La critique a parfois ses raisons

Droit Social

« Quand on passe les bornes, il n’y a plus de limites » disait Alfred Jarry. A quel moment cette assertion trouve-t ’elle à s’appliquer sur le lieu de travail ? Jusqu’où peut-on être légitimement rude sans être insultant ?

Un arrêt récent est venu préciser cette question, nullement anodine dans le quotidien de la vie du travailleur.

Par principe, rappelons-le, le salarié, comme tout citoyen, bénéficie de sa pleine et entière liberté d’expression, ce qui lui donne de facto le droit de critiquer ou contester les ordres qu’il reçoit, comme les instructions qu’on lui donne.

Mais évidemment, il y a des limites.

C’est ainsi qu’il peut être sanctionné en cas d’abus lorsqu’il recourt à des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs (Cass. soc. 27-3-2013 no 11-19.734 FS-PB). En cas de litige, la Cour de cassation vérifie que les juges du fond ont, le cas échéant, caractérisé un tel abus (Cass. soc. 21-3-2018 no 16-20.516 FS-D).

En l’espèce (Cass. soc. 15-1-2020 n° 18-14.177 F-D), l’employeur reprochait au salarié d’avoir tenu des propos inappropriés à l’égard de son supérieur hiérarchique, notamment l’utilisation des termes « soyez plus visionnaire M. Z. » (comme Zorglub !) ou encore « je ne sais pas comment vous pouvez écrire de telles calembredaines » (on notera au passage l’exigence littéraire de l’impétrant), ainsi que d’avoir échangé des courriels avec des collègues provoquant un « climat conflictuel » et une « ambiance délétère ». Et c’est ainsi qu’en France, au 21ème siècle, a pu être licencié pour faute grave un salarié qui employait le terme « calembredaines » (Larousse : histoire absurde, extravagante sottise).

En appel, les juges du fond admettent la légitimité du licenciement, en requalifiant toutefois la faute grave en faute simple constitutive d’une cause réelle et sérieuse de licenciement et déboutent donc le salarié de sa demande en dommages et intérêts.

La Cour de cassation ne suit pas la cour d’appel et casse la décision. En effet, elle constate que les magistrats ont manqué à leur devoir en ne caractérisant pas « en quoi les courriels rédigés par le salarié comportaient des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs ». Si on résume un peu hâtivement, la Cour de cassation restitue sa puissance évocatrice et littéraire au terme « calembredaine » et ne lui reconnaît pas de caractère injurieux ou excessif.

Plus récemment, est tombé entre nos mains un avertissement adressé à une salariée qui s’était inquiétée publiquement, avec une relative vivacité, de l’état visiblement fiévreux et souffrant d’une collègue au cours d’un pot « convivial » d’une trentaine de personnes dans une pièce de moins de 20 m², organisée le 13 mars, soit le lendemain de la fermeture des établissements scolaires et à quelques jours du confinement ordonné par décret pour faire face au coronavirus (le 17 mars).

Si le ton a pu surprendre l’employeur, était-il injurieux, excessif ou diffamatoire que de s’inquiéter de la propagation de virus dans un contexte sanitaire parfaitement connu et identifié ? En réalité, c’est le principe même d’une réunion conviviale qui était incongru, et il est plus que probable que l’attitude de la salariée serait reconnue comme légitime et proportionnée par les juridictions. Elle ne faisait finalement que rappeler à sa hiérarchie l’obligation de résultat pesant sur l’employeur s’agissant de la protection de la santé des salariés (articles L 4121-1 et 2 du Code du travail).

Là encore, s’attarder au contexte et au propos est essentiel, s’agissant d’une appréciation qui se doit d’être concrète et objective.

Sébastien Bourdon

Outils de travail et maladie

Droit Social

L’hiver est là, cette alternance de froid et de pluie nous amène à parler un peu maladie et conséquences sur le contrat de travail, c’est indéniablement de saison.

Il est assez fréquent que l’on attribue à un salarié des outils dits de travail mais dont l’usage par nature dépasse le seul exercice des fonctions stricto sensu (téléphone, ordinateur, voiture etc.).

Quid en cas d’absence pour maladie, peut-on les retirer au salarié ?

La capitale de la porcelaine a récemment répondu à cette pertinente question (CA Limoges 8-10-2019 n° 19/00169) :

La suppression d’un véhicule de fonction à usage professionnel et privé et d’une ligne téléphonique à usage strictement professionnel confiés à un salarié en arrêt de travail depuis plusieurs années ne constitue pas un manquement de l’employeur suffisamment grave pour justifier la résiliation du contrat de travail à ses torts.

Les faits de l’espèce sont les suivants : le salarié concerné était en arrêt maladie depuis 2006 (!) et avait été finalement déclaré physiquement inapte par le médecin du travail en 2014 puis licencié peu de temps après en raison de l’impossibilité de le reclasser.

