Nullité du licenciement et vie privée

Droit Social

La justice est humaine, ce qui oblige la Cour de cassation à traiter de tous les sujets, même scabreux, pour en tirer de grands principes, élevant ainsi un peu le débat.

Il était une fois une entreprise au sein de laquelle le président entretenait une liaison avec une salariée. Jusque-là rien que de très banal, mais l’affaire se pimentait d’un détail qui n’en était pas un : l’épouse du mari volage était également directrice générale de la société.

La maîtresse, quant à elle, exerçait les nobles fonctions de Directrice des Ressources Humaines. Licenciée pour faute grave du fait de divers manquements allégués, elle conteste judiciairement la mesure, affirmant que son licenciement porterait atteinte au droit au respect de sa vie privée.

En effet, la décision de rupture serait, selon elle, liée à la découverte de sa liaison avec le président par l’épouse de ce dernier, la veille de sa convocation à l’entretien préalable (coïncidence ?). Or, le droit au respect de la vie privée constitue une liberté fondamentale dont la violation entraîne la nullité du licenciement.

En cause d’appel, les juges du fond ont écarté les manquements reprochés, ont considéré que l’atteinte à la vie privée était établie, mais ont estimé que le licenciement était privé de cause réelle et sérieuse, et non nul. La salariée vengeresse s’est donc pourvue en cassation.

La Cour de cassation en a profité pour rappeler qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Par ailleurs, et en application de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme, de l’article 9 du Code civil et de l’article L 1121-1 du Code du travail, la Haute Juridiction a rappelé que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée. Tout licenciement sur ce fondement est donc nul (article L 1235-3-1 du Code du travail).

Ce n’est pourtant pas la liaison qui avait expressément motivé la rupture, mais des fautes professionnelles. Il a bien fallu raccrocher les wagons, et la Cour de cassation a rappelé, en premier lieu, qu’aucun des griefs énoncés dans la lettre de licenciement n’était établi.

Ensuite, elle a relevé que la véritable cause du licenciement est bien la découverte par l’épouse du président de la liaison que la salariée entretenait son mari. Il est vrai qu’elle avait exigé de son mari qu’il la licencie sur le champ…

Ainsi, il convenait de chercher la réalité de la motivation et non les faits énoncés dans la lettre, en l’espèce de pure façade. La cour d’appel aurait dû déduire de ses constats que le licenciement était fondé sur un fait relevant de l’intimité de la vie privée de la salariée, et qu’il était ainsi frappé de nullité.

La Haute Juridiction prononce donc la nullité du licenciement, sans renvoi (Cass. soc. 4-6-2025 no 24-14.509 F-D, P. c/ Sté Sodico expansion).

La vie sentimentale est chose complexe, au travail comme ailleurs, et peut-être eût-il été paradoxalement judicieux de rompre le contrat en invoquant frontalement la liaison et les risques de trouble dans la communauté de travail qu’elle pouvait potentiellement engendrer…

Sébastien Bourdon

Prévenir la bagarre, une obligation pour l’employeur

Droit Social

Même lorsqu’il s’agit de séparer deux chats qui se battent, mettre fin à une altercation n’est jamais aisé. Alors que penser de l’éventuelle responsabilité de l’employeur en cas d’altercation entre salariés ?

La Cour de cassation, en faiseuse de paix, s’est penchée sur la question et a rappelé quelques principes en matière de sécurité des salariés (Cass. soc. 26-3-2025 n° 23-13.081 F-D, H. c/ Syndicat mixte de transport et traitement des déchets de Moselle Est).

Un salarié, chef d’équipe d’une régie de gestion des déchets mosellane, saisit le conseil de prud’hommes en requalification de son licenciement pour faute grave, alléguant avoir été victime de harcèlement moral. Pour que la coupe soit pleine, il sollicite le versement de dommages et intérêts au titre du manquement de son employeur à son obligation de sécurité en raison des violences qu’il aurait subies lors d’altercations avec ses subordonnés.

Débouté de l’ensemble de ses demandes par la cour d’appel de Metz, il se pourvoit en cassation. La chambre sociale de la Cour de cassation censure les juges d’appel.

