La bataille de Troyes aura lieu

Droit Social

L’agitation judiciaire autour du barème prud’homal ne fait que commencer, et c’est très logiquement que le bal a débuté en première instance, au sein des Conseils de prud’hommes de France et de Navarre.

Contrairement au conseil de prud’hommes du Mans, celui de Troyes puis celui d’Amiens et enfin celui de Lyon ont jugé le référentiel obligatoire pour les dommages-intérêts alloués en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse contraire aux conventions internationales.

A l’instar de ce qui s’était produit devant le Conseil de prud’hommes du Mans, le débat a porté sur la conformité de ce texte à :

  • L’article 10 de la convention 158 de l’OIT, selon lequel, si les juges « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » ;
  • L’article 24 de la charte sociale européenne qui prévoit que, « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motifs valables à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

Le moins que l’on puisse dire est que les décisions rendues à ce jour se révèlent contrastées mais que la balance pencherait plutôt pour la non-applicabilité du barème, puisque nous en sommes à trois décisions contre une.

Les Conseils de prud’hommes se retrouvent éventuellement pour affirmer que l’article 10 de la convention 158 de l’OIT a un effet direct « horizontal » (jargon de droit international) permettant à un salarié de l’invoquer directement sur le territoire national dans un litige l’opposant à son employeur.

En revanche, contrairement à celui du Mans, les juges troyens, amiénois et lyonnais reconnaissent également cet effet « horizontal » à l’article 24 de la Charte Sociale Européenne.

Partant de cette affirmation, les juges prud’homaux établissent le principe selon lequel le barème d’indemnités serait contraire à la convention précitée de l’OIT et ajoutent donc qu’il viole également la charte sociale européenne.

Le Conseil de prud’hommes de Lyon se contente même, dans sa décision du 21 décembre 2018, d’évoquer uniquement ledit article 24 de la Charte sociale Européenne, et de manière pour le moins lapidaire. Libéré du barème, il alloue trois mois de dommages et intérêts à une salariée comptant à peine plus de deux ans d’ancienneté, semblant respecter le barème ! Mais ladite ancienneté se faisant au titre d’une succession de contrats à durée déterminée que le Conseil de prud’hommes ne requalifie pas (rien n’est simple), la salariée comptait en réalité… un jour d’ancienneté.

Pour écarter l’applicabilité du barème, il semble donc à ce jour que deux principaux arguments soient retenus :

  • L’article L 1235-3 du Code du travail instaurant ledit barème, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier pleinement les situations individuelles des salariés injustement licenciés et de réparer de manière juste le préjudice subi.
  • Ce barème serait en contradiction avec une décision du Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS), organe en charge de l’interprétation de la charte. Celui-ci a en effet jugé que la loi finlandaise fixant un plafond de 24 mois d’indemnisation était contraire à ce texte (CEDS 8-9-2016 n° 106/2014).

Partant de là, le Conseil de prud’hommes de Troyes a conclu à l’iniquité du barème considérant qu’il sécurise davantage les coupables que les victimes (il alloue ainsi 9 mois de salaire à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse quant le salarié comptait 2 ans d’ancienneté, et n’aurait pu prétendre au maximum qu’à une indemnité de 3,5 mois de salaire).

La curiosité est maintenant grande de connaître les décisions qui seront rendues par les Cours d’appel et la Cour de cassation (cette dernière se serait déjà vue solliciter un avis par le MEDEF).

De manière annexe, lorsque le Ministère du Travail a été interrogé par Le Monde sur les premières décisions troyennes, il aurait déclaré qu’elles posaient « la question de la formation juridique des Conseillers prud’homaux » (sic).

Les conseillers prud’hommes de l’autre capitale de la célèbre andouillette, n’ont évidemment guère apprécié qu’on les prenne pour des jambons et déclaré dans un communiqué de presse que ce propos s’asseyait joyeusement sur le principe de la séparation des pouvoirs, portant atteinte à l’autorité de la chose jugée et à son indépendance.

Y ajoutant, les juges troyens rappelaient, entre autres amabilités destinées au Ministère, qu’il relevait de leur autorité de pouvoir écarter une loi votée dans le cadre de leur exercice juridictionnel. L’argument est ici particulièrement pertinent s’agissant d’un texte de loi donnant la curieuse impression de vouloir réduire le pouvoir d’appréciation et l’autorité du juge.

Sébastien Bourdon

À bicyclette

Droit Social

Alors que, gilet jaune oblige, l’on ne reconnaît plus un cycliste prudent d’un manifestant, la Cour de cassation s’est penchée sur l’épineuse question du statut du livreur à vélo. Le monde de demain, celui de l’auto-entrepreneuriat, que l’on tente péniblement d’installer dans le monde d’hier, celui où le CDI ouvre toutes les portes à commencer par celles de banques et des domiciles, se heurte à la résistance judiciaire.

C’est ainsi que le 28 novembre dernier, la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur la nature du contrat liant un coursier à pédales à une plate-forme numérique, rappelant à l’occasion les conséquences de l’existence d’un lien de subordination établi (Cass. soc. 28-11-2018 no 17-20.079 FP-PBRI, D. c/ L. ès qual.).

Pour mémoire, l’existence d’un contrat de travail peut être établie lorsque des travailleurs indépendants fournissent directement, ou par une personne interposée, des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions les plaçant dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci (article L 8221-6, II du Code du travail).

