Connexions internet et réseaux sociaux; La preuve du manquement

Droit Social

Les échanges virtuels et leurs éventuelles conséquences sur la relation de travail continuent à produire, très logiquement, une abondante jurisprudence permettant de mieux déterminer ce qui devrait être sanctionné par l’employeur et à partir de quelles preuves indiscutables.

Dans cette première affaire (CA Poitiers, 4 mai 2016 n° 15/04170), il était reproché à un salarié, éducateur dans une association d’aide aux personnes handicapées mentales, d’avoir eu sur Facebook des échanges avec un résident handicapé dont il avait la charge, qui présentaient un caractère humiliant pour ce dernier et pouvaient, selon l’employeur, être assimilés à un acte de maltraitance susceptible d’engager la responsabilité de l’association. Une affaire où la subtilité et l’élégance étaient donc au rendez-vous.

Le litige soumis à la cour d’appel soulevait deux problématiques, le caractère privé des propos échangés par un salarié sur Facebook et la possibilité pour l’employeur de se prévaloir devant le juge, à des fins de preuve de la faute reprochée au salarié, d’une conversation privée, protégée en tant que telle par le secret des correspondances.

En effet, il s’avère que les échanges dont il était question s’étaient tenus sur les profils sécurisés des impétrants et n’étaient donc pas accessibles à n’importe quel quidam connecté.

Sur ce point, à ce jour, les Cours d’appel saisies analysent systématiquement les paramétrages du compte des utilisateurs Facebook afin de déterminer si les conversations revêtent ou non un caractère privé. Ainsi, un employeur a été admis à se prévaloir des propos tenus par un salarié n’ayant pas activé les critères de confidentialité de son compte Facebook (CA Lyon 24-3-2014 n° 13/03463 : RJS 7/14 n° 535) ainsi que du message laissé par un salarié sur la page d’un « ami », l’intéressé s’exposant au risque que cette personne ait des centaines d’« amis » ou n’ait pas bloqué les accès à son profil, de sorte que tout individu inscrit sur le réseau social pouvait accéder librement à ce message (CA Reims 9-6-2010 n° 09/3209 : RJS 1/11 n° 5). La première chambre civile de la Cour de cassation a opéré une distinction similaire pour la qualification des injures proférées par un salarié sur ce réseau social. Elle en a rejeté le caractère public après avoir constaté que les propos litigieux étaient accessibles aux seules personnes agréées par ce dernier, en nombre très restreint (Cass. 1e civ. 10-4-2013 n° 11-19.530 FS-PBI : RJS 6/13 n° 429). La chambre sociale n’a quant à elle pas encore statué sur ce point et il va de soi que nous sommes curieux de voir comment elle tranchera.

En l’espèce, l’employeur avait versé aux débats des captures d’écran desdites conversations privées sur Facebook et la Cour d’appel de Poitiers les a étonnamment considérées comme recevables en se basant sur le principe jurisprudentiel du droit à la preuve.

Le « droit à la preuve » est un principe consacré par la Cour européenne des droits de l’Homme. L’atteinte à la vie privée peut être le cas échéant justifiée par l’exigence de protection des droits de la défense, si elle reste proportionnée au regard des intérêts antinomiques en présence.

Ce principe jurisprudentiel a déjà été mis en œuvre dans certaines affaires par la chambre commerciale et la première chambre civile de la Cour de cassation.

La chambre sociale de la Cour de cassation n’en a semble t’il à ce jour jamais fait application. Le bal a donc été ouvert par la Cour d’appel de Poitiers. L’atteinte à la vie privée et au secret des correspondances du salarié est apparue aux juges comme étant proportionnée au but poursuivi – ce qui peut s’expliquer par le domaine d’activité concerné et qui ressort clairement de la motivation de l’arrêt : « pour un employeur dont la mission est la prise en charge de personnes handicapées afin de leur permettre d’exercer une activité dans un milieu protégé, d’assurer la protection d’un résident souffrant d’une déficience mentale et physique et bénéficiant d’un statut de majeur protégé contre les agissements d’un moniteur éducateur susceptibles de constituer des actes de maltraitance ».

La Cour suprême va avoir l’occasion de se prononcer puisque la décision a fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

Ce problème de recevabilité de la preuve a toutefois été sans grande incidence pour le salarié éducateur spécialisé puisque la cour d’appel a écarté non seulement la faute grave mais également la cause réelle et sérieuse de son licenciement. Elle a reconnu que les propos incriminés, présentant effectivement un caractère humiliant, mais exclusifs d’une volonté de maltraitance, auraient pu justifier un licenciement sans pour autant constituer une faute grave au regard des circonstances de l’espèce, du parcours professionnel de l’éducateur et de son attitude après la révélation des faits.

Mais il existait également un troisième barreau à grimper pour l’employeur dans cette affaire : ce dernier avait en effet dans la procédure de rupture méconnu les dispositions relatives aux conditions du licenciement prévues par la convention collective applicable.

Ce problème de preuve a également surgi dans deux autres arrêts de cours d’appel s’agissant d’affaires dans lesquelles l’employeur reprochait à un salarié des connexions internet abusives (CA Aix-en-Provence 8-7-2016 n° 14/11313, 9e ch. A CA Nîmes 26-7-2016 n° 15/04114, ch. soc.).

Pour mémoire, le contrôle par l’employeur des connexions internet réalisées par un salarié à partir de son ordinateur de travail est légitime, car présumées avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur peut les rechercher aux fins de les identifier, même hors de la présence de l’intéressé (notamment Cass. soc. 9-7-2008 n° 06-45.800 F-P : RJS 11/08 n° 1071 ; Cass. soc. 9-2-2010 n° 08-45.253 F-D : RJS 5/10 n° 399).