Dans un élan « tu es viré ! – Non c’est moi qui pars ! », avant même le lancement de la procédure de licenciement, le salarié avait introduit une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail, arguant notamment de la privation, pendant son arrêt de travail, de son véhicule de fonction et de son téléphone portable.

La cour d’appel de Limoges a débouté le salarié de ses demandes, en retenant un argumentaire différent selon les outils de travail concernés.

S’agissant du téléphone, le contrat de travail ne précisait pas les conditions d’attribution et de retrait de ce dernier, mais l’appareil avait été confié au salarié pour un usage strictement professionnel. En conséquence, la Cour n’a rien trouvé de scandaleux à ce que l’employeur le reprenne quand cela faisait déjà 7 ans (!!) que le salarié avait cessé de travailler, et en l’ayant averti plusieurs semaines auparavant.

S’agissant du véhicule de fonction, l’évidence n’était pas de mise car celui-ci avait expressément été attribué au salarié pour un usage mixte, aussi bien professionnel que privé. Or, la Cour de cassation considère que, sauf stipulation contraire, l’employeur ne peut pas retirer un tel véhicule au salarié pendant une période de suspension du contrat de travail (Cass. soc. 24-3-2010 no 08-43.996 FS-PB : RJS 6/10 no 482). Retenant cet argumentaire, la Cour d’appel de Limoges a considéré que l’employeur avait bel et bien commis une faute en supprimant cet avantage en nature accordé au salarié dès 2006, date de son placement en arrêt maladie.

Au regard des faits de l’espèce – le salarié ne s’était plaint de la situation qu’en 2013, soit 7 ans plus tard – le manquement de l’employeur a été considéré comme réel, mais pas suffisamment grave pour justifier la résiliation du contrat de travail à ses torts.

Il eut toutefois été possible pour le salarié de réclamer une indemnité en compensation de l’avantage en nature perdu du fait du retrait du véhicule de fonction (Cass. soc. 14-6-2007 no 06-40.877 F-D).

Sébastien Bourdon

L’essentiel est de ne pas participer

Droit Social

Sur les barreaux de l’échelle de la complexité des rapports humains, on trouve forcément les relations de travail et les rapports homme femme. Il arrive évidemment que cela se mêle, et dans un mouvement nécessaire et salvateur, la loi, la jurisprudence, et tout simplement la société, sont venus faire un ménage nécessaire face à des comportements légitimement considérés comme archaïques.

Ainsi, il n’est plus question de voir dans les tenues vestimentaires ou le sourire de la victime d’abord une invite et ensuite une excuse absolutoire en cas de harcèlement (ce qui est d’ailleurs heureux : CA Limoges 13-10-2015 no 14/01164)

La question qui était posée en l’espèce à la Cour de cassation était celle de l’ambiguïté réciproque comme moyen de faire échec à l’accusation de harcèlement sexuel (Cass. soc. 25-9-2019 n° 17-31.171 F-D, S. c/ Sté Transdev Ile-de-France).

En l’espèce, un responsable d’exploitation avait envoyé, de manière répétée et durable, des SMS au contenu déplacé et pornographique à l’une de ses subordonnées (cas où des faits de la vie privée peuvent être rattachés à la vie professionnelle et justifier un licenciement). Cette dernière n’était semble t’il pas restée de marbre dans cette relation épistolaire, mais prétendait malgré tout n’y avoir donné suite que par jeu. Informé de ces évènements, l’employeur a tranché et licencié ledit responsable hiérarchique pour faute grave.

Le supérieur érotomane saisit alors la juridiction prud’homale, et devant la Cour d’appel trouve un peu de mansuétude puisqu’est exclue la reconnaissance des faits de harcèlement sexuel, la juridiction s’appuyant sur l’attitude ambiguë de la salariée qui s’en plaignait (elle aurait en effet adopté sur le lieu de travail et à son égard « une attitude très familière de séduction »).

La Cour considère néanmoins que le licenciement est justifié, mais requalifie la faute grave en cause réelle et sérieuse. Elle a en effet considéré comme fautif le fait pour un salarié d’envoyer, depuis son téléphone professionnel, de manière répétée et pendant deux ans, à une collègue dont il avait fait la connaissance sur son lieu de travail et dont il était le supérieur hiérarchique, des SMS au contenu déplacé et pornographique. L’envoyeur, exerçant les fonctions de responsable d’exploitation d’une entreprise comptant plus de 100 personnes, avait ainsi adopté un comportement lui faisant perdre toute autorité et toute crédibilité dans l’exercice de sa fonction de direction et dès lors incompatible avec ses responsabilités.

La Haute Juridiction retient cette même analyse : en l’absence de toute pression grave ou de toute situation intimidante, hostile ou offensante à l’encontre de la salariée, l’attitude ambiguë de cette dernière qui avait ainsi volontairement participé à un jeu de séduction réciproque excluait que les faits reprochés puissent être qualifiés de harcèlement sexuel.