En l’espèce, un coursier sur roues ayant conclu un contrat de prestation de services avec une société utilisant une plate-forme numérique et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas et des livreurs à vélo exerçant leur activité sous le statut de travailleurs indépendants, saisit la juridiction prud’homale afin de solliciter la requalification dudit contrat en un contrat de travail.

Pour rejeter sa demande et se déclarer incompétente pour connaître du litige, la cour d’appel, après avoir pourtant constaté l’existence d’un système de bonus/malus relevant d’un pouvoir disciplinaire, a considéré qu’il ne suffisait pas à caractériser un lien de subordination liant le coursier à la plate-forme numérique.

En outre, ledit cycliste restait en effet libre chaque semaine de déterminer lui-même les plages horaires au cours desquelles il souhaitait travailler ou de n’en sélectionner aucune s’il ne souhaitait pas travailler.

La chambre sociale de la Cour de cassation ne partageant pas cette analyse, très logiquement, elle la censure, rappelant que :

  • l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs (Cass. soc. 20-1-2010 no 08-42.207 FP-PBR : RJS 4/10 no 303) ;
  • le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (Cass. soc. 13-11-1996 no 94-13.187 PBR : RJS 12/96 no1320).

Pour caractériser l’absence de liberté de notre infortuné cycliste, la décision s’appuie sur deux éléments.

Tout d’abord, l’application utilisée par la société était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres qu’il parcourait, de sorte que le rôle de la plate-forme ne se limitait pas à la simple mise en relation du restaurateur, du client et du coursier.

Par ailleurs, la société disposait d’un pouvoir de sanction à son égard, selon un système de – excuse my French – « strikes ». On ne résiste pas à relever le jargon anglo-saxon applicable dans la société et largement décrite par la Cour dans sa décision : le pauvre vélocipédiste pouvait se voir marquer du sceau de l’infâmant « strike » en cas de : désinscription tardive d’un « shift », de connexion partielle au « shift », d’absence de réponse à son téléphone « wiko » ou « perso » pendant le « shift », d’incapacité de réparer une crevaison, de refus de faire une livraison, de circulation sans casque (on appréciera ici le souci de la sécurité manifesté par la société), en cas de « no-show », en cas d’insulte du « support » ou d’un client, de conservation des coordonnées de client, de cumul de retards importants sur livraisons et de circulation avec un véhicule à moteur ( !).

Avec une telle variété et une possibilité d’échelle de sanctions (les « strike » pouvant s’additionner) est pour la Cour de cassation caractérisé un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation, caractérisant un lien de subordination, justifiant la requalification du contrat de prestation de services en un contrat de travail.

Le vélo, c’est la liberté, mais il faudrait envisager de ne point trop en abuser.

Sébastien Bourdon

« Bicycle bicycle bicycle
I want to ride my bicycle, bicycle (c’mon), bicycle
I want to ride my bicycle
I want to ride my bike
I want to ride my bicycle
I want to ride it where I like
. »

QUEEN « Bicycle Race »

Contre le barème, L’oit ne fait pas loi

Droit Social

Nous avons récemment évoqué les débats constitutionnels italiens sur le principe du barème de condamnation prud’homale, le Conseil de prud’hommes du Mans nous fait abandonner un temps la scamorza affumicata pour la rillette, obligeant à une évocation de cette première décision judiciaire française sur ce thème (le barème, pas les rillettes).

Dans une décision du 26 septembre dernier, dont il est évidemment un peu tôt pour savoir si elle fera autorité sur tout le territoire national, le Conseil de prud’hommes manceau a considéré que le référentiel obligatoire pour les dommages-intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse n’est pas contraire à la convention 158 de l’OIT qui exige notamment une indemnisation adéquate (Cons. prud’h. Le Mans 26-9-2018 n° 17/00538, G. c/ Epic OPH de la communauté urbaine du Mans-Le Mans métropole habitat).

Rappelons à ceux qui dorment au fond de la classe que depuis l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, l’article L 1235-3 du Code du travail fixe un barème de l’indemnité à la charge de l’employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, barème qui s’impose au juge. On le rappelle si besoin, le montant de l’indemnité est compris entre un minimum et un maximum, variant en fonction de l’ancienneté du salarié.

Pour mémoire, le Conseil d’Etat avait déjà considéré que ces dispositions ne violaient pas les textes internationaux à la base de ces principes.

En l’espèce, la salariée, dont le licenciement a été reconnu sans cause réelle et sérieuse, soutenait en premier lieu que le barème prévu à l’article L 1235-3 du Code du travail est contraire à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT ainsi rédigé : si les juges « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

Cette convention internationale a un effet direct « horizontal », ce qui permet à un salarié de l’invoquer dans un litige l’opposant à son employeur de droit privé.