La jurisprudence de la Cour de cassation considère en effet que les outils informatiques de l’entreprise sont présumés être utilisés à titre professionnel de sorte que l’employeur peut librement les contrôler, sous réserve, s’agissant des courriels transitant par la messagerie professionnelle et des fichiers informatiques enregistrés sur l’ordinateur de travail du salarié, qu’ils n’aient pas été identifiés comme personnels par l’intéressé (Cass. soc. 18-12-2006 n° 04-48.025 F-PB : RJS 12/06 n° 1241 ; Cass. soc. 15-12-2010 n° 08-42.486 F-D : RJS 2/11 n° 92).

Mais le salarié peut ensuite nier être l’auteur desdites connexions, c’est humain n’est-ce pas. Il appartient alors à l’employeur d’établir la véracité de ses affirmations, ce qui ne sera pas forcément aisé, s’agissant d’informatique. Devant la cour d’appel de Nîmes, le salarié réfutait ainsi être l’auteur des nombreuses connexions sur des sites internet sans rapport avec son activité professionnelle, s’agissant notamment et évidemment de sites polissons. Cela n’avait pas empêché la notification d’une mise à pied disciplinaire de trois jours.

Les juges du fond saisis relèvent toutefois que l’employeur n’avait adopté aucune charte informatique, que l’ordinateur à partir duquel les connexions litigieuses avaient eu lieu était en libre accès et non protégé par un mot de passe et que cet ordinateur était situé dans une pièce à laquelle pouvaient accéder tous les salariés disposant d’un pass. Et c’est ainsi que l’employeur s’est trouvé dans l’incapacité de démontrer ses assertions, entraînant l’annulation de la mise à pied disciplinaire par les juges.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence poursuit un raisonnement identique : elle juge sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute d’un salarié auquel il était reproché de s’être connecté sur internet à des fins strictement personnelles durant une importante partie de son temps de travail, l’intéressé niant être l’auteur de ces connexions et l’employeur échouant donc à prouver le contraire.

Pour démontrer son innocence, le salarié avait notamment versé des attestations de ses collègues dans lesquelles ces derniers expliquaient que les codes d’accès aux ordinateurs de l’entreprise étaient uniquement composés des initiales de leurs utilisateurs habituels et que les doubles des clés de l’ensemble des bureaux étaient accessibles à tous, de sorte que n’importe quel salarié pouvait avoir accès au poste informatique de l’intéressé.

L’intérêt de sécuriser l’accès aux ordinateurs, évident dans ses affaires, est en réalité double. D’abord comme exposé, pour disposer de preuves tangibles et recevables en cas de manquement, mais aussi afin de respecter l’obligation de confidentialité des données. Une société s’est ainsi vu infliger par la Cnil une amende après que celle-ci eût constaté que les mots de passe utilisés pour permettre l’accès aux ordinateurs professionnels étaient pour la plupart composés d’une suite de cinq caractères, correspondaient pour certains salariés à leur prénom ou nom de famille et étaient restés inchangés depuis longtemps (Délibération Cnil 2013-139 du 30 mai 2013).

« Prendre en flag » étant un art difficile, il est donc sage de prendre des précautions et de ne pas manquer de les reconsidérer régulièrement.

Géographie de la rémunération

Droit Social

Dis-moi où tu travailles et peut-être pourrais-je envisager de te payer différemment. Dans le cadre de la jurisprudence afférente au principe « à travail égal salaire égal », la Cour de cassation a rendu une décision surprenante, mais de nature à rasséréner un peu les entreprises à établissements multiples sur le territoire français.

Pour mémoire, ledit principe d’égalité, dégagé par la jurisprudence, est consacré depuis vingt ans par le droit du travail (quand on aime, on a toujours vingt ans). En pratique, il oblige l’employeur à garantir une égalité de rémunération entre des salariés effectuant un travail identique ou de valeur égale.

S’il n’y parvient pas, il doit alors en justifier à l’aide de critères objectifs et pertinents, étrangers à toute discrimination (diplôme, qualités professionnelles, ancienneté etc. tels sont les critères parmi ceux retenus par la jurisprudence).

De la même manière, et nous amenant à l’arrêt qui nous préoccupe ici, il est jugé de longue date qu’il ne peut y avoir de différences de traitement entre les salariés des différents établissements d’une même entreprise que si elles reposent sur des raisons objectives (Cass. Soc. 21 janvier 2009 n° 07-43.452).

Dans l’espèce tranchée récemment par la Cour, une entreprise appliquait, de manière unilatérale, dans ses établissements situés en Ile-de-France des barèmes de rémunération supérieurs à ceux pratiqués au sein de son établissement situé à Douai.

Un syndicat implanté dans l’établissement nordique de l’entreprise estimait que cette pratique portait atteinte au principe de l’égalité de traitement en l’absence d’élément objectif tenant à l’activité ou aux conditions de travail pouvant justifier les différences de traitement observées entre les établissements de l’entreprise.

Pour justifier cette inégalité de rémunération, l’employeur mettait alors en avant les différences de niveaux de vie entre les deux zones géographiques (l’Ile de France, c’est parfois plus vivant que Douai, mais la vie y est chère n’est-ce pas). La démonstration a du être amusante puisque furent versés aux débats divers éléments attestant des différences de coût de la vie entre les deux localités. La cour d’appel l’a suivi dans son argumentation.

La Cour de cassation est allée dans le même sens et a donc expressément admis que la disparité du coût de la vie entre des zones géographiques constitue un critère objectif et pertinent de nature à justifier une différence de rémunération entre salariés d’une même entreprise.

La Cour aurait pu décider que « La Vie Parisienne » notamment décrite par Offenbach étant plus amusante, il n’y avait pas lieu d’être plus généreux avec les salariés travaillant dans la proximité de la capitale, mais c’eût été se lancer dans une jurisprudence quelque peu difficile à bâtir.