Pour mémoire, il n’y a harcèlement sexuel que lorsque les faits sont subis par la victime, ce qui suppose évidemment l’absence de tout consentement (article L 1153-1 du Code du travail).

Ce qui a manqué à l’employeur pour triompher du salarié licencié c’est donc la possibilité de démontrer que l’impétrante avait expressément voulu faire cesser ce jeu de la séduction 2.0.

Cet arrêt constitue une première, mais il s’inscrit dans la lignée de décisions antérieures telle celle afférente à une ambiance grivoise générale sur le lieu de travail, chroniquée ici par nos soins

Sébastien Bourdon

Le barème, la suite

Droit Social

S’il y a bien une décision qui était attendue, c’est celle que vient de rendre la Cour d’appel de Reims, à propos du barème « Macron » (CA Reims 25-9-2019 n° 19/00003, SCP BTSG c/ X).

En effet, première cour d’appel à statuer sur le sujet, elle l’a jugé conforme aux textes internationaux mais, car rien n’est jamais simple, elle a admis la possibilité pour le juge de ne pas l’appliquer.

Comment en arrive-t-on là, on va essayer de vous l’expliquer.

Pour mémoire, nombre de Conseils de prud’hommes ont à ce jour écarté l’applicabilité du barème, arguant de ce qu’il méconnaîtrait, notamment, les articles 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la Convention 158 de l’OIT reconnaissant aux travailleurs licenciés sans motifs valables le droit à une indemnité adéquate et appropriée (cf. nos chroniques précédentes).

La Cour de cassation a certes récemment rendu un avis (17-7-2019 no 19-70.010) leur donnant tort, mais cela n’a pas pour autant interrompu cette vague de contestation prud’homale, d’où l’intérêt évident de cette première décision d’appel (pour celle de Paris, il faudra attendre encore un peu, elle a été reportée au 30 octobre prochain).

Pour la cour d’appel de Reims, les articles 10 de la Convention 158 de l’OIT et 24 de la Charte sociale européenne ont un effet direct horizontal, permettant de les invoquer dans l’enceinte des tribunaux français. Partant de cette possibilité, le juge rémois, analysant les dispositions de l’article L 1235-3 du Code du travail, conclut à leur conformité aux textes précités.

Tout d’abord, la Cour considère que le concept d’indemnité adéquate ou appropriée n’implique pas une réparation intégrale du préjudice, mais seulement une indemnisation d’un montant raisonnable au regard du dommage causé, et suffisante pour assurer l’effectivité de l’exigence d’une cause réelle et sérieuse, ce qui ne serait pas intrinsèquement incompatible avec le concept de plafond.

Elle relève ensuite quand même que le dispositif prévu par le Code du travail serait de nature à porter atteinte au droit à une indemnisation adéquate et appropriée.

Mais, reprenant la maxime macronienne – « en même temps » – ces atteintes au droit à une indemnisation appropriée lui paraissent légitimes et proportionnées. Légitimes car nées d’une loi démocratiquement votée, et proportionnées car, contrairement au système italien par exemple, l’existence d’une fourchette laisse une latitude au juge dans sa décision.

Dès lors, pour la cour d’appel de Reims, « le contrôle de conventionnalité exercé de façon objective et abstraite sur l’ensemble du dispositif, pris dans sa globalité, et non tranche par tranche, conduit à conclure (…) à la conventionnalité de celui-ci ».

Jusqu’ici tout va bien, mais le juge complique un peu le débat en considérant qu’il existe deux types de contrôle de conventionnalité d’une règle de droit interne au regard des normes européennes et internationales : le contrôle de conventionnalité de la règle de droit elle-même (contrôle « in abstracto ») et celui de son application dans les circonstances de l’espèce (contrôle « in concreto »).

Partant de là, la Cour juge ainsi que « le contrôle de conventionnalité ne dispense pas, en présence d’un dispositif jugé conventionnel, d’apprécier s’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné ».

A suivre ce raisonnement, le juge saisi pourrait conserver la possibilité d’écarter l’applicabilité du barème, s’il le considère de nature à entraver une réparation adéquate. La recherche de proportionnalité doit se faire alors « in concreto ». Pour cela, il faudrait simplement que le salarié plaignant sollicite que soit faite cette recherche, le juge ne pouvant se saisir d’office de cette question.

En l’espèce, le salarié n’ayant pas demandé au juge un contrôle concret de son cas particulier mais seulement un contrôle abstrait de conventionnalité du barème, le jugé rémois a appliqué celui-ci.

Au regard de l’atmosphère actuelle dans le monde prud’homal, il faudra des avocats sacrément distraits pour oublier de former une telle demande.