Le Conseil de prud’hommes du Mans, s’inspirant probablement des décisions du Conseil d’Etat et du Conseil Constitutionnel dans le même sens, a considéré que l’article L 1235-3 du Code du travail respectait les deux principes indemnitaires et ce pour trois raisons :

  • l’indemnité prévue au barème a vocation à réparer le préjudice résultant de la seule perte injustifiée de l’emploi et que, si l’évaluation des dommages-intérêts est encadrée entre un minimum et un maximum, le juge peut toujours, dans les bornes du barème fixé, prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu’il se prononce sur le montant de l’indemnité (notamment l’âge et les difficultés à retrouver un emploi, le salarié de 53 ans avec un an et demi d’ancienneté appréciera…) ;
  • le barème n’est pas applicable aux situations où le licenciement intervient dans un contexte de manquement particulièrement grave de l’employeur à ses obligations (nullité pour violation d’une liberté fondamentale, pour harcèlement sexuel ou moral, atteinte à l’égalité professionnelle homme/femme, exercice du mandat d’un salarié protégé etc.) ;
  • les autres préjudices, en lien avec le licenciement et notamment les circonstances dans lesquelles il a été prononcé, sont susceptibles d’une réparation distincte sur le fondement du droit de la responsabilité civile, dès lors que le salarié est en mesure de démontrer l’existence d’un préjudice distinct.

Au regard des montants alloués à la salariée en application du barème – 1 715 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’intéressée ayant moins d’un an d’ancienneté, et 2 000 € pour licenciement brutal et vexatoire – on comprend assez aisément qu’ait pu être grande la tentation de contourner la réglementation applicable.

Si l’invocation des traités internationaux ne devait pas fonctionner, il est probable que les demandes de constatations de nullité deviennent de plus en plus fréquentes devant la juridiction prud’homale, puisque permettant de contourner cet obstacle indemnitaire majeur.

La salariée soutenait en l’espèce également que le barème était contraire à l’article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996, qui prévoit que « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties (c’est-à-dire les gouvernements signataires de la charte) s’engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motifs valables à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

Ici le conseil de prud’hommes a esquivé la question, partant du principe que ces dispositions ne sont pas directement applicables par la juridiction prud’homale (analyse que ne fait pas le Conseil d’Etat qui considère lui que les stipulations de l’article 24 ont un effet direct « horizontal », mais cette charte sociale européenne fait l’objet de débats de spécialistes qui, risquant de faire fuir le néophyte, ne seront pas nécessairement développés sur cette page).

Il est en tout cas certain que la bataille judiciaire ne fait que commencer et que la créativité des acteurs de droit social a de beaux jours devant elle.

Sébastien Bourdon

Drôle d’atmosphère

Droit Social

Toujours soucieux de vanter les mérites du tourisme judiciaire français, nous voilà à la cour d’appel d’Orléans. Il ne s’agit certainement pas avec cette chronique de favoriser les bas instincts de l’éventuel lectorat, mais il sera cette fois question de la gestion de ses pulsions, même verbales, au temps et sur le lieu de travail.

Dans sa première rédaction, l’article L 1153-1 du Code du travail définissait le harcèlement sexuel par le but poursuivi par son auteur, lequel pouvait se résumer à la volonté d’obtenir des faveurs de nature sexuelle (acception technique dans ses termes, mais finalement assez claire dans ce qu’elle décrit).

C’est ainsi qu’un temps la jurisprudence a considéré la grivoiserie sur le lieu de travail comme n’étant pas constitutive de harcèlement sexuel (CA Versailles 27 sept. 2012, n° 11-03057). La réécriture du texte fondateur par la loi du 6 août 2012 a quelque peu modifié la donne : sont maintenant constitutifs de harcèlement sexuel « des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui (subis par un salarié) soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent une situation intimidante, hostile ou offensante ».

Il ne s’agit plus de sanctionner un quidam pour ses appétits trop directs ou explicites (et pas forcément partagés) sur le lieu de travail, mais un comportement plus général et intrinsèquement humiliant.

En l’espèce, la Cour d’appel a étendu quelque peu l’application du texte en jugeant que « le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables ».

Cette lecture peut sembler surprenante et pour le moins extensive. La salariée avait entendu en l’espèce dénoncer le caractère misogyne et offensant du climat de travail au sein d’un journal de presse locale. Elle aurait ainsi été exposée à des comportements déplacés, mais sans justement établir avoir été elle-même directement visée.

L’atmosphère était ainsi qualifiée de sexiste, graveleuse, caractérisée par des propos (et bruits) vulgaires tenus en sa présence. Une atmosphère particulièrement raffinée donc, tenant plus du vestiaire que de la salle de rédaction d’un organe d’information.

Ainsi, comme cette espèce le montre, la notion de harcèlement sexuel qui visait initialement la sanction du comportement de l’auteur, a depuis opéré un glissement vers le seul ressenti de la victime. Qu’importe qu’elle n’ait pas été directement concernée par ces agissements, il suffit qu’elle ait pu en souffrir, notamment par une altération de son état de santé (ce qui était le cas en l’espèce).

Le climat de travail intimidant, hostile et offensant devient le lien de causalité sans qu’il y ait besoin de s’intéresser aux éventuelles relations existant entre l’auteur des faits incriminés et la victime.

Enfin, si les gestes sont évidemment particulièrement répréhensibles, les mots peuvent suffire : propos sexistes, grivois, obscènes ou insultants. Il est certain que la répétition de tels propos peut contribuer à créer une ambiance quelque peu déplaisante à la longue et de nature à, comme le disait le médecin du travail dans ses conclusions, entraîner « une atteinte à la dignité provoquant une effraction dans le fonctionnement mental ne permettant plus à l’individu de trouver les ressources pour y faire face ».

Cette évolution de la notion même de harcèlement sexuel amène à s’interroger sur le moyen de prouver l’existence d’un tel « harcèlement sexuel d’ambiance ».