Par nature et par principe

Droit Social

On a déjà évoqué sur ces lignes cette question pour le moins contemporaine de ce que le salarié peut ou ne pas faire avec son outil informatique et dans quelle mesure l’employeur est tout-puissant dans le contrôle de l’activité épistolaire de ses salariés, dont il faut bien avouer qu’elle est parfois plus ou moins professionnelle.

Dans une décision du 12 avril dernier, la Cour de cassation est venue expressément fixer la règle suivante : l’employeur qui accède à la messagerie personnelle du salarié viole le secret des correspondances (Cass. soc. 7-4-2016 n° 14-27.949).

La Cour suprême n’a ainsi pas retenu l’argumentaire de la Cour d’appel qui n’avait pas vu de viol du secret des correspondances dans le fait de se procurer un courriel contenu dans la boite électronique personnelle du salarié, au motif qu’il s’agissait d’une boîte installée sur l’ordinateur professionnel de l’intéressé. Elle avait ajouté que ladite boîte avait été ouverte dans l’intérêt de l’entreprise et en raison d’une absence prolongée du salarié, et de ce que le caractère personnel du message consulté ne ressortait ni de son intitulé ni de son contenu.

La Cour de cassation, casse donc la décision rendue et, usant d’une formulation sans appel (si j’ose dire), considère que l’employeur ne peut pas consulter la messagerie personnelle d’un salarié, même si elle est installée sur l’ordinateur mis à la disposition de ce dernier pour les besoins de son travail. Elle précise qu’il appartenait à la Cour d’appel de rechercher : « si le message électronique litigieux n’était pas issu d’une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité et s’il n’était pas dès lors couvert par le secret des correspondances. »

Cette phrase est toutefois un peu surprenante puisqu’en légère contradiction avec la motivation de l’arrêt de la Cour d’appel qui avait retenu que « le caractère personnel du message ne ressortait ni de son intitulé ni de son contenu ». Il semble que la recherche ait été faite par la Cour d’appel, mais insuffisamment selon la Cour de cassation.

Si l’on en revient aux principes applicables, il convient de rappeler que  les e-mails personnels du salarié sont par principe couverts par le secret des correspondances, qu’ils aient été adressés ou reçus au temps et au lieu de travail (Cass. soc. 2-10-2001 n° 99-42.942). Pour assurer le respect de cette obligation, le salarié doit toutefois avoir pris la précaution d’identifier comme personnelles lesdites correspondances. A défaut, l’employeur peut librement consulter tout ce qui transite par la messagerie professionnelle de ses salariés (Cass. soc. 18-10-2011 n° 10-26.782).

Cette précaution afférente à la messagerie de l’entreprise ne s’applique en revanche pas aux e-mails reçus ou transmis par le biais d’une messagerie personnelle du salarié. En effet, les messages qu’elle contient sont par nature couverts par le secret des correspondances.

La conséquence logique de ce subtil distinguo (par nature/par principe) interdit donc en tout état de cause à un employeur d’ouvrir une messagerie personnelle sous le seul prétexte qu’elle est installée sur un ordinateur professionnel (cette distinction n’existe pas quand les e-mails sont enregistrés sur le disque dur de l’ordinateur, ils deviennent alors accessibles à l’employeur, hors la présence de l’intéressé, sauf à être stockés dans un fichier identifié comme personnel (Cass. soc. 19-6-2013 n° 12-12.138).

L’ancienneté ne fait pas tout (mais aide un peu quand même)

Droit Social

Nous évoquions il y a peu sur ces mêmes lignes (le terme est de circonstance s’agissant d’une affaire de pilotes d’avion) les conséquences de l’ancienneté d’un salarié sur l’appréciation des manquements dont il lui était fait grief dans le cadre de la rupture de son contrat de travail.

La Cour de cassation avait confirmé la faute grave en ne retenant pas la position initialement adoptée par la Cour d’appel qui avait considéré que la grande ancienneté du salarié était de nature à minimiser le manquement commis.

Souvent Cour de cassation varie, bien fol qui s’y fie, il ne fallait donc pas tirer de cet arrêt un retournement complet de jurisprudence mais simplement la continuité d’une appréciation concrète des situations. Ainsi, dans un arrêt plus récent, la Cour a à l’inverse considéré que l’ancienneté d’un salarié était de nature à atténuer la gravité des fautes commises (Cass. Soc. 19 mai 2016).

Le salarié dont il était question avait porté de fausses accusations de violences envers un supérieur hiérarchique, comportement qui avait justifié son licenciement, et pour faute grave tant qu’à faire.

Saisi de la contestation de cette mesure, il appartenait aux juges de déterminer si un tel comportement relevait de la qualification retenue par l’employeur.

C’est à cet exact moment de l’histoire que ressurgit le serpent de mer de l’ancienneté du salarié. Les juges du fond avaient pour leur part décidé, tout en reconnaissant la réalité des faits reprochés à l’intéressé, qu’ils ne caractérisaient pas une faute grave, mais une simple cause réelle et sérieuse de licenciement.

L’argument retenu expressément pour ce faire était que le salarié avait un peu plus de trois ans d’ancienneté. Autant dire assez peu d’ailleurs, même au regard des standards contemporains et des carrières de plus en plus éclairs que font les uns et les autres dans les entreprises. De ce fait, l’argument surprend quand même déjà un peu.

C’est même d’autant plus surprenant que le salarié avait déjà des antécédents disciplinaires (on ne sait s’il s’était déjà distingué par sa mythomanie dangereuse).

Enfin, accuser faussement quelqu’un de violences au sein d’une entreprise ne relève pas franchement d’une attaque à fleurets mouchetés.

Pourtant, la Cour, dans ce qui doit être considéré comme sa grande sagesse, a considéré que « la cour d’appel, prenant en considération l’ancienneté du salarié, a pu retenir que les faits ne rendaient pas impossible son maintien dans l’entreprise » et a donc rejeté la qualification de faute grave.