Sébastien Bourdon

Le discriminé imaginaire

Droit Social

Avant d’évoquer cette affaire peu commune tranchée par la Cour d’appel de Lyon au mois de juillet dernier, rappelons les grands principes qui gouvernent l’embauche, s’agissant de la lutte contre toute discrimination dans ce cadre.

En application des articles L 1132-1 à L 1132-3-3 du code du travail, cela semble évident, mais aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement pour les motifs suivants : origine, sexe, mœurs, orientation sexuelle, identité de genre, âge, situation de famille, grossesse, caractéristiques génétiques, particulière vulnérabilité résultant de la situation économique de l’intéressé, appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, opinions politiques, activités syndicales ou mutualistes, convictions religieuses, apparence physique, nom de famille, lieu de résidence, domiciliation bancaire, état de santé, perte d’autonomie, handicap, capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français.

Prenant quelque peu au pied de la lettre ces essentielles dispositions légales, un candidat – mâle, le détail a son importance – adresse à un potentiel employeur la lettre suivante (qu’on est droit de qualifier d’écrite sous substances) :

« Je vous adresse ma candidature pour occuper des postes de secrétaire juridique, assistant juridique […] ; ces fonctions étant principalement exercées par des femmes, je suis amené à vous prévenir qu’au cas où, malgré mes sérieuses compétences et expériences professionnelles et extra professionnelles, je ne serais pas recruté dans les trois mois qui suivent, j’engagerai un détective afin qu’il mène une enquête au sein de votre agence […] ; alors, je pourrai déterminer l’existence d’une discrimination à l’embauche en raison de mon sexe, ou de mes opinions politiques profondes résultant de mes nombreuses dizaines de procédures prud’homales […] »

Marquons ici une petite pause, et notons cette tournure aussi curieuse qu’un peu inquiétante, cet homme parle de « nombreuses dizaines ». S’agissant de procès intenté à des employeurs, il n’est pas certain que cet argument soit porteur dans le cadre d’une recherche d’emploi.

Mais poursuivons, car même s’il s’agit de menaces, c’est amusant : « si l’envie vous prenait de consulter vos fichiers informatique ou non automatisés pour savoir si des données à caractère personnel me concernant et compromettantes y figuraient, je vous poursuivrais en application de loi du 6 janvier 1978 […] ; je vous invite donc vivement à bien étudier ma candidature avant de l’écarter le cas échéant, après examen approfondi de mon curriculum vitae ».

Etonnamment n’est-ce pas, sa candidature n’a pas été retenue et prenant ses propres mots au pied de la lettre, le candidat déçu a saisi la juridiction prud’homale pour solliciter des dommages et intérêts pour discrimination à l’embauche.

Il a – et c’est rassurant – été débouté de sa demande par la Cour d’appel.

En effet, ce candidat « malheureux » n’avait apporté aux débats aucun élément laissant supposer que d’autres personnes de sexe féminin, ou ayant d’autres opinions politiques que les siennes (opinions qu’on ne connaît d’ailleurs pas, puisqu’il reste très évasif sur ce point), auraient présenté, en même temps que lui, leur candidature aux postes décrits dans sa lettre et auraient été embauchées par la société.

Deux autres arguments sont retenus par la Cour pour achever de l’envoyer paître : il n’établissait pas que les divers postes auxquels il demandait à être recruté étaient disponibles dans l’entreprise. En effet, ce délire paranoïaque ne faisait même pas suite à une annonce de recherche de candidats publiée par l’entreprise !

Last but not least, il lui a été refusé la possibilité d’invoquer le non-respect des dispositions de l’article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l’Homme, au seul motif que la société lui a indiqué dans sa réponse qu’un contentieux les opposant était toujours en cours (et oui, il n’en était pas à son galop d’essai), puisque la procédure introduite par lui à l’encontre de son ancien employeur n’avait pas encore fait l’objet d’une décision de justice irrévocable.

Une fois n’est pas coutume, notons que cet agité du bocal a été condamné au paiement d’une amende civile en raison de son action en justice, qualifiée par la Cour de dilatoire et abusive. Non seulement il n’avait répondu à aucune offre d’emploi, mais encore les termes généraux et pour le moins menaçants dans lesquels il a exprimé sa candidature ne caractérisaient pas une véritable demande d’emploi, de sorte que l’action a été introduite par lui devant le conseil de prud’hommes de mauvaise foi, s’agissant d’invoquer une faute inexistante à l’encontre de l’entreprise (CA Lyon 17-7-2019 no 17/04383).

Sébastien Bourdon

L’amour à mort

Droit Social

Il y a quelques temps nous avions évoqué sur ces pages une décision aux termes de laquelle La Cour de cassation avait décidé qu’un accident survenu dans une discothèque à l'étranger pouvait être un accident du travail  (Cass. 2e civ. 12-10-2017 no 16-22.481 F-PB).