Elle estime en effet que l’employeur n’a pas respecté toutes les règles afférentes à la prévention des risques. Les juges d’appel avaient fait court, en se contentant de relever que l’impétrant ne précisait pas les démarches qu’aurait dû adopter son employeur pour protéger sa santé, et de ce qu’il ne justifiait pas avoir alerté sa hiérarchie préalablement à son licenciement. Etrange inversion dans le raisonnement : le salarié victime aurait dû expliquer à son employeur comment ne pas l’être !

La chambre sociale confirme sa jurisprudence : le salarié victime de violences physiques ou morales de la part d’un collègue peut invoquer un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (Cass. soc. 23-1-2013 no 11-18.855 FS-PB). Ce dernier ne peut s’exonérer de sa responsabilité qu’en démontrant avoir pris les mesures préventives nécessaires, sitôt informé (Cass. soc. 22-9-2016 no 15-14.005 F-D).

Il s’agit toutefois de ne pas y aller de main morte avec lesdites mesures : ainsi, aucun manquement ne peut être reproché à un employeur qui, à la suite d’une altercation entre un salarié et un tiers, a immédiatement mis en place une organisation et des moyens adaptés en appelant l’auteur de l’agression, en lui intimant de ne plus revenir dans l’entreprise et en invitant le salarié à déposer plainte (Cass. soc. 22-9-2016 no 15-14.005 F-D). »

Si vis pacem, para bellum

 « To secure peace is to prepare for war » Metallica

Sébastien Bourdon

La datation ne fait pas le grief

Droit Social

La rédaction de la lettre de licenciement est un mode d’expression artistique en prose insuffisamment reconnu. Il faut en effet moult compétences pour ne point tomber dans les mille chausse-trappes qui guettent le rédacteur.

Ainsi, et l’on pourrait s’en étonner, s’agissant d’invoquer « des motifs précis et matériellement vérifiables » la Cour de cassation vient de préciser qu’il est inutile de les dater (Cass. soc. 6-5-2025 n° 23-19.214 F-D, Sté J. assurances c/ S.).

 Rappelons que la lettre de licenciement doit énoncer le motif invoqué par l’employeur à l’appui de la rupture (C. trav. art. L 1232-6). L’essentiel est que le salarié comprenne ce qui justifie qu’il soit débarqué.

Ce motif doit donc être suffisamment précis, permettant au passage au juge d’en contrôler la validité. Pour ce faire, il s’agit d’avancer un motif matériellement vérifiable (Cass. soc. 14-5-1996 nos 93-40.279 F-D et 94-45.499 P).

Un peu comme avec les sentiments, il ne s’agirait pas d’être vague et inconsistant. En revanche, l’employeur n’est pas tenu d’indiquer, dans la lettre de licenciement, la date des faits qu’il invoque.

En l’espèce, une salariée avait été embauchée par son mari, agent d’assurances. Une dizaine d’années plus tard, le torchon brûle, et alors que le couple est en procédure de divorce, la salariée est licenciée pour faute grave.

L’atmosphère n’était pas sereine, et l’employeur motive le licenciement par divers manquements disciplinaires : dénigrement (étonnant non ?), mensonges sur les horaires d’arrivée, contestation agressive etc.

L’ex – épouse comme salariée – soutenant que ces motifs étaient imprécis, contre-attaque judiciairement. La cour d’appel lui donne raison et juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse : les faits reprochés n’étant ni datés ni circonstanciés, formulés en termes vagues, ne constituaient pas des motifs précis et matériellement vérifiables de licenciement.

La Cour de cassation censure la décision des juges du fond, constatant que la lettre de licenciement énonçait des griefs précis et matériellement vérifiables, qui pouvaient être discutés devant les juges du fond. La seule tâche de la Cour d’appel dans ce cadre était de vérifier le caractère réel et sérieux de ces derniers, et pas de chipoter sur l’absence de date, point qui eût pu être vérifié a posteriori.

Il semblerait donc que l’on puisse se passer de dater les griefs, mais par prudence atavique, s’agissant notamment des questions de prescription, on se permettra de suggérer que cette mention n’est pas forcément superfétatoire.

Sébastien Bourdon

Le harcèlement sexuel indirect

Droit Social

La définition du harcèlement sexuel paraît simple, mais est probablement insuffisante. Il est donc du ressort de la jurisprudence que de préciser son champ d’application.