Il appartient désormais au salarié de « présenter » des faits laissant présumer le harcèlement sexuel, sans nécessité de les « établir ». Les juges feront le reste et trancheront, en appréciant les éléments versés aux débats par les parties, décidant si l’on est dans le potache ou dans l’agression systématique et caractérisée.

Pour mémoire, il appartient à l’employeur de prendre les mesures nécessaires en vue de prévenir le harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner, et il s’agit d’une obligation de résultat (article L 1153-1 du Code du travail). Prudence donc quand la communauté de travail se transforme en une émission de Collaro (pour les plus âgés) ou de Cyril Hanouna (pour les plus jeunes).

Du sommeil sur le lieu de travail

Droit Social

Colmar, que la presse internationale – à juste titre – vante comme une destination européenne enchanteresse, recèle en son sein une Cour d’appel aux décisions justifiant également qu’on s’y attarde (et pas en touriste).

A propos de repos éventuellement mérité, ladite Cour n’a ainsi pas hésité à affirmer récemment que dormir au travail n’est pas toujours fautif (CA Colmar 7-3-2017 n° 15-03621).

Dans l’espèce concernée, un honnête travailleur épuisé par le labeur s’était ainsi endormi chez le principal client de son employeur, alors que sa tâche consistait à filtrer les entrées. Il avait ainsi laissé sans surveillance l’accès au site resté ouvert, ainsi que les clés des locaux posées à l’avant de son bureau.

L’employeur, sans attendre que la nuit porte conseil, le licencie immédiatement pour faute grave en insistant sur les conséquences de son comportement sur l’image commerciale de l’entreprise.

Ne rêvons pas, le fait de s’endormir à son poste de travail est régulièrement reconnu comme une faute justifiant le licenciement (CA Montpellier 12-4-2000 n° 98-159 : RJS 12/01 n°1521) notamment – et assez logiquement – lorsque le salarié occupe des fonctions de gardiennage comme c’était le cas en l’espèce (CA Versailles 26-7-2011 n° 10-02784).

La Cour d’appel de Colmar, faisant preuve d’une inattendue mansuétude méditerranéenne, a pourtant jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, estimant que la défaillance alléguée du salarié à son poste était due à sa fatigue excessive, celui-ci ayant travaillé 72 heures sur 7 jours consécutifs au moment des faits.

Cette durée pour le moins excessive de travail constitue en effet une violation de la limite maximale hebdomadaire fixée, pour mémoire, à 48 heures par le droit européen. Pour les juges d’appel, l’employeur qui ne respecterait pas cette limite maximale ne pourrait alors blâmer le salarié des conséquences physiologiques qui en résulteraient.

Il reste impossible d’alléguer de sa propre turpitude et l’employeur avait bien maladroitement sanctionné un travailleur épuisé par sa faute.

Il était justice de dormir du sommeil du juste.

Gravé dans le marbre

Droit Social

L’exercice quotidien, et évidemment surtout pas laborieux, de notre noble profession nous a permis de constater une évolution que nous qualifierons d’anglo-saxonne dans la rédaction des transactions postérieures au licenciement.

Eût un temps, que je n’ai d’ailleurs même pas connu, ce type de document faisait joyeusement une page dans laquelle était à peine évoquée la guerre, pour en venir tout de suite à la paix et à ses conséquences en termes de réparation pécuniaire (le cœur du débat en somme).

Avec le temps qui passe, viennent les complications et le souci d’anticipation dans un monde de plus en plus incertain. Les protocoles se sont donc épaissis et renforcés, les rédacteurs s’efforçant de tout prévoir et même l’impossible afin de garantir à leurs clients sécurité et tranquillité de l’esprit (à un tarif qui fait sourire).

Il est vrai que, justifiant ces préventions d’avocats pointilleux, la chambre sociale de la Cour de cassation persistait, dans certains arrêts, à retenir une conception restrictive de la portée d’une transaction (contrairement à l’Assemblée plénière de la même Cour qui considérait que la signature d’une transaction donnait une portée générale à la renonciation à toute réclamation).

Ainsi, elle considérait que les obligations ayant vocation à s’appliquer postérieurement à la rupture du contrat de travail n’étaient pas comprises dans l’objet de la transaction, en l’absence de dispositions expresses (clause de non-concurrence, options sur titres etc.).

La Cour de cassation est finalement venue rappeler que la transaction rédigée en termes généraux interdit toute demande d’indemnisation ultérieure, rejoignant finalement l’interprétation de l’assemblée plénière (Cass. soc. 11-1-2017 n° 15-20.040 FS-PB).

Il est vrai que pouvait être grande la tentation du salarié de solliciter encore plus de monnaie sonnante et trébuchante en découvrant un préjudice jusqu’alors ignoré, mais reconnu par la jurisprudence postérieurement à la signature de l’accord transactionnel.

Pour mémoire, une transaction a pour objet de mettre fin à toute contestation née ou à naître résultant de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail, au moyen de concessions réciproques (articles 2044 et suivants du Code civil : « (…) terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. »). Elle devrait donc définitivement éteindre les contestations qui en font l’objet. Seules les demandes ayant un objet différent restent toutefois recevables.