En effet, selon une jurisprudence constante, un salarié accomplissant une mission pour son employeur a par essence droit à la protection contre les accidents du travail pendant tout le temps qu’il y consacre, peu important que l’accident survienne à l’occasion d’un acte professionnel ou d’un acte de la vie courante (Cass. soc. 19-7-2001 n° 99-21.536 FS-PBRI et n° 99-20.603 FS-PBRI ).

L’employeur ou l’organisme social peuvent toutefois renverser la présomption en rapportant la preuve que le salarié s’était, lors de l’accident, interrompu dans l’exécution de sa mission pour un motif personnel.

C’est exactement ce qu’a tenté de faire – mais sans succès – un employeur dans une décision récente de la Cour d’appel de Paris, décision qui aborde frontalement les épineuses questions de l’éros et du thanatos au travail (Cour d’appel de Paris – Pôle 6 – Chambre 12 – 17 Mai 2019 – N° RG 16/08787).

L’espèce concernait le brusque décès d’un technicien de sécurité au cours d’un déplacement professionnel.

Ce dernier ayant été retrouvé sans vie dans la chambre d’une mystérieuse inconnue, l’histoire commence comme un roman de Gaston Leroux mais finit comme les dernières heures de Félix Faure.

A la suite de la prise en charge du décès au titre de la législation professionnelle, la société a saisi la Commission de recours amiable, puis le tribunal des affaires de sécurité sociale, afin de se voir déclarer inopposable cette décision. Le jugement rendu confirmant la décision de la Commission, la société poursuit l’instance devant la Cour d’appel de Paris.

Dans ce cadre, elle sollicite l’infirmation en faisant valoir que le salarié aurait en réalité interrompu sa mission pour se livrer à une toute autre activité que celle pour laquelle il était rémunéré, s’agissant d’une « relation adultérine avec une parfaite inconnue ».

Dans ce cadre pour le moins croquignolet, il était demandé à la Cour de :

  • Constater qu’il n’était plus en mission au moment de son malaise mortel ;
  • Constater que l’accident cardiaque était dû à l’acte sexuel et non à son travail.

La CPAM, en réponse à cet argumentaire, fait valoir qu’un « rapport sexuel relève des actes de la vie courante » (d’aucuns pourraient dire que ce n’est pas forcément aussi courant que cela dans la vie), à l’instar « d’une douche ou d’un repas ».

Ensuite, partant de ce postulat, elle affirme que l’employeur ne rapportait pas la preuve – ici nécessaire – que le salarié avait « interrompu sa mission pour accomplir un acte totalement étranger à celle-ci ».

Il serait légitime de considérer cet argumentaire comme quelque peu audacieux et pourtant la Cour d’appel le confirme intégralement. Pour ce faire, elle retient le concept d’un évènement de « la vie courante », et rappelle les dispositions de l’article L 411-1 du Code de la sécurité sociale selon lequel est « considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise. »

Ainsi, alors que personne ne conteste que le salarié a trouvé la mort dans les bras d’une créature en un lieu autre que la chambre d’hôtel réservée par l’employeur, elle estime que la société est défaillante dans la preuve de ce que le défunt se serait « interrompu dans sa mission pour un motif personnel ».

Même durant ce fatal rapport sexuel, le salarié serait donc resté « dans la sphère de l’autorité de l’employeur ».

Il serait donc bien difficile au travailleur d’échapper à son fardeau quotidien, même dans l’amour, et jusqu’à la mort.

Sébastien Bourdon

Qu’importe le barème, pourvu qu’on ait l’indemnisation

Droit Social

Alors que la Cour de cassation tranchera très prochainement (le 17 juillet) la demande d’avis dont elle a été saisie notamment par le conseil de prud’hommes de Louviers et portant sur la conformité du barème « Macron » avec les articles 24 de la charte sociale européenne et 10 de la convention 158 de l’OIT,  le débat continue à faire rage, chaque juridiction prud’homale ayant son avis sur la question, et pas forcément le même (sinon ce n’est pas drôle).

Ainsi, alors que le conseil de prud’hommes de Saint-Nazaire juge le barème conforme aux textes internationaux (Cons. prud’h Saint-Nazaire 24-6-2019 n° 18/00105), celui de Longjumeau admet qu’il peut ne pas être appliqué lorsque le salarié apporte la preuve que le montant réel de son préjudice excède les plafonds qui y sont prévus (Cons. prud’h Longjumeau 14-6-2019 n° 18/00391).

Dans les deux cas les demandeurs soutenaient évidemment que le barème devait être écarté, ce que les juges prud’homaux ont donc entendu différemment.

Comme avant lui les conseils de prud’hommes du Mans (https://bourdonavocats.fr/blog/bourdonnement.asp?id=55) et de Caen (Cons. prud’h. Caen 18-12-2018 no 17/00193 : RJS 3/19 no 155), notamment, le conseil de prud’hommes de Saint-Nazaire déclare que les dispositions de l’article L 1253-3 du Code du travail prévoyant le barème d’indemnités ne sont pas contraires à celles de l’article 10 de la convention 158 de l’OIT. Il ne se prononce pas sur leur conformité à l’article 24 de la charte sociale européenne estimant que ce texte n’est pas directement applicable par la juridiction prud’homale, tout en soulignant qu’il comporte un principe similaire aux dispositions de l’article 10 de ladite convention.