Ainsi, la Cour de cassation a considéré que des propos à connotation sexiste ou sexuelle adressés en public, de manière répétée, à plusieurs personnes, peuvent caractériser le délit de harcèlement sexuel (Cass. crim. 12-3-2025 no 24-81.644 F-B, Université de Haute-Alsace c/ V.).

Pour mémoire, et si l’on voulait résumer le concept : le harcèlement sexuel, c’est quand le récipiendaire n’est pas d’accord – sans qu’il y ait d’ailleurs besoin qu’il l’ait expressément dit – et c’est un délit (article 222-33 du Code pénal).

Le trou dans la raquette du raisonnement est celui-ci : et si l’harceleur ne vise personne en particulier ?

En l’espèce, les évènements s’étaient produits dans le milieu universitaire. Un maître de conférences s’étant distingué par des propos et attitudes sexistes et dénigrants, il est poursuivi pour harcèlement sexuel par personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions au préjudice de pas moins de 15 étudiants.

Le tribunal correctionnel le déclare coupable de l’intégralité de ces faits et le condamne à 12 mois d’emprisonnement avec sursis et 3 ans d’interdiction d’exercer l’enseignement.

C’est la Cour d’appel de Colmar qui va opérer un distinguo qui n’avait pas été fait en première instance : elle relaxe le prévenu pour 14 victimes, considérant que ces dernières n’ont pas directement été visées par les propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste du prévenu, ce dernier les distribuant généreusement sans viser personne en particulier.

La Cour de cassation ne l’entend pas de cette oreille (chaste) et casse partiellement considérant que des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste, s’ils ne sont destinés à personne en particulier peuvent toucher tout le monde de manière générale.

L’exposition, même indirecte, à des comportements relevant du harcèlement sexuel ou sexiste peuvent faire de celui qui les reçoit une victime potentielle d’un harcèlement sexuel pénalement sanctionnable. C’était le cas pour cette communauté d’étudiants comme il peut en être de la communauté de travail et du « harcèlement sexuel d’ambiance » (déjà commenté sur nos lignes).

Sébastien Bourdon

Le trouble psychique, excuse absolutoire ?

Droit Social

L’autre jour, à une heure de grande écoute, un journaliste radiophonique a confié être frappé de longue date de troubles psychiques. Un élan de sincérité publique auquel pourrait faire écho un arrêt récent de la Cour de cassation : un salarié finalement blanchi des motifs de son licenciement du fait de ses désordres mentaux médicalement constatés (Cass. soc. 5-3-2025 no 23-50.022 F-D, Sté Hydro Building Systems France c/ F).

En l’espèce, un salarié comptant 28 ans d’ancienneté fait l’objet de nombreux arrêts de travail pour dépression. Après avoir envoyé des messages de menace réitérés à l’une de ses collègues, le salarié est mis à pied à titre conservatoire. Hospitalisé dans l’intervalle pour décompensation psychotique, il est néanmoins licencié pour faute grave.

La cour d’appel tranche en sa faveur, considérant que son état psychique fortement altéré pouvait obérer ses facultés de discernement, et ce d’autant qu’il était en rupture de traitement.

L’employeur forme un pourvoi, s’appuyant sur une évidence somme toute recevable : il n’avait aucune idée de l’état de santé psychique du salarié lors de son licenciement, l’ayant découvert au cours de la procédure prud’homale. Las, la Cour de cassation confirme pourtant l’arrêt d’appel : du fait des troubles mentaux du salarié, les faits reprochés ne lui étaient pas imputables.

Cela peut sembler un peu raide : si le discernement du salarié était aboli, celui de l’employeur était inexistant, faute d’information (par ailleurs couverte par le secret médical).

Couche supplémentaire : on ne peut en principe licencier un salarié du fait de son état de santé (sauf inaptitude constatée par le médecin du travail). Ainsi, si l’employeur avait su que le garçon était cliniquement dérangé… cela ne pouvait constituer un motif de rupture.

Une histoire de fou en somme…

Sébastien Bourdon

Sort de la prime sur objectifs en cas de maladie : est-elle due ?

Droit Social

Tout travail mérite salaire, mais il arrive qu’on le perçoive sans travailler. Ainsi de l’arrêt maladie, indemnisé comme il se doit.

Mais qu’en est-il lorsque la rémunération est attachée à des objectifs préalablement fixés, par essence devenus inatteignables du fait de l’absence médicalement justifiée ?