 

En réalité, la Cour poursuit son bonhomme de chemin de manière assez cohérente. Elle a d’abord longtemps exercé un contrôle strict sur les décisions des juges du fond en matière de faute grave en qualifiant d’autorité ce qu’elle considérait comme étant un fait de nature à rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et, partant, constitutif d’une faute grave (voir par exemple, en matière d’atteinte à la dignité, Cass. soc. 19-1-2010 n° 08-42.260 ; de violence sur un subordonné, Cass. soc. 22-3-2007 n° 05-41.179).

Désormais, elle limite son contrôle aux erreurs manifestes de qualification commises par les juges du fond au regard des faits fautifs constatés. Dès l’instant qu’ils n’ont pas commis une telle erreur de qualification, elle s’en remet à leur appréciation (Cass. soc. 25-9-2013 nos 12-16.168 et 12-19.464 ; Cass. soc. 12-3-2014 n° 13-11.696).

 

La Cour de cassation adopte donc une position finalement plus conforme à sa mission ne s’immisçant pas dans les faits, laissant très logiquement cette tâche aux juges du fond.

L’on peut se satisfaire de cette possibilité laissée aux juges du fond de reprendre la main, même si leurs décisions sont rarement uniformes et notamment selon que l’on se retrouve devant un Conseil de prud’hommes ou une Cour d’appel.

A l’instar des juges saisis, il appartient donc aux praticiens d’apprécier in concreto les faits soumis en tenant d’envisager au mieux quel parti serait retenu par la juridiction saisie. La tâche n’est pas forcément aisée…

Réforme de la procédure en matière sociale

Droit Social

À compter du 1er août 2016, la procédure d’appel devant les chambres sociales devient une procédure avec représentation obligatoire, il est donc dorénavant impossible d’agir devant la Cour d’appel sans être représenté par un avocat ou un représentant syndical.

Les employeurs devant être représentés par un avocat, de même que les salariés, quoique ces derniers pouvant l’être également par un défenseur syndical.

Cette différence de traitement, un peu surprenante, se poursuit dans les actes de procédure. En effet, l’avocat qui inscrira l’appel devra obligatoirement, à peine d’irrecevabilité, recourir à la voie électronique dans les conditions de l’article 930-1 du CPC. Le défenseur syndical établira, quant à lui, son acte sur papier et le remettra au greffe.

Faute d’avoir accompli cette diligence, l’irrecevabilité de l’appel sera encourue.

S’agissant de la territorialité, comme pour les autres procédures avec représentation obligatoire, les parties ne pourront agir que par le biais d’un avocat du ressort de la Cour auprès de laquelle l’appel est formé. C’est à ce dernier qu’incomberont les actes de procédure. Les parties au procès pourront cependant être également assistées, notamment pour la rédaction des conclusions ou les plaidoiries, par tout avocat de leur choix, qu’il relève ou non du territoire concerné. Il restera donc, dans ce cadre, loisible à tout avocat de plaider hors son barreau de rattachement.

En revanche, nouvelle différence (inégalité ?) de traitement, aucune règle afférente à la territorialité n’est prévue pour le défenseur syndical, ce dernier pouvant donc assister les salariés devant n’importe quelle Cour d’appel, sans avoir recours à un postulant (et pouvant ainsi ne pas exposer les frais de postulation afférents).

S’agissant des délais pour conclure, l’appelant dispose maintenant d’un délai de trois mois pour ce faire (à compter de l’ouverture du dossier). L’intimé dispose d’un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour conclure et former, le cas échéant, un appel incident. L’intimé à un appel incident ou à un appel provoqué a, quant à lui, deux mois pour conclure en réponse.

Le non-respect par l’appelant du délai de trois mois sera sanctionné par la caducité de sa déclaration d’appel. Le non-respect de son délai de deux mois par l’intimé sera sanctionné par l’irrecevabilité de ses conclusions.

Notons le, et le changement est d’importance, la procédure jusqu’alors en principe orale devient écrite, la partie qui aura vu ses conclusions jugées irrecevables ne pourra ni produire ses pièces, ni plaider.

L’ensemble des incidents de procédure relèvera de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état.

S’agissant des communications de pièces, les avocats ne la réitèrent généralement pas lorsque les pièces sont identiques à celles produites en première instance devant le Conseil de prud’hommes. À l’égard du greffe de la Cour d’appel, la dénonciation des pièces n’est également pas exigée. Le bordereau récapitulatif doit néanmoins être joint aux conclusions transmises, comme cela était déjà le cas et conformément aux règles de la procédure civile.

Nouveauté, un dossier comprenant les copies des pièces visées dans les conclusions et numérotées dans l’ordre du bordereau récapitulatif doit être déposé à la cour quinze jours avant l’audience. Aucune sanction n’est toutefois prévue dans ce cadre.

Enfin, l’article 1635 bis P du Code Général des Impôts dispose qu’il est institué un droit d’un montant de 225 Euros dû par les parties à l’instance d’appel lorsque la constitution d’avocat est obligatoire devant la cour d’appel (ce qui est maintenant le cas en matière sociale, sauf à être salarié et représenté par un défenseur syndical). Le droit est acquitté, à peine d’irrecevabilité, par l’avocat postulant pour le compte de son client. Il n’est pas dû par la partie bénéficiaire de l’aide juridictionnelle.

Ces modifications procédurales ne sont pas anodines, la possibilité de ne point être représenté ayant disparu et le caractère oral de la procédure étant largement supprimé. Ce souci de rigueur et ses conséquences devront être appréciés dans les mois qui viennent.

Il n’en demeure pas moins que l’on peut s’étonner des souplesses accordées par ce texte au défenseur syndical.