Les juges estiment « que l’indemnité prévue au barème a vocation à réparer le préjudice résultant de la seule perte partielle injustifiée de l’emploi et que, si l’évaluation des dommages et intérêts est encadrée entre un minimum et un maximum, il appartient toujours aux juges, dans les bornes du barème ainsi fixé, de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu’il se prononce sur le montant de l’indemnité ».

Et d’ajouter « que les autres préjudices, en lien avec le licenciement et notamment les circonstances dans lesquelles il a été prononcé, sont susceptibles d’une réparation distincte sur le fondement du droit à responsabilité civile, dès lors que le salarié est en mesure de démontrer l’existence d’un préjudice distinct ».

Mais à Longjumeau, on fait résonner un tout autre son de cloche.

Dans sa décision, la formation de départage de ladite juridiction prévient qu’elle ne se sentira pas très liée par ce qu’ont pu dire ou penser la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat : elle affirme ainsi que la question de la conformité du barème aux textes internationaux ne relève pas de la procédure d’avis devant la Cour de cassation, se référant à un avis rendu en ce sens le 12 juillet 2007 (Avis Cass. soc. 12-7-2017 no 17-70.009 PB). Par ailleurs, la même formation estime ne pas être tenue par la décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2018, dans la mesure où le contrôle de conventionnalité d’un texte ne relève pas de celui-ci, ni par celle du Conseil d’Etat du 7 décembre 2017 puisque « l’interprétation d’une disposition par le Conseil d’Etat ne s’impose pas aux juridictions de l’ordre judiciaire, en application du principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire ».

Les mains ainsi totalement libérées, le conseil de prud’hommes reconnaît un effet horizontal tant à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT qu’à l’article 24 de la charte sociale européenne, de sorte qu’ils peuvent être invoqués par le salarié devant le juge du travail dans une instance l’opposant à son employeur.

Cela fait, les juges s’attaquent aux dispositions de l’article L 1235-3 du Code du travail et affirment qu’elles pourraient avoir un effet contraire aux dispositions des textes internationaux précités lorsqu’un salarié ne relevant pas d’une exception prévue par l’article L 1235-3-1 (écartant l’application du barème en cas de nullité du licenciement) « est en mesure de démontrer que le montant réel de son préjudice matériel excède le plafond prévu par le barème légal d’indemnisation et lorsque ces dispositions ne permettent donc pas une réparation intégrale du préjudice matériel subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

Pour la faire brève, le barème s’applique… sauf s’il ne doit pas s’appliquer. Si ses dispositions sont insuffisantes à indemniser le préjudice établi, il suffit donc de ne pas en tenir compte. Le barème devient tout simplement facultatif.

Avec de telles décisions contradictoires et libérées, vivement la suite !!.

Sébastien Bourdon

Time is of the essence

Droit Social

Il y avait quelque chose d’absurde au royaume du droit social à imaginer que soient compatibles les notions de forfait jours et de travail à temps partiel.

Pour mémoire, la convention de forfait jours permet de sortir certains salariés du décompte normal du temps de travail et de mesurer leur durée de travail annuelle par récapitulation du nombre de journées ou demi-journées travaillées sur ladite période.

La nécessaire convention ou l’indispensable accord collectif fixant les catégories de salariés susceptibles de conclure des conventions individuelles de forfait annuel en jours détermine au passage le nombre de jours travaillés dans la limite maximale de 218 jours.

Dans l’espèce qui nous agite, un salarié ayant conclu avec son employeur une convention de forfait annuel de 131 jours avait saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir la requalification de son contrat en contrat de travail à temps plein (et un rappel de salaire à ce titre). C’était bien tenté, mais en réalité, non.

Pour ce faire, il reprochait à son employeur de ne pas avoir respecté la législation sur le travail à temps partiel, laquelle prévoit effectivement des mentions obligatoires dans le contrat de travail, en particulier la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois (article L 3123-6 du Code du travail).

Le lecteur avisé sent poindre le possible paradoxe : si l’on ne décompte effectivement pas le temps de travail, comment alors en coucher précisément sur le papier la répartition ?

La chambre sociale de la Cour de cassation éclaircit enfin le débat et affirme, à l’instar de la Cour d’appel initialement saisie, que les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année dont le nombre est inférieur à 218 jours ne peuvent tout simplement pas être considérés comme des salariés à temps partiel (Cass. soc. 27-3-2019 n° 16-23.800 FS-PB, B. c/ Sté Giraudier conseil).

