signé leur convention avant le 22 août 2008 (Soc. 12 mars 2014, FS-P+B, n° 12-29.141).

Pour mémoire, la chambre sociale a précisé que toute convention de forfait en jours devait être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires, et que lorsque l’employeur ne respecte pas ces stipulations, le salarié peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l’existence et le nombre (nombre de jours devant être compatible avec les dispositions sur les durées maximales de travail – Soc. 29 juin 2011, n° 09-71.107).

Par ce nouvel arrêt, la Cour reste dans la même ligne, sans ambigüité. En l’espèce, un salarié avait saisi le Conseil des prud’hommes à la suite son licenciement pour faute grave. Ce dernier sollicitait notamment que soit constatée la nullité de sa convention de forfait-jours. Cette demande se justifiait selon lui à deux titres : le défaut de la mention du nombre exact de jours travaillés et l’absence d’entretien annuel relativement à la charge de travail, à l’organisation du travail dans l’entreprise et à l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle conformément aux dispositions de l’article L. 3121-46 du code du travail.

Sur l’absence du nombre exact de jours travaillés, la cour d’appel de Versailles a débouté le salarié de sa demande au motif que « la fourchette de 215 à 218 jours de travail indiquée dans la lettre d’embauchage et sur les bulletins de salaire ne fait que traduire l’impossibilité de déterminer de façon intangible le nombre maximum de jours travaillés chaque année du fait des variables liées au calendrier ; que cette marge d’incertitude infime et commune à tous les forfaits annuels ne remet pas en cause leur validité ». La Cour de cassation n’a naturellement pas retenu cette souplesse accordée à l’employeur par la cour d’appel et, au visa de l’article L. 3121-45 du code du travail, cassé en ces termes lapidaires : « une convention de forfait en jours doit fixer le nombre de jours travaillés ». Sur cet aspect contractuel comme sur d’autres, il appartient aux parties de préciser la nature de leurs obligations et donc de fixer précisément le nombre de jours compris dans la convention individuelle.

Sur le défaut d’organisation d’entretien annuel, les juges du fond ont condamné l’employeur au paiement d’une indemnité pour exécution déloyale de la convention de forfait en jours. En tout état de cause, en n’organisant pas cet entretien annuel, lequel relève manifestement des garanties apportées par le législateur en matière de santé et de repos, l’employeur s’expose à ce que la convention de forfait soit privée d’effet.

Cette décision est limpide quant à certaines des précautions à prendre par l’employeur pour se préserver de déconvenues prud’homales potentielles : ne pas manquer de préciser le nombre de jours travaillés dans la convention de forfait et ne pas oublier d’organiser au moins annuellement un entretien avec le salarié concerné sur les conditions d’exécution de son travail.

Trop de virtuel et c’est la porte

Droit Social

L’utilisation d’internet sous toutes ses formes et variantes est à même de fournir au praticien de droit du travail une jurisprudence abondante, et ce pour encore un moment.

Ainsi, récemment, la Cour de cassation a tranché l’épineuse question du sort d’un salarié qui « inondait ses collègues de vidéos humoristiques » (si j’osais j’écrirais : « LOL »). Sans trop de surprises, il s’est avéré que ce dernier, selon la Cour, par ce comportement, commettait une faute (Cass. soc. 18 décembre 2013 n° 12-17.832 (n° 2163 F-D), Sté REM c/ B).

La Cour de cassation a donc considéré que le fait pour un salarié de se connecter de manière répétée à Internet sur son temps de travail et d’envoyer par courriel à ses collègues des centaines de vidéos à caractère sexuel, humoristique, politique ou sportif constitue une faute.

En l’espèce, le facétieux travailleur a été licencié après qu’un de ses collègues ait fini par se plaindre d’être dérangé dans son travail par ses envois répétés de vidéos par courriel (on eût pu rétorquer qu’il n’était pas obligé de les ouvrir, mais ce point ne semble pas avoir été évoqué). A la suite de cette réclamation inhabituelle, l’employeur a mené une enquête et constaté que l’intéressé, pendant son temps de travail, s’était connecté à de nombreuses reprises à Internet et y avait téléchargé des vidéos à caractère sexuel, humoristique, politique et sportif. Il avait ensuite transféré ces vidéos à certains de ces collègues par message électronique. Un huissier de justice mandaté par l’employeur avait tout de même constaté l’envoi de pas moins de 178 courriels de ce type ( !).

Face à cette débauche virtuelle, l’employeur a licencié l’impétrant pour faute grave.

La Cour d’appel saisie du litige a pourtant jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’employeur ne démontrant pas que les agissements du salarié aient été de nature à porter atteinte à l’image de la société ou à porter préjudice à son fonctionnement, ni que le temps passé par le salarié à l’envoi de ces messages ait été à l’origine d’une négligence dans les tâches qui lui incombaient (de manière curieuse, la Cour ne semble pas s’être intéressée aux conséquences du comportement du salarié sur le travail de ses collègues, sachant que la procédure avait été justement mise en branle à la suite d’une réclamation de l’un d’entre eux).