Préjudice, prouve que tu existes

Droit Social

Alors que la France se déchire sur la loi El Khomri, engluée dans la « stratégie de l’émotion » (Anne-Cécile Robert) qui préside semble t’il aux destinées contemporaines, la jurisprudence de la Cour de cassation poursuit son bonhomme de chemin, rendant des décisions inattendues, à même d’agacer un peu les salariés et ceux qui disent les représenter (pour peu qu’ils lisent les revues de jurisprudence).

Ainsi, le 13 avril dernier, ladite Cour, revenant sur sa jurisprudence admettant que certains manquements de l’employeur causent nécessairement un préjudice au salarié, décidait que les juges du fond doivent toujours caractériser la réalité du préjudice subi par l’intéressé et l’évaluer.

Cela peut sembler un peu sioux, mais en réalité, la juridiction revient – enfin – à une application plus orthodoxe des règles de la responsabilité civile.

 

Effectivement, nul besoin d’être un spécialiste de la spécialité (sic) pour s’étonner quelque peu de ce que les juridictions du travail condamnent systématiquement l’employeur, partant du principe que certains manquements à ses obligations causaient nécessairement un préjudice au salarié.

Ce dernier pouvait alors se dispenser d’apporter le moindre élément aux débats justifiant de dommages subis du fait de l’impéritie ou de la mauvaise volonté de celui qui l’employait.

Cette pratique jurisprudentielle s’est d’abord appliquée au non-respect de règles de procédure prévues par le Code du travail, pour évidemment éviter qu’elles ne soient contournées. L’exemple typique concerne le non-respect de la procédure de licenciement à l’égard de salariés n’ayant pas deux ans d’ancienneté ou appartenant à une entreprise occupant moins de onze salariés (Cass. soc. 23-10-1991 n° 88-43.235 et Cass. soc. 7-11-1991 n° 90-43.151 : RJS 12/91 n° 1308).

Elle a cependant été étendue à d’autres manquements, pas forcément aussi cruciaux. Ainsi, et de manière non exhaustive : l’absence de mention de la priorité de réembauche dans la lettre de licenciement (Cass. soc. 16-12-1997 n° 96-44.294 : RJS 1/98 n° 80), le défaut de remise ou la remise tardive des documents pour l’assurance chômage et des documents nécessaire à la détermination exacte des droits du salarié (Cass. soc. 19-5-1998 n° 97-41.814 : RJS 7/98 n° 865 ; Cass. soc. 6-5-2002 n° 00-43.024 : RJS 7/02 n° 813 ; Cass. soc. 9-4-2008 n° 07-40.356 : RJS 7/08 n° 771 ; Cass. soc. 1-4-2015 n° 14-12.246), l’absence de mention de la convention collective applicable sur les bulletins de paie (Cass. soc. 19-5-2004 n° 02-44.671 : RJS 7/04 n° 810) ; la stipulation dans le contrat d’une clause de non-concurrence nulle (Cass. soc. 12-1-2011 n° 08-45.280 : RJS 3/11 n° 236 ; Cass. soc. 28-1-2015 n° 13-24.000), le non-respect par l’employeur du repos quotidien de 11 heures (Cass. soc. 23-5-2013 n° 12-13.015 : RJS 8-9/2013 n° 611).

Le problème de cette jurisprudence des chambres sociales on ne peut plus favorable pour les salariés était qu’elle était en contradiction flagrante avec celle pratiquée par les autres chambres de la Cour.

En effet, la Cour de cassation juge, tant en sa chambre mixte qu’en assemblée plénière, que l’existence ou l’absence de préjudice relève de l’appréciation des juges du fond, ceux-ci « appréciant souverainement le montant du préjudice dont ils justifient l’existence par l’évaluation qu’ils en ont fait » (Cass. ch. mixte 6-9-2002 n° 98-14.397 ; Cass. ass. plén. 26-3-1999 n° 95-20.640). Et si d’autres chambres de la Cour de cassation admettent ponctuellement l’existence d’un préjudice nécessaire, le phénomène est rare : ainsi en matière de concurrence déloyale (Cass. com. 22-10-1985 n° 83-15.096) ou de manquement au devoir d’information (Cass. 1e civ. 3-6-2010 n° 09-13.591).

 

Revenant à une application plus rigoureuse des règles de la responsabilité civile, la chambre sociale juge ainsi, dans son arrêt du 13 avril 2016, que l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

L’existence d’un préjudice n’est désormais, même en matière sociale, plus présumée et automatique, et celui qui invoque un manquement aux règles de la responsabilité civile devra donc prouver cumulativement l’existence d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice.

La Cour met ainsi fin à cet étrange concept du « préjudice de principe », ce qui pourra sembler cruel au plaignant, mais somme toute assez cohérent pour les praticiens du droit.

Time flies

Droit Social

« On ne peut pas être et avoir été », dit un dicton populaire. « Pourquoi ? On peut très bien avoir été un imbécile et l'être encore » comme le rétorquait Pierre Dac.

Cette question du temps qui passe et de ses effets sur la personne du salarié (ou de l’employeur) se pose parfois en droit du travail.

Ainsi, la position de l’avocat d’employeur se révèle souvent assez délicate lorsqu’il s’agit de défendre judiciairement une mesure de licenciement motivée par des insuffisances professionnelles ou des manquements plus ou moins graves commis par un salarié à l’ancienneté antédiluvienne.

Alors que le désintérêt, la lassitude, la paresse, la perte de motivation sont des phénomènes que l’on rencontre tous les jours, ils paraissent parfois incongrus devant la juridiction prud’homale.

Ces phénomènes n’en demeurent pas moins réels et l’ancienneté importante d’un salarié ne saurait excuser ou minimiser des manquements récents et avérés. C’est ce qu’est venue rappeler la Cour de cassation le 13 janvier dernier (n° 14-18.145).