Faut-il considérer que la maladie est une injustice qu’il serait cruel de ne pas entièrement indemniser, ou bien prendre en compte que l’employeur ne peut tout réparer, ayant ses propres et légitimes impératifs ?

Dans une décision récente, la Cour de cassation a considéré qu’une prime liée à la réalisation d’objectifs n’est pas due en cas d’arrêt prolongé pour maladie, en l’absence d’obligation de maintien de salaire par l’employeur (Cass. soc. 20-11-2024 no 23-19.352 F-D).

L’arrêt pour maladie ou accident, professionnel ou non, est une suspension du contrat de travail. En principe, l’inexécution de ses tâches par le salarié dispense l’employeur de son obligation de lui verser une rémunération (C. trav. art. L 1226-1), sauf dispositions légales ou conventionnelles prévoyant le maintien de salaire, comme en cas de maladie.

La prime d’objectifs entre-t-elle dans ce cadre ? Pour le savoir, il faut commencer par s’intéresser à ce que prévoient les conditions d’attribution de la gratification (convention ou accord collectif de travail, contrat de travail, etc.) et, le cas échéant, aux usages en vigueur dans l’entreprise.

Le versement d’une prime peut ainsi dépendre de la présence ou de l’activité effective du salarié. Son absence peut alors entraîner une baisse du montant attribué, voire une suppression de la prime pour la période de suspension du contrat de travail.

En l’espèce, une salariée a été victime d’un accident du travail, puis déclarée inapte, elle est licenciée pour inaptitude non professionnelle et impossibilité de reclassement. Elle saisit la justice pour réclamer un rappel de primes d’objectifs sur les trois années durant lesquelles elle avait été absente.

La Cour d’appel lui donne raison au motif que la prime – qui n’était pas prévue au contrat de travail – était versée semestriellement en fonction d’objectifs fixés par l’employeur. Aussi, faute d’indications claires sur le sort de cette dernière en cas de maladie et dans la mesure où la salariée ne s’était pas vue fixer ses objectifs en début d’exercice, elle pouvait prétendre au montant maximal de la prime perçue précédemment.

La société, trouvant le raisonnement un peu raide, se pourvoit en cassation. Elle soutient que durant un arrêt maladie, le salarié peut uniquement percevoir les gratifications qui ne dépendent pas de son travail, interdisant une rémunération assise sur l’atteinte d’objectifs, et que le fait de ne pas les avoir pas fixés ne change rien au problème.

Cette fois, ça passe et la chambre sociale de la Cour de cassation censure la décision de la cour d’appel. La suspension du contrat de travail dispense l’employeur de son obligation de rémunération du salarié : sauf clause contractuelle ou conventionnelle contraire, un salarié ne peut prétendre recevoir une prime que dans la mesure du travail effectivement accompli. Ce n’était évidemment pas le cas s’agissant d’une salariée arrêtée pendant plus de trois années, sans clause contractuelle ad hoc.

Attention toutefois, si les absences pour maladie étaient de la responsabilité de l’employeur la solution pourrait être différente.

Sébastien Bourdon

Reconnaissance jurisprudentielle du harcèlement moral institutionnel

Droit Social

Le harcèlement moral n’est pas seulement un échange toxique entre deux personnes, mais peut relever d’une politique d’entreprise, comme l’a récemment confirmé la Cour de cassation (Cass. crim. 21-1-2025 no 22-87.145 FS-B-R).

L’affaire est connue, s’agissant de France Telecom, dont les méthodes de management et leurs effets délétères ont largement défrayé la chronique.

En 2009, un syndicat porte plainte pour harcèlement moral contre l’entreprise et certains dirigeants pour avoir mis en œuvre un plan – à l’appellation sans ambiguïté – « NEXT » (« Nouvelle Expérience des Télécoms ») et son volet social, le programme « ACT » (« Anticipation et Compétences pour la Transformation »), avec pour ambition de réduire les effectifs à hauteur de 22 000 salariés sur un total d’environ 120 000.

Etaient poursuivis du délit de harcèlement moral le PDG, le Directeur des Opérations et certains exécutants des basses œuvres. Il leur était notamment reproché d’avoir dégradé les conditions de travail de 39 salariés par des agissements répétés de harcèlement, créant un climat professionnel anxiogène.