La Cour de cassation a censuré cette analyse et considéré que le licenciement avait été correctement motivé par l’employeur, qui reprochait au salarié un manquement aux dispositions du règlement intérieur de l’entreprise et à ses obligations contractuelles, l’intéressé étant censé consacrer son temps de travail à l’accomplissement de ses tâches et missions (de là à dire que c’est l’évidence même…). La Cour de cassation en a donc conclu que le salarié avait commis une faute, sans préciser son degré de gravité, renvoyant pour ce faire à une autre cour d’appel le soin de qualifier ces manquements : faute grave ou cause réelle et sérieuse de licenciement.

La Cour de cassation semble maintenant systématiquement considérer qu’un salarié qui néglige son travail pour se connecter à Internet de manière extraprofessionnelle manque à ses obligations et encourt un licenciement (Cass. soc. 18 mars 2009 n° 07-44.247 : NB-I-73280). Ainsi, l’abus est caractérisé et justifie un licenciement pour faute grave lorsque le salarié consacre l’essentiel de ses heures de travail à naviguer sur des sites dépourvus de tout lien avec son activité professionnelle : jugé à propos d’un salarié qui s’était connecté plus de 10 000 fois en un mois à des sites de voyage, de prêt-à-porter, de comparaison de prix et de réseaux sociaux (Cass. soc. 26 février 2013 n° 11-27.372 : NB-I-73290).

Cette jurisprudence n’est pas sans également évoquer l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Pau afférent à l’utilisation de Facebook sur le lieu de travail (CA Pau 13 juin 2013 n° 11/02759, ch. soc., Sté BPS Pays Basque c/ C).

Ladite Cour d’appel avait ici jugé qu’un salarié qui se connecte quotidiennement à des réseaux sociaux et à sa messagerie personnelle pendant les heures de travail commet une faute justifiant son licenciement.

Ces consultations s’étant faites au détriment de son travail, l’employeur a donc prononcé un licenciement pour faute grave. La cour d’appel a admis la validité du licenciement, mais a toutefois considéré que les manquements du salarié n’étaient pas suffisamment graves pour justifier la rupture immédiate du contrat de travail, requalifiant le licenciement en cause réelle et sérieuse.

De telles sanctions sont devenues d’autant plus faciles à prononcer qu’il est relativement aisé de contrôler l’activité du salarié. En effet, dans la mesure où elles sont présumées avoir un caractère professionnel, les connexions internet établies par le salarié durant son temps de travail au moyen de son ordinateur professionnel peuvent être librement contrôlées par l’employeur (Cass. soc. 9 juillet 2008 n° 06-45.800 ; Cass. soc. 9 février 2010 n° 08-45.253: RJS 5/10 n° 399 : N-VIII-7440 s.). Un salarié ne peut donc pas contester devant le juge prud’homal la légitimité d’un tel contrôle au motif qu’il y a été procédé hors de sa présence.

Mais il arrive qu’il conteste être l’auteur des connexions internet litigieuses, et c’est ce qui s’était produit en l’espèce, du moins pour les connexions de l’intéressé à des réseaux sociaux et à sa messagerie personnelle Hotmail. Non sans un certain aplomb, le salarié faisait ici valoir que les ordinateurs de l’entreprise étant accessibles à l’ensemble du personnel, et les codes d’accès connus de tous, il n’était pas possible de lui imputer lesdites connexions.

Certes, l’employeur doit sécuriser l’accès aux ordinateurs professionnels des salariés. Il commet même un manquement à la loi « informatique et libertés » en permettant un tel accès au moyen de mots de passe faciles à deviner et pas assez souvent renouvelés (Délibération Cnil 2013-139 du 30-5-2013). Et il risque également dans ce cas d’avoir plus de mal à imputer des connexions internet abusives à un salarié en particulier. L’argument soulevé en l’espèce par le salarié n’était donc pas incohérent. Mais la Cour d’appel a estimé qu’il n’y avait aucun doute sur ce dernier point : les connexions, sur le compte Facebook et la messagerie personnelle du salarié, exigeaient des mots de passe qu’il pouvait seul utiliser, de sorte qu’il ne pouvait nier en être l’auteur.

Notre salarié précédemment évoqué, amateurs de vidéos « comiques » et soucieux de les partager, ne semble quant à lui pas avoir fait valoir un tel argument, ne niant donc pas être à l’origine de ce flots de vidéos téléchargées.

De l’affichage du religieux sur le lieu de travail épisode 2

Droit Social

Comme le disait joliment le Professeur Jean-Emmanuel Ray lors d’un congrès, « la jurisprudence progresse à coups d’arrêts », force est de constater que l’actualité récente se fait le juste écho d’un tel propos.