La jurisprudence s’était jusqu’alors illustrée par l’énonciation du principe selon lequel l’ancienneté d’un salarié peut être retenue comme circonstance atténuant la gravité de la faute commise (Cass. soc. 17-4-2013 n° 11-20.157 concernant la falsification de documents par un salarié comptant 20 ans d’ancienneté ; ou Cass. soc. 7-3-2006 n° 04-43.782 pour une absence injustifiée d’une semaine d’un salarié ayant vint-cinq ans de carrière).

Le tempérament à ce principe retenu récemment par la Cour de cassation repose sur la nature de la faute et des répercussions que celle-ci peut avoir sur l’entreprise et son activité.

L’espèce concernait un pilote de ligne (un métier où la rigueur ne doit pas attendre le nombre des années, ni diminuer avec celles-ci !!). Celui-ci avait justement commis cinq manquements graves d’ordre technique de nature à compromettre la sécurité des passagers, s’étant notamment trompé de piste de décollage au moment du départ (l’histoire ne dit pas s’il avait confondu avec une piste d’atterrissage).

Cette omission avait conduit le commandant de bord du vol retour à revenir à deux reprises à son point de départ pour finalement annuler le vol.

La cour d’appel, tenant expressément compte des onze années d’ancienneté du salarié, en ne contestant pas la matérialité des faits, avait néanmoins requalifié la faute grave en faute simple.

La Cour de cassation n’a quant à elle pas retenu cette excuse de l’ancienneté et a considéré que les faits rendaient impossible la poursuite du contrat de travail et constituaient bien une faute grave.

Il est, sur cette seule décision, difficile d’affirmer que nous sommes face à un retournement de jurisprudence, la nature du métier concerné et les risques encourus en cas de manquements n’étant ici pas mineurs. Toutefois, l’on peut se réjouir que ne soit pas, au moins ponctuellement, retenue comme excuse absolutoire la grande ancienneté d’un salarié.

La preuve prud’homale face aux notions de vol et de confidentialité

Droit Social

Dans le cadre du procès prud’homal, il appartient aux parties en présence d’apporter les éléments à même d’éclairer le juge et, si possible, de le convaincre du bien fondé de son propos.

S’agissant du salarié, le plus souvent demandeur à l’instance, la jurisprudence lui semblait dans ce cadre globalement favorable, s’agissant des moyens utilisés et admis pour se fournir des pièces. Au plan pénal, le fait pour le salarié de s’approprier ou de reproduire des documents ne constitue en effet pas un vol dès lors que ces derniers étaient nécessaires pour assurer sa défense (Cass. crim. 11-5-2004 n° 03-85.521 :  RJS 8-9/04 n° 887) dans le procès prud’homal l’opposant à son employeur (Cass. crim. 9-6-2009 n° 08-86.843 :  RJS 1/10 n° 9) ou qu’il entend engager peu après la rupture de son contrat (Cass. crim. 16-6-2011 n° 10-85.079 :  RJS 8-9/11 n° 658).

Plus précisément, le salarié qui, sans autorisation de l’employeur, s’approprie ou reproduit des documents de l’entreprise, ne commet pas de vol lorsqu’il en a eu connaissance à l’occasion de ses fonctions et que leur production est strictement nécessaire à l’exercice de sa défense dans le litige l’opposant à l’employeur (Cass. crim. 11 mai 2004 : RJS 8-9/04 n° 887, Bull. crim. n° 117), à condition toutefois qu’il s’agisse d’un litige prud’homal (Cass. crim. 9 juin 2009 : RJS 1/10 n° 9, Bull. crim. n° 119).

Jusqu’à présent, la position de la chambre criminelle de la Cour de cassation était en harmonie avec celle de la chambre sociale, cette dernière admettant que les pièces ainsi obtenues puissent être produites en justice (Cass. soc. 30 juin 2004 : RJS 10/04 n° 1009, Bull. civ. V n° 187).

Il semble toutefois que cette jurisprudence commune ne puisse plus aussi aisément être invoquée. En effet, dans un arrêt récent, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a considéré que reposait sur une cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié qui s’était emparé de bulletins de paie appartenant à l’entreprise et le concernant, mais dont il n’avait plus les originaux, pour en faire des copies destinées à être produites en justice (Cass. soc. 8-12-2015 no 14-17.759).

Un salarié avait en effet photocopié sans autorisation de son employeur plusieurs de ses bulletins de paie, dont il n’avait plus les originaux, afin de se constituer des preuves dans un litige en cours. Il conteste ensuite son licenciement, prononcé pour ce motif.

Les juges du fond, approuvés ensuite par la Cour de cassation, désapprouvent son comportement. Même si ces documents le concernaient, ou s’il avait égaré ceux dont il aurait du disposer, le salarié a, par son geste, porté atteinte au droit de propriété de l’entreprise (« du fait de cette atteinte au droit de propriété, son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse »).

Les juges du fond avaient notamment mis en exergue que l’intéressé aurait pu les obtenir par des démarches amiables ou judiciaires. De ce fait, qu’importe les documents concernés, c’est la déloyauté du procédé utilisé par le salarié qui justifie la rupture du contrat de travail.

Cette décision, particulièrement sévère, surprend quand même quelque peu, et la lecture in extenso de l’arrêt ne permet d’en apprendre plus sur les faits de l’espèce, et notamment sur les évènements qui ont entouré cette photocopie litigieuse et qui pourraient peut-être amener à mieux comprendre la position extrêmement tranchée et peu orthodoxe des juges. Tout au plus peut-on en conclure que les salariés devront maintenant être un peu plus prudents quant aux méthodes employées pour se défendre, l’employeur pouvant les utiliser à leur détriment dans le cadre du litige prud’homal.