Comme évoqué supra, l’accord collectif autorisant la conclusion de conventions de forfait en jours fixe le nombre de jours de travail inclus dans ledit forfait, fixant ainsi un plafond (article L 3121-64 alinéa 3 du Code du travail). Ce principe n’interdit nullement ensuite aux parties de convenir d’un nombre de jours de travail inférieur à celui prévu par les partenaires sociaux.

Mais pour autant, cette durée de travail réduite et décomptée en jours ne se transforme pas en un temps partiel.

En effet, à quoi reconnaît-on un travailleur à temps partiel ? C’est celui dont le temps de travail est défini par référence au nombre d’heures de travail accomplies (et non pas au nombre de jours travaillés, c’est un peu sioux, mais finalement assez logique).

Ainsi, le contrat du salarié à temps partiel doit mentionner la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et sa répartition entre les jours de la semaine ou les semaines du mois (article L 3123-6 du Code du travail).

Au contraire, le forfait en jours permet de s’extraire du décompte légal en heures. Le salarié qui y est soumis s’engage à travailler un certain nombre de jours par an, en partant du principe que le nombre réel d’heures effectuées est impossible à comptabiliser.

Cette incompatibilité méritait d’être soulignée, la Cour s’en est enfin chargée.

Sébastien Bourdon

Distinguer le manquement de la faute

Droit Social

Rompre n’est pas chose aisée, le droit du travail nous le rappelle tous les jours. La question de la compétence ou de l’adéquation à une fonction est une question particulièrement pertinente, si l’on part du principe - pas forcément absurde puisqu’il est payé - que l’employé se doit d’être utile et efficace.

La recherche en management définit la compétence du salarié par trois dimensions cumulatives : l’autonomie, la collaboration et la responsabilité (Zarifian 2001). Partant de là, à charge pour l’employeur de déterminer où et comment l’employé a failli.

Lorsque l’employeur se prend ainsi à considérer que tel ou tel salarié ne fait plus l’affaire et décide donc de le licencier, il convient alors de distinguer ce qui relève de l’incompétence ou du manquement volontaire, voire fautif.

C’est dans ce cadre qu’avec une pertinence réitérée, la Cour de cassation a récemment rappelé que des faits fautifs ne peuvent pas justifier un licenciement pour insuffisance professionnelle (Cass. soc. 9-1-2019 n° 17-20.568 F-D, K. c/ Sté Crédit agricole Corporate and Investment Bank).

On peut travailler mal et ne pas le faire exprès (c’est généralement ce qu’essaye de plaider l’ado moyen auprès de ses parents à réception du bulletin scolaire), ou bien se comporter mal et volontairement saccager ses tâches au détriment des intérêts de l’entreprise (sans forcément aller jusqu’à l’intention de nuire, qui relève elle de la faute lourde).

Pour mémoire, l’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité du salarié à accomplir les tâches qui lui sont confiées en raison d’un manque de compétences. Elle résulte donc par principe d’un comportement involontaire de l’intéressé et ne saurait être fautive. Ainsi l’employeur ne peut pas, sauf abstention volontaire ou mauvaise volonté délibérée de l’intéressé, se placer sur le terrain de la faute.

Conséquemment, le licenciement disciplinaire fondé sur la seule insuffisance professionnelle du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 13-1-2016 n° 14-21.305 F-D ; Cass. soc. 27-2-2013 n° 11-28.948 F-D).

A l’inverse, l’employeur ne peut pas motiver la rupture sur l’insuffisance professionnelle s’il justifie sa décision par des manquements volontaires tels que le non-respect des consignes.  En effet, cette qualification recouvre alors celle de l’insubordination, même si finalement, le résultat est le même : le boulot n’est pas – ou mal – fait. Ce n’est donc pas la conséquence qui prime, c’est le comportement qui en est à l’origine.

En l’espèce, un salarié avait été licencié pour insuffisance professionnelle quand lui étaient reprochés des manquements manifestement volontaires.

La Cour de cassation a donc ici légitimement rappelé aux praticiens que repose sur un motif disciplinaire, et non sur une insuffisance professionnelle, le licenciement motivé par le refus quasi systématique du salarié de se soumettre aux directives de son responsable hiérarchique, de lui serrer la main et, lors d’une convocation dans son bureau, le refus de s’y asseoir, la critique de la politique managériale et l’opposition, parfois de manière virulente, à son responsable.

Toutefois, s’agissant même de la rupture pour manquement professionnel involontaire, l’on pourrait même s’interroger sur sa légitimité de principe quand le licenciement pourrait être considéré comme étant intrinsèquement une sanction au sens des dispositions de l’article L 1331-1 du Code du travail (sauf pour motif économique), supposant alors nécessairement la commission d’une faute (« agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif »).