En l’espèce, le salarié et l’employeur avaient conclu une transaction aux termes de laquelle le premier déclarait être rempli de tous ses droits et ne plus avoir aucun grief quelconque à l’encontre de la société du fait de l’exécution comme de la rupture de son contrat de travail. Une formulation somme toute assez classique et rédigée dans les règles de l’art et du droit. Le salarié n’en avait pourtant pas moins quand même saisi ultérieurement la juridiction prud’homale d’une demande en réparation de son préjudice d’anxiété en lien avec une exposition à l’amiante, le site où il travaillait étant inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante.

La notion de reconnaissance et de possible indemnisation d’un tel préjudice d’anxiété résultait d’une jurisprudence postérieure à la signature de la transaction (Cass. soc. 11-5-2010 n° 09-42.241), et n’aurait donc pas pu être expressément prévue par la transaction signée par les parties.

Les juges du fond, retenant une interprétation stricte d’une transaction ne contenant aucune disposition de type « Retour vers le Futur », avaient déclaré recevable la demande du salarié.

La Chambre sociale de la Cour de cassation décide de ne pas suivre un tel raisonnement et censure : étant donné les termes généraux de la transaction, le salarié n’était plus recevable à saisir la juridiction prud’homale d’une demande en lien avec l’exécution ou la rupture de son contrat de travail, une évolution ou un changement de jurisprudence ne pouvant pas modifier l’objet de la transaction.

L’on ne peut que se réjouir d’une décision dont les termes sont de nature à sécuriser les transactions existantes et à rappeler qu’il n’est pas forcément nécessaire de surcharger les dispositions d’un tel document pour se prémunir des dangers de l’avenir.

Il ya nullité et nullité

Droit Social

Joies de la subtilité en droit du travail, il y a licenciement nul… et licenciement nul, les deux ne produisant pas les mêmes effets. Sinon, c’est pas drôle.

Dans un arrêt récent (Cass. soc. 14-12-2016 n° 14-21.325 FS-PB), la Cour de cassation a rappelé que le salarié dont le licenciement est nul et dont le juge ordonne la réintégration dans l’entreprise peut prétendre au versement d’une indemnité égale aux salaires perdus entre son éviction et sa réintégration. Toutefois, cette somme devra être réduite des revenus de remplacement perçus pendant la période.

En l’espèce, la salariée concernée avait vu son licenciement annulé du fait du harcèlement moral dont elle avait été la victime. Elle avait donc sollicité sa réintégration et avait obtenu de la cour d’appel une condamnation de l’employeur à lui verser les salaires qu’elle aurait dû percevoir entre la date de son licenciement et sa réintégration, sous déduction des revenus éventuellement perçus pendant la période considérée.

Considérant cette condamnation un peu chiche, la salariée avait formé un pourvoi contre cette décision et sollicité l’intégralité de ce qu’elle aurait dû percevoir si elle était restée en poste.

Le pourvoi a été logiquement rejeté par la Cour de cassation, car tous les licenciements annulés ne produisent pas les mêmes conséquences pécuniaires, nonobstant leurs effets juridiques identiques.

S’agissant du licenciement nul d’un salarié non protégé, en cas de réintégration, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence et lui reconnaît le droit de percevoir une somme correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite des salaires dont il a été privé. Cette solution entraîne la déduction des revenus de remplacement perçus par le salarié (Cass. soc. 8-12- 2009 no 08-43.764), les juges du fond n’étant toutefois tenus de procéder à une telle soustraction que si l’employeur le demande (Cass. soc. 20-6- 2012 no 11-19.351) et n’ayant pas à le faire d’office dans le cas contraire (Cass. soc. 16-11- 2011 no 10-14.799 : RJS 2/12 no 137 ; Cass. soc. 22-1- 2014 no 12-15.430).

C’est donc par erreur que la salariée avait fait état au soutien de son pourvoi de la jurisprudence afférente aux salariés protégés licenciés sans autorisation administrative (Cass. soc. 10-10- 2006 no 04-47.623 : RJS 12/06 no 1296), aux salariés non protégés licenciés en raison de leur participation à une grève (Cass. soc. 2-2- 2006 no 07-43.481 : RJS 4/06 no 488 ) ou de leurs activités syndicales (Cass. soc. 2-6- 2010 no 08-43.277 : RJS 8-9/10 no 685 ; Cass. soc. 9-7- 2014 no 13-16.434 : RJS 11/14 no793 ), ou de leur état de santé (Cass. soc. 11-7- 2012 no 10-15.905 : RJS 10/12 no 785).

Dans ces cas de figure bien particuliers, il n’est pas opéré de déduction des sommes allouées du fait de la perception de revenus de remplacement, car il s’agit en sus de sanctionner un comportement illicite de l’employeur, une atteinte à des droits de nature constitutionnelle. Il ne s’agit donc pas d’indemniser le seul préjudice mais également de punir.

Il manquait clairement à la salariée – même victime d’un comportement illicite – une donnée constitutionnelle pour obtenir plus et mieux et c’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation.

Sébastien Bourdon

Transports plus ou moins amoureux

Droit Social

La réflexion contemporaine sur le travail, le statut de salarié, le développement de l’auto-entrepreneuriat, thèmes évidemment en vogue dans la campagne présidentielle (du moins quand on y aborde enfin un peu le fond des problèmes) a fini par atterrir sur le bureau du juge prud’homal. A ainsi été rendue une des premières décisions sur le sujet, en l’occurrence par le Conseil de prud’hommes de Paris, dans une affaire opposant un auto-entrepreneur et une plateforme assurant la mise en relation avec des clients (cons. prudh. Paris 20-12-2016 no 14/16389).