Toutefois et à l’inverse, l’employeur devra également se montrer prudent quant aux éléments qu’il entendra utiliser au soutien de son argumentation. En effet, semblant prendre le contrepied de la jurisprudence récente, la Cour de cassation a finalement décidé que les mails du salarié issus de sa messagerie personnelle sont un mode de preuve illicite et ce même si la consultation de ces derniers s’est faite sur son ordinateur de travail (Cass. soc. 26-1-2016 n° 14-15.360).

Pour mémoire, les e-mails échangés par un salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel. L’employeur peut donc librement les contrôler, dès lors qu’ils n’ont pas été expressément identifiés comme personnels, à moins que le règlement intérieur de l’entreprise n’en dispose autrement (Cass. soc. 26-6-2012 n° 11-15.310 : RJS 10/12 n° 761). En revanche, s’ils ont été identifiés comme tels, l’employeur ne peut les ouvrir qu’en présence de l’intéressé ou celui-ci dûment appelé à cette fin (Cass. soc. 15-12-2010 n° 08-42.486 : RJS 2/11 n° 92 ; Cass. soc. 16-5-2013 n° 12-11.866 : RJS 7/13 n° 503).

En réalité, cette jurisprudence, pour précise qu’elle soit, ne couvrait qu’imparfaitement la problématique des correspondances du salarié et plus particulièrement celles échangées par le biais de la messagerie professionnelle de l’entreprise (l’évolution même du travail et l’interpénétration des sphères privées et professionnelles ne pouvant qu’amener à l’utilisation personnelle d’outils destinés au travail).

Il convient de préciser que dans la décision dont il est ici question, le salarié, s’il utilisait son ordinateur professionnel, utilisait une messagerie strictement personnelle et n’avait pas enregistré sur le disque dur de l’ordinateur les correspondances dont l’employeur a tenté de se prévaloir ensuite.

Rappelons en effet que la jurisprudence de la Cour de cassation confère un caractère présumé professionnel aux fichiers informatiques enregistrés sur le disque dur d’un ordinateur de l’entreprise. La chambre sociale a ainsi jugé que les courriels intégrés dans le disque dur de l’ordinateur de travail d’un salarié, ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu’ils émanent initialement de la messagerie électronique personnelle de l’intéressé, et peuvent donc être consultés librement par l’employeur (Cass. soc. 19-6-2013 nos 12-12.138 et 12-12.139 : RJS 10/13 n° 650).

C’est donc très logiquement que la Cour de cassation a précisé que des messages électroniques provenant de la messagerie personnelle du salarié, distincte de la messagerie professionnelle dont il dispose pour les besoins de son activité, devaient nécessairement être écartés des débats, leur production en justice portant atteinte au secret des correspondances. Une solution identique avait déjà été retenue par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com. 16-4-2013 n° 12-15.657 : RJS 7/13 n° 538).

Seul reste donc admis un contrôle de sa messagerie professionnelle, dans les conditions précédemment rappelées.

Ne pas respecter cette interdiction, outre qu’elle rend irrecevable devant le juge les messages provenant de la messagerie personnelle du salarié, expose l’employeur à des poursuites pénales sur le fondement de l’article 226-15 du Code pénal réprimant le délit d’atteinte au secret des correspondances (actuellement passible d’un an d’emprisonnement et d’une amende pouvant aller jusqu’à 45 000 € pour les personnes physiques). Et l’employeur engager également sa responsabilité civile et être condamné à réparer le préjudice subi par le salarié.

Bref, un appel général à la prudence s’impose…

Loyauté, sécurité, impunité ?

Droit Social

Qui n’a pas bondi à la lecture de cet arrêt de Cassation du 4 juillet 2000 (ce n’est pas si vieux, c’est le 21ème siècle) au terme duquel la Cour avait considéré que l'employeur ne pouvait pas appliquer de sanction à un salarié trésorier de comité d'entreprise coupable de malversations financières au détriment de cette – noble - institution (Cass. soc. 4-7-2000 n° 97-44.846) ? Cette jurisprudence surprenait d’autant plus que le Conseil d'Etat a ensuite pour sa part admis la légitimité du licenciement disciplinaire (CE 17-10-2003 n° 247701).

Partant d’un principe de quasi impunité, la Cour de cassation considère que les faits commis par le représentant du personnel dans l’exercice de son mandat et non liés à l’exécution de son contrat ne sont pas fautifs. Le Conseil d’Etat a, quant à lui, longtemps admis que de tels faits pouvaient légitimer un licenciement disciplinaire, s’ils avaient des répercussions sur le fonctionnement de l’entreprise.

Problème, en 2005, le Conseil d’Etat a finalement semblé rejoindre la position de la Cour Suprême en distinguant les agissements rattachables à l’exécution du contrat de travail – susceptibles de justifier une sanction disciplinaire – et les comportements liés à l’exercice du mandat, non fautifs (CE 4-7-2005 n° 272193).

S’agissant par ailleurs des faits commis par le salarié dans le cadre de sa vie privée, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation appliquent les mêmes principes (un fait commis par le salarié dans le cadre de sa vie privée ne peut justifier son licenciement pour faute, sauf s’il traduit un manquement à ses obligations contractuelles – CE 5-12-2011 n° 337359 : RJS 2/12 n° 170). Mais les faits commis dans l’exécution des fonctions représentatives donnaient jusqu’alors lieu à des interprétations différentes.

Dans deux arrêts du 27 mars 2015, le Conseil d’Etat est finalement venu éclaircir sa jurisprudence en se prononçant sur le licenciement de salariés protégés ayant commis une faute dans le cadre de leurs fonctions représentatives.

Dans la première espèce, un représentant syndical avait, au cours d’une suspension de séance du comité d’entreprise, asséné un violent coup de tête (geste souvent qualifié plus vulgairement de « coup de boule », et pas forcément recommandée dans le cadre des réunions d’IRP) à l’un de ses collègues, lui causant une fracture du visage. Dans la seconde, le salarié, titulaire de plusieurs mandats, avait exercé une activité pour le compte d’une société concurrente pendant ses heures de délégation.