Sébastien Bourdon

Tout contrat de travail mérite salaire

Droit Social

On a évoqué il y a peu le fait que la Cour de cassation se soit prononcée pour la première fois sur la nature du contrat liant un coursier à pédales à une plate-forme numérique, le transformant d’autorité en contrat de travail, en rappelant que, s’appuyant sur des jurisprudences antérieures :

  • l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ;
  • le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Plus récemment encore, la Cour d’appel, s’inscrivant dans une trajectoire similaire, a jugé que les chauffeurs des plateformes en ligne de réservation peuvent avoir la qualité de salarié (CA Paris 10-1-2019 n° 18/08357, P. c/ Sté Uber B.V).

Pour ce faire, elle s’est basée sur le même principe selon lequel l’existence d’un contrat de travail se déduit de la caractérisation d’un lien de subordination.

Le fait d’être immatriculé au registre du commerce et des sociétés et au répertoire des métiers fait évidemment présumer que la relation nouée avec le donneur d’ordre ne soit pas un contrat de travail.

Mais il ne s’agit que d’une présomption, cette dernière ne résistant pas à la démonstration de la fourniture directe par des travailleurs indépendants de prestations à un donneur d’ordre dans des conditions les plaçant dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci (C. trav. art. L 8221-6).

En l’espèce, un chauffeur encarté chez Uber avait conclu un contrat qualifié de « prestation de services » avec la fameuse compagnie, cette dernière utilisant une plateforme en ligne d’intermédiation de transport mettant en relation des professionnels indépendants fournissant une prestation de transport et des utilisateurs souhaitant en bénéficier.

Ayant, et pour cause, un léger doute sur la réalité du rapport contractuel, celui qui tenait le volant saisit la juridiction prud’homale afin de solliciter la requalification de la relation le liant à la société en un contrat de travail à durée indéterminée.

Pour justifier une telle requalification, il fait audacieusement valoir que les courses qu’il réalisait constituaient autant de contrats à durée déterminée devant être requalifiés en un seul contrat à durée indéterminée.

Le conseil de prud’hommes se déclare incompétent pour connaître de la relation de travail entre les parties et rejette sa demande, mais la cour d’appel ensuite saisie ne tient pas exactement le même raisonnement.

La Cour, de manière didactique, commence par rappeler que le contrat de travail est constitué par l’engagement d’une personne à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre moyennant rémunération.

Dans ce contexte, la Cour parisienne enfonce un clou, sur lequel les juridictions tapent de plus en plus, en réaffirmant que le lien de subordination juridique est caractérisé par le pouvoir qu’a l’employeur de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son salarié et que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité.

Une fois de plus, la cour d’appel, à l’instar de la Cour de cassation dans l’espèce vélocipédique précitée (Cass. soc. 28-11-2018 n° 17-20.079 FP-PBRI : RJS 2/19 n° 72), apprécie le faisceau d’indices qui lui est soumis par l’appelant pour établir un lien de subordination entre les parties. S’estimant suffisamment éclairée, elle infirme le jugement du conseil de prud’hommes.

Les faits de l’espèce sont d’ailleurs particulièrement caractéristiques de l’absence de liberté dont disposent ces travailleurs d’un genre nouveau. Le chauffeur concerné avait été ici contraint de s’inscrire au registre des métiers pour pouvoir exercer son activité, pour ensuite intégrer un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par la société, au travers duquel il ne pouvait pas :

  • se constituer une clientèle propre. Il lui était interdit pendant l’exécution d’une course de prendre en charge d’autres passagers en dehors du système et de garder les coordonnées des passagers pour une prochaine course ;
  • fixer ses tarifs. Ceux-ci étaient contractuellement fixés au moyen des algorithmes de la plateforme ;
  • déterminer les conditions d’exercice de sa prestation.

Dans cette douce fiction auto-entrepreneuriale qui était la sienne, il recevait donc des directives de la société qui en contrôlait ensuite l’exécution et exerçait un pouvoir de sanction à son égard. Il devait suivre les instructions du GPS de l’application (« Welcome to The Machine » chanteraient ici les Pink Floyd) et recevait même des directives comportementales. Son activité était contrôlée en matière d’acceptation des courses ainsi que via un système de géolocalisation et il pouvait perdre l’accès à son compte et à l’application en cas de signalements des utilisateurs.

Dès lors, sans trop d’efforts finalement, la cour d’appel a considéré qu’un faisceau d’indices suffisant était réuni pour caractériser le lien de subordination existant entre les parties et renverser la présomption simple de non-salariat pesant sur la relation. L’affaire est donc renvoyée devant le conseil de prud’hommes de Paris comme relevant de sa compétence, à qui il appartiendra de se prononcer sur les effets de la requalification du contrat liant les parties en un contrat de travail.

Il est probable que ce ne soit qu’un début et que la horde de plus en plus importante des forçats de la pédale et du volant voit dans ces décisions successives quelques raisons d’ester efficacement en justice.

Sébastien Bourdon