Un chauffeur VTC sous statut d’auto-entrepreneur ayant conclu avec une plateforme numérique un contrat de location de véhicule et un contrat d’adhésion au système informatisé permettant la mise en relation avec les clients demande la requalification de la relation de travail existante en salariat. Réuni en formation de départage, le conseil de prud’hommes de Paris a accédé à sa demande. En effet, comme rappelé par la juridiction, le statut d’auto-entrepreneur ne constitue pas en soi une présomption irréfragable s’opposant en toute hypothèse au salariat (Cass. 2e civ. 7-7-2016 no 15-16.110 FS-PB).

Rappelons un peu les termes possibles du débat, et les conséquences d’une telle requalification pour ladite plateforme. En effet, ce n’est un secret pour personne que se présenter comme des intermédiaires permet à des structures comme cette « plateforme numérique » de faire d’énormes économies de main-d’œuvre, puisque la majorité de celle-ci travaille à son compte. Le magazine américain « Fusion » a ainsi calculé le montant des cotisations que paierait Uber par chauffeur aux États-Unis si ces derniers étaient requalifiés en employés de la firme (les tentatives judiciaires en ce sens n’ont toutefois pas abouti à ce jour) : a minima 10.000 dollars par chauffeur et par an.

Rappelons pour mieux appréhender de tels montants que le statut de travailleur indépendant implique de ces chauffeurs qu’ils louent ou achètent leur véhicule, paient pour leur essence et soient considérés comme responsables en cas de problème avec un client.

En l’espèce parisienne, après avoir rappelé que l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté des parties, ni de la dénomination qu’elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est effectivement exercée l’activité du travailleur, la formation de départage a relevé un faisceau d’indices démontrant que le chauffeur se trouvait en état de subordination et de dépendance économique vis-à-vis de l’entreprise. Cet état de fait ne pouvait qu’entraîner de facto la requalification de la relation en contrat de travail.

Pour ce faire, le juge relève d’abord que le salarié apportait la preuve qu’il se trouvait soumis au pouvoir de direction et de contrôle de la société. Il est vrai, et nul besoin d’être juge prud’homal pour s’en rendre compte, que les obligations mises à la charge du chauffeur par la plateforme dépassaient notablement celles pouvant être imposées dans le cadre d’un simple contrat de location de voiture : l’intéressé recevait des directives de nature hiérarchique et son comportement, sa tenue vestimentaire comme ses heures de travail étaient contrôlés.

Ensuite, la formation de départage relève que le chauffeur vivait au quotidien une situation de dépendance économique. La possibilité de développer une clientèle personnelle restait en effet dans les faits purement théorique, puisqu’il était interdit au chauffeur de marauder des passagers pour son propre compte ou de recourir à une société concurrente.

Ce dernier critère dit de dépendance économique n’est pas nécessairement suffisant pour prononcer la requalification d’une relation d’affaires en contrat de travail. Toutefois, il semble ici avoir été décisif, le conseil de prud’hommes ayant précisé qu’il était « un obstacle rédhibitoire au maintien du statut d’auto-entrepreneur ».

L’entreprise de VTC a donc notamment été condamnée au paiement d’un rappel de salaire, d’heures supplémentaires, d’indemnité de congés payés, de repas et de costume et d’une indemnité pour travail dissimulé.

Il va de soi que cette décision ne fait qu’ouvrir le bal judiciaire. La réflexion économique et sociologique, déjà largement partagée, doit se compléter d’une analyse juridique, nécessaire à l’appréhension globale de ce qu’a appelé dès 1956 le sociologue Georges Friedmann « Le Travail en Miettes ».

Ancien Secrétaire d’État au travail (Clinton) et analyste du marché de l’emploi, Robert Reich a récemment rebaptisé ce secteur « l’économie du partage des restes », lui donnant cette définition : « De nouvelles technologies informatiques rendent possible le fait que pratiquement tout emploi puisse être divisé en des tâches discrètes qui peuvent être morcelées entre travailleurs le moment voulu, avec une rémunération déterminée par la demande pour ce job particulier à un moment particulier ».

La juridiction prud’homale ne pourra que très logiquement être partie prenante de cette évolution sociétale et de ses conséquences sur le travail salarié.

This is only a test

Droit Social

On a beaucoup glosé sur l’alcool en entreprise, et les temps, qui vont de moins en moins vers la tolérance envers l’ivresse en ces lieux, ont récemment amené le Conseil d’Etat à se pencher sur la possibilité d'y contrôler l’usage des stupéfiants (et l’écoute du reggae ?) (CE 5-12-2016 n° 394178).

Ce contrôle doit être prévu par le règlement intérieur, qui en organise les conditions d’exercice, mais surtout, la juridiction a autorisé que le recours à un test salivaire puisse être effectué par l’employeur ou un supérieur hiérarchique.

Le monde de l’entreprise est de plus en plus confronté à cette problématique de la consommation de drogues sur le lieu de travail, et les dysfonctionnements divers en résultant ne pouvaient qu’autoriser une relative souplesse accordée à l’employeur pour pouvoir en contrôler, voire en restreindre l’usage (pour mémoire, cela reste interdit de consommer des stupéfiants, sur le lieu de travail, comme ailleurs !).