Dans les deux cas, l’employeur avait mis en œuvre une procédure de licenciement pour faute, sur autorisation administrative. Les salariés, s’appuyant sur la jurisprudence précitée, avaient saisi le juge administratif d’un recours, en faisant valoir que les faits qui leur étaient reprochés n’étaient pas liés à leur travail et ne pouvaient donc pas justifier un licenciement disciplinaire.

S’agissant de faits commis par le salarié protégé dans le cadre de sa vie privée, le Conseil d’Etat s’est déjà prononcé sur la qualification de tels agissements : de tels faits, commis en dehors de l’exécution du contrat de travail, ne peuvent pas motiver un licenciement pour faute (par exemple, à propos d’un retrait de permis de conduire : CE 15-12-2010 n° 316856).

Mais il a posé une exception à ce principe : l’employeur retrouve son pouvoir de sanction si les faits commis par l’intéressé traduisent une méconnaissance des obligations découlant du contrat de travail.

Dans les deux arrêts du 27 mars 2015 dont il est ici question, le juge administratif transpose ce principe à des faits commis par les salariés protégés dans le cadre de leurs fonctions représentatives.

En commettant un acte de violence (le « coup de boule » donc), le premier salarié avait ainsi indéniablement manqué à son obligation de ne pas porter atteinte à la sécurité d’autres membres du personnel (on ne saurait mieux dire !).

Quant au second salarié, en utilisant ses heures de délégation pour travailler chez un concurrent, il avait manqué à son obligation de loyauté envers l’employeur (là encore, on a l’impression de prêcher l’évidence). Ce dernier pouvait donc légitiment faire usage de son pouvoir disciplinaire.

Les deux arrêts du 27 mars 2015 clarifient donc la position du Conseil d’Etat. Si les faits commis ne caractérisent pas un manquement aux obligations découlant du contrat de travail, ils ne peuvent pas être sanctionnés, mais s’ils causent un trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise, ils peuvent justifier un licenciement fondé, non pas sur ces faits, mais sur le trouble qui en résulte.

On se sent tout de même en droit de dire que les subtilités en la matière ne sont pas minimes.

Chose promise, chose due

Droit Social

Il est assez fréquent, et pas seulement chez les commerciaux, que l’employeur s’engage, le plus souvent à l’embauche, à fixer des objectifs personnels à un salarié, ces derniers, une fois atteints étant rémunérés en conséquence, selon des calculs plus ou moins subtils et compliqués.

L’évidence de l’intérêt réciproque des parties dans un tel schéma est criante, il n’y a donc en principe pas de raison de se priver.

Il convient toutefois de prendre garde à ne pas s’engager à la légère, la Cour de cassation l’ayant ainsi récemment rappelé.

En effet, par un arrêt du 19 novembre 2014 (Cass. soc. 19-11-2014 n° 13-22.686 n° 2062 F-D ), Sté Eni Gas et Power France c/ F.), la Cour de cassation a considéré que l’inexécution par l’employeur de son obligation de fixer en accord avec le salarié les objectifs dont dépend la part variable de la rémunération peut constituer un manquement empêchant la poursuite du contrat de travail, justifiant sa résiliation aux torts de l’employeur.

Cet arrêt vient compléter le corpus prétorien déjà conséquent afférent à ce qui justifie ou pas la résiliation judiciaire (ou la prise d’acte de la rupture) aux torts et griefs de l’employeur.

En l’espèce, un employeur s’était expressément engagé, dans le contrat de travail, à mener chaque année des négociations avec son salarié en vue de fixer d’un commun accord les objectifs dont dépendrait la partie variable de sa rémunération.

Le fait d’avoir failli à cet engagement contractuel rend tout d’abord l’employeur débiteur de cette partie variable pour les années où il n’établit pas avoir satisfait à cette obligation. En l’absence d’accord sur le montant, il appartient au juge saisi de le fixer.

Ensuite, comme le précise la Cour, l’inexécution par l’employeur de son obligation de fixer d’un commun accord avec le salarié les objectifs dont dépend la partie variable de la rémunération, est susceptible de constituer, en raison de l’importance des sommes en jeu, un manquement empêchant la poursuite du contrat de travail et justifiant sa résiliation aux torts de l’employeur.

La Cour de cassation rappelle également que lorsque le contrat de travail d’un salarié prévoit une rémunération comportant une partie variable dont les modalités de calcul sont fixées par les parties chaque année, le mode de calcul de la partie variable de la rémunération, objet de l’accord des parties, ne doit pas être confondu avec le droit du salarié à cette partie variable, acquis en vertu du contrat de travail (Cass. soc. 22 -5- 1995 n° 91-41.584).

La nature du contrôle exercé par la Cour de cassation sur la cause de la prise d’acte ou de la résiliation judiciaire du contrat de travail est précisé : le manquement justifiant la prise d’acte ou, comme ici, la résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur, doit être de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, ce qu’il appartient aux juges du fond de faire ressortir (Cass. soc. 26 -3- 2014 n° 12-23.634, 12.35.040, 12-21.372 ; Cass. soc. 12 -6- 2014 nos 12-29.063 et 13-11.448).

Cette position tranche quelque peu puisqu’auparavant la seule constatation du défaut de fixation des objectifs dont dépendait la rémunération variable du salarié constituait une cause automatique d’imputabilité de la rupture (Cass. soc. 29 -6- 2011 n° 09 65.710).

La Haute Juridiction n’entend ainsi pas s’encombrer d’un contrôle par trop scrupuleux, laissant aux juges du fond une grande latitude dans l’appréciation des faits soumis et leurs conséquences sur la relation contractuelle (cela ressort notamment des tournures employées dans l’arrêt : la Cour d’appel « ayant ensuite souligné l’importance des sommes en litige »).