Dans un arrêt de la Cour de cassation du 19 mars dernier (Cass. Soc. 19 mars 2013 n° 11-28.845), il était affirmé que les principes de laïcité et de neutralité ne pouvaient pas être invoqués pour restreindre la liberté de religion des salariés employés dans une entreprise n’assurant pas la gestion d’un service public (arrêt déjà évoqué sur ces lignes, que vous pouvez maintenant retrouver en ligne à cette adresse : https://bourdonavocats.fr/blog/bourdonnement.asp?id=1).

Le sujet semblait ainsi clos ou presque, et l’on attendait pas forcément autre chose qu’un acquiescement à l’édiction de ce principe par la Cour d’appel de renvoi. Il n’en fut rien, cette dernière relançant ainsi le débat par sa décision : une personne morale de droit privé, qui assure une mission d’intérêt général peut, dans certaines circonstances, constituer une entreprise de conviction au sens de la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’homme et se doter de statuts et d’un règlement intérieur prévoyant une obligation de neutralité du personnel justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché (Cour d’appel de Paris, 27 novembre 2013, n° 13/02981).

En l’espèce et pour mémoire, la question de cette restriction à la liberté religieuse par une obligation de neutralité était posée s’agissant d’une crèche associative (Baby-Loup) se revendiquant comme « laïque ».

Ce nouveau rebondissement obligera vraisemblablement cette fois l’Assemblée plénière à se positionner sur le fond : est-ce qu’une entreprise « laïque » peut-être considérée comme une « entreprise de conviction » justifiant à son égard l’applicabilité de règles et restrictions relevant en principe du secteur public ? Dans ce cadre, quel rôle le règlement intérieur de l’entreprise doit-il jouer dans l’encadrement et la restriction des libertés individuelles dans l’entreprise ?

La cour d’appel revient en effet fortement sur la notion d’entreprise « de conviction » comme pouvant justifier une obligation de neutralité imposée aux salariés. Par ailleurs, la Cour d’appel persiste à rappeler que Baby-Loup, crèche associative privée, a des missions d’intérêt général « fréquemment assurées par des services publics et d’être en l’occurrence financée […] par des subventions de l’État ».

La Cour suit ici une logique difficilement contestable : les crèches sont souvent assumées par l’État comme relevant d’une mission de service public, et on ne peut reprocher à des parents, faute de places en crèche publique (phénomène fréquent…), de vouloir une prise en charge similaire pour leur enfant dans le cadre d’une crèche privée, notamment concernant l’obligation de neutralité du personnel éducatif. Ainsi, la crèche privée qui répondrait à cette attente de neutralité, qui en ferait la promotion et l’inscrirait dans ses statuts, devrait alors pouvoir être considérée comme une « entreprise de tendance laïque ».

La reconnaissance juridique d’une entreprise définie ainsi serait lourde de conséquences puisqu’elle permettrait à l’employeur d’apporter des restrictions « aux droits et libertés des salariés au nom des valeurs défendues » par l’entreprise.

Dans son arrêt du 27 novembre dernier, la Cour d’appel de Paris fait référence à la notion d’entreprise de conviction « au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ». Ladite jurisprudence reconnaît effectivement la possibilité à l’employeur d’imposer des obligations de loyauté spécifique au regard de son éthique, mais elle s’attache évidemment à contrôler rigoureusement la proportionnalité des atteintes aux libertés individuelles et surtout à examiner ce qui justifie de telles atteintes aux libertés.

Ce contrôle pourrait donc être fait sur les motivations de l’employeur lors du licenciement, au regard des motifs de la lettre de licenciement qui, comme le veut le principe, « fixe les termes du litige ». Mais, cet arrêt montre aussi toute l’importance qu’il faut attacher au règlement intérieur et à ses dispositions.

La question qui se pose donc toujours est donc de savoir si dans une crèche privée, il est justifié et proportionné de restreindre les manifestations d’appartenance religieuse et d’exiger ainsi une stricte neutralité de la part de l’ensemble du personnel.

Pour qu’une telle interdiction puisse être admissible au regard du droit européen, encore faut-il que le règlement intérieur édictant cette interdiction soit d’une précision sans faille et explicite les raisons qui ont conduit à cette restriction des libertés du salarié. Or, ce n’était pas le cas dans l’affaire Baby-Loup, le règlement intérieur de la crèche, comme l’a relevé l’arrêt de cassation du 19 mars 2013, instaurant « une restriction générale et imprécise, [qui] ne [répond] pas aux exigences de l’article L. 1321-3 du code du travail ».

L’Assemblée plénière devra donc finalement trancher et décider s’il est possible pour une entreprise de se voir reconnaître le statut d’entreprise de tendance « laïque » justifiant la mise en place d’interdits jusque là uniquement envisageables au sein de structures assurant la gestion d’un service public, mais également quel y sera le rôle particulier du règlement intérieur dans la restriction des libertés individuelles…

Ce matin même sur France Inter, le défenseur des Droits, Dominique Baudis, à propos de la laïcité , évoquait le fait que ce dont le citoyen avait aujourd’hui surtout besoin, ce n’était pas de plus de législation, mais de plus de clarté. On ne saurait mieux dire….