Si de nombreux comités Théodule se sont prononcés sur cette question, le manque de règles précises applicables fait cruellement défaut lorsqu’il s’agit de savoir si un employeur peut se faire à la fois médecin et policier.

En prenant finalement position sur la clause d’un règlement intérieur relative à la mise en œuvre par l’employeur de tests salivaires de détection de produits stupéfiants, le Conseil d’Etat fournit enfin quelques indications claires quant à ce que l’employeur peut faire.

L’affaire en question est née d’un projet de règlement intérieur d’une entreprise du bâtiment prévoyant, pour les salariés affectés à certains postes qualifiés d’hypersensibles, ayant été identifiés en collaboration avec le médecin du travail et les délégués du personnel, la possibilité d’un contrôle aléatoire pour vérifier qu’ils ne soient pas sous l’emprise de stupéfiants durant l’exécution de leur travail (quand il s’agit d’être sur une échelle avec une scie sauteuse, ce n’est pas forcément idiot).

Ce contrôle devait se faire au moyen d’un test salivaire pratiqué par un supérieur hiérarchique ayant reçu une information appropriée sur la manière d’administrer le test et d’en lire le résultat, le salarié pouvant ensuite demander une contre expertise devant être effectuée dans les plus brefs délais et qu’il s’exposait à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement en cas de contrôle positif. Ce test permettait simplement d’établir qu’il y avait bien eu consommation d’une des six substances illicites détectables.

L’inspecteur du travail saisi de ce projet avait estimé que certaines dispositions de celui-ci portaient une atteinte aux libertés individuelles des salariés disproportionnée au but de sécurité recherché. Il avait, pour ce motif, enjoint à l’entreprise de retirer la clause autorisant la pratique du test par un supérieur hiérarchique et celle prévoyant des sanctions en cas de contrôle positif. La décision de l’inspecteur du travail a d’abord été annulée par le tribunal administratif de Nîmes. Mais, sur recours du ministre du travail, ce jugement a lui-même été annulé par la cour administrative d’appel de Marseille, cette dernière alléguant du secret médical pour exclure la possibilité pour l’employeur ou un supérieur hiérarchique de faire des prélèvements (CAA Marseille 21-8-2015 n° 14MA02413).

Le Conseil d’Etat a quant à lui considéré que le test salivaire envisagé par l’employeur avait pour seul finalité de révéler, par une lecture immédiate, l’existence d’une consommation récente de produits stupéfiants. Il ne constituait alors pas un examen de biologie médicale au sens du Code de la santé publique nécessitant d’être réalisé par un biologiste médical ou sous sa responsabilité. N’ayant pas pour objet d’apprécier l’aptitude médicale des salariés à exercer leur emploi (cette affirmation est éventuellement discutable, puisque ce test permet d’apprécier l’aptitude des salariés à exercer leurs fonctions à un moment donné), il ne requiert pas non plus l’intervention d’un médecin du travail.

Enfin, le Conseil d’Etat souligne qu’aucune autre règle ni aucun principe ne réservent le recueil d’un échantillon de salive à une profession médicale. Rien ne s’oppose dès lors à ce qu’un test salivaire soit dans certains cas pratiqué par l’employeur ou par un supérieur hiérarchique, tous deux tenus par le secret professionnel en l’espèce.

Pour affirmer que ledit règlement intérieur n’apportait pas une atteinte disproportionnée aux droits et libertés des salariés (articles L 1121-1 et L 1321-3 du Code du travail), le Conseil d’Etat a notamment retenu :

  • Il réservait les contrôles aléatoires de consommation de stupéfiants aux seuls postes dits « hypersensibles »;
  • Le règlement intérieur reconnaissait aux salariés ayant fait l’objet d’un test salivaire positif le droit d’obtenir une contre expertise médicale (à la charge de l’employeur).

Le Conseil d’Etat pose enfin une condition essentielle à la mise en œuvre de ces tests : l’obligation pour l’employeur et le supérieur hiérarchique de respecter le secret professionnel s’agissant des résultats de celui-ci.

Enfin, il justifie aussi la licéité des tests salivaires au regard de l’obligation de sécurité à laquelle l’employeur est tenu en application de l’article L 4121-1 du Code du travail.

Dans une approche pratique, surtout, la juridiction considère que si étaient respectées les conditions ci-dessus exposées, le règlement intérieur pouvait valablement envisager pour le salarié, en cas de contrôle positif, une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.

Cette décision récente devrait logiquement influer la jurisprudence afférente aux éthylotests. En effet, la Haute Juridiction administrative a jusque ici jugé que le contrôle par éthylotest prévu par un règlement intérieur ne pouvait avoir pour objet que de prévenir ou de faire cesser immédiatement une situation dangereuse, et non de permettre à l’employeur de faire constater par ce moyen une éventuelle faute disciplinaire (CE 9-10-1987 n° 72220 ; CE 12-11-1990 n° 96721).

Or, dans l’espèce dont il est ici question, le règlement intérieur prévoyait des mesures de contrôle « drogue et alcool », spécifiques aux postes à risques, il est donc très vraisemblable qu’un salarié ayant abusé du Beaujolais Nouveau dès potron-minet puisse être contrôlé et sanctionné ,sans que l’on puisse trouver à y redire, pour peu que les conditions du contrôles exigées par le Conseil soient réunies.

Si cette évolution devait se confirmer, il en résulterait un rapprochement avec la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation qui admet la légitimité d’une sanction disciplinaire faisant suite à un contrôle d’alcoolémie positif, pouvant le cas échéant aller jusqu’au licenciement pour faute grave (Cass. soc. 22-5-2002 n° 99-45.878 FS-PB ; Cass. soc. 24-2-2004 n° 01-47.000 F-D).

S’agissant du recours par l’employeur à des tests salivaires de dépistage de stupéfiants, la chambre sociale n’a pas encore eu l’occasion de statuer directement sur les conditions de sa licéité. Mais elle l’a en réalité quasiment fait en jugeant fondé le licenciement pour faute grave du steward d’une compagnie aérienne, faisant partie du « personnel critique pour la sécurité des vols », ayant consommé des drogues dures au cours d’escales entre deux vols (on sait encore s’amuser dans les longs courriers visiblement) – ce que l’intéressé avait reconnu devant la police locale – et qui se trouvait toujours sous l’influence de celles-ci lors de la reprise de fonctions (Cass. soc. 27-3-2012 n° 10-19.915 FS-PB).

Force est de reconnaître la mesure et le bien-fondé de ces décisions récentes, tenant essentiellement compte, et de manière proportionnée, de la sécurité des salariés et de leur entourage au moment de l’accomplissement de leurs fonctions.

L’intolérance ne saurait être tolérée (dans l’entreprise)

Droit Social

Il semble que les temps changent et que les blagues vaseuses de vestiaire ne soient plus tellement tolérées par les juridictions du travail, en tout cas parisiennes.

L’article L 1132-1 du Code du travail dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, en raison de son sexe, de ses mœurs ou encore de son orientation ou identité sexuelle.

Dans une décision récente, la Cour d’appel de Paris (22 septembre 2016, n° 14/07337), faisant une application stricte de ces dispositions légales, a considéré que constituait une discrimination en raison de l’orientation sexuelle la différence de traitement subie par un salarié homosexuel ayant reçu des courriers électroniques à connotation sexuelle et souffert du comportement machiste et sexiste de ses collègues.

Ces constatations faites, la cour d’appel de Paris a ainsi lourdement condamné un employeur pour avoir dans ce cadre discriminé ledit salarié, pointant notamment la très forte baisse de sa rémunération variable, concomitante à la révélation de son homosexualité.

Dans un tel contexte, il convient de démontrer que l’employeur avait effectivement connaissance de l’homosexualité du salarié et que c’est sur cette seule information personnelle que la discrimination s’est exercée.

En l’espèce, le salarié, cadre dans le secteur bancaire, s’estimait donc victime de harcèlement et de discrimination salariale en raison de son orientation sexuelle.

Il avait donc saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes indemnitaires et salariales. Au soutien de ses prétentions étaient notamment produits aux débats de nombreux e-mails électroniques à connotation sexuelle, dont la teneur ne laissait aucun doute sur la connaissance par l’employeur de l’homosexualité du salarié.

Ces divers messages, systématiquement grossiers ou blessants (et particulièrement crétins et vulgaires, si je puis me permettre), émanaient notamment de son supérieur hiérarchique.

Selon les juges du fond, ces messages démontraient, outre la connaissance par l’employeur de l’homosexualité du salarié, l’existence d’un environnement de travail oppressant, imposé à l’intéressé par le comportement de ses collègues, dans lequel il faisait l’objet de moqueries et de remarques à caractère sexuel qui, pour certaines, le stigmatisaient du fait de son orientation sexuelle.

On relèvera également dans les faits relevés par l’arrêt que l’employeur offrait à ses salariés des soirées dans des établissements de striptease ou des prestations à caractère sexuel. Il est certain que de tels séminaires d’intégration ne sont pas forcément adaptés à toutes les sensibilités et ne témoignent au surplus pas d’une grande subtilité d’esprit (de corps).

La Cour considère également que la répétition de l’envoi des ces e-mails caractérise également une situation de harcèlement, par ailleurs étayée par les certificats médicaux versés aux débats par le salarié.

S’agissant de la discrimination salariale, elle est clairement établie dans la mesure où, après une évolution sans obstacles depuis son entrée en 2004, l’intéressé, une fois son homosexualité révélée en 2009, avait subi une baisse importante de sa rémunération variable, qui constituait par ailleurs la part la plus importante de son salaire. Ce phénomène se vérifiait au surplus par comparaison avec le sort de ses collègues (ces derniers étant peut-être moins timides quand il s’agissait d’aller dans une boîte de striptease avec le patron).

Les éléments de fait présentés par le salarié laissant supposer l’existence d’une discrimination, il appartenait donc à l’employeur de justifier cette différence de traitement par des éléments objectifs étrangers à tout motif discriminatoire, conformément à l’article L 1134-1 du Code du travail.

Les explications apportées par l’employeur furent considérées comme trop générales et n’emportèrent pas la conviction de la Cour.

Une telle décision témoigne d’une évolution indiscutable de la perception de tels évènements dans l’entreprise, mais il faut également reconnaître que les faits de l’espèce étaient, si j’ose dire, particulièrement gratinés, facilitant l’établissement de la preuve.