Tant le tribunal correctionnel que la cour d’appel de Paris ont jugé que certains prévenus s’étaient rendus coupables de harcèlement moral institutionnel ou de complicité de ce délit.

Rappelant le principe d’interprétation stricte de la loi pénale et affirmant que le harcèlement moral institutionnel n’existait pas car n’entrant pas la définition de l’article 222-33-2 du Code pénal, les prévenus forment un pourvoi.

Selon eux, le harcèlement moral ne peut être caractérisé qu’en présence de relations interpersonnelles entre l’auteur des agissements incriminés et une ou plusieurs personnes déterminées. Une politique dite d’entreprise ne pourrait être sanctionnée.

La Cour de cassation a fait son boulot de juriste – c’est bien le moins – et recherché quel était le sens donné par le législateur à l’article 222-33-2 du Code pénal au moment de son adoption le 17 janvier 2002.

Après quelques recherches exégétiques, elle conclut que le législateur avait souhaité adopter une définition « la plus large et la plus consensuelle possible » de cette incrimination.

Elle confirme donc les condamnations, considérant que l’élément légal de l’infraction de harcèlement moral n’exige pas que les agissements répétés s’exercent à l’égard d’une victime déterminée ou dans le cadre de relations interpersonnelles entre leur auteur et la ou les victimes. Il suffit de faire partie de la même communauté de travail et d’avoir subi les désagréments du harcèlement moral tels que définis par le Code pénal.

A partir du moment où a été mise en place une politique d’entreprise visant à nuire à la collectivité de travail afin de la réduire drastiquement – ce qui a été établi en l’espèce – cette atteinte aux droits et à la dignité des salariés pouvait caractériser une situation de harcèlement moral institutionnel entrant dans la définition de l’article 222-33-2 du Code pénal.

Sébastien Bourdon

Fumer en public relève de la vie privée

Droit Social

L’épineuse question de la frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle a trouvé récente illustration dans un arrêt de cassation (Cass. soc. 22-1-2025 no 23-10.888 F-B).

Rappelons qu’un salarié ne peut être licencié pour un fait commis en dehors du temps et du lieu de travail. Mais la jurisprudence admet la possibilité d’un licenciement disciplinaire en cas de manquement aux obligations découlant du contrat de travail.

En l’espèce : un employeur avait organisé une croisière pour récompenser les salariés lauréats d’un concours interne. Lors de ce voyage, une salariée enfume tant sa cabine avec son narguilé (partagé avec une collègue… enceinte) qu’elle obstrue le détecteur de fumée, violation caractérisée, si ce n’est du code du travail, des règles de sécurité applicables à bord du bateau. L’équipe de nettoyage découvre les faits le lendemain et le commandant de bord ordonne le débarquement anticipé de la salariée (plus probablement dans un port qu’à bord d’une chaloupe, quand bien même les marins seraient susceptibles).

La salariée est licenciée pour faute simple, l’employeur invoquant le rattachement des faits à sa vie professionnelle, le manquement à son obligation de sécurité et le trouble causé par la dégradation de l’image de l’entreprise en raison de son comportement, et par les frais qu’il avait dû exposer pour la rapatrier. La salariée conteste la légitimité de son licenciement et demande qu’il soit jugé sans cause réelle et sérieuse.

La cour d’appel condamne l’employeur à 18 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’employeur n’entend pas rester à quai et tente un pourvoi en cassation.

Pour la Cour de cassation, la salariée étant licenciée pour faute (simple), la cour d’appel n’avait pas à rechercher si son comportement avait créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise, cette recherche ne se faisant que dans les ruptures non disciplinaires (ainsi que les marins aient trouvé à redire sur l’entreprise du fait de cet incident serait sans importance). Il fallait se contenter d’analyser les motifs sous-tendant la rupture et déterminer s’ils suffisaient à matérialiser la faute.

Or, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

La Cour d’appel rappelant que le licenciement avait été prononcé pour faute, avait retenu que la salariée ne se trouvait ni sur son temps ni sur son lieu de travail, s’agissant d’un voyage touristique offert par l’entreprise. Elle ne se trouvait donc soumise à aucun lien de subordination, ni aux règles en vigueur au sein de l’entreprise.

En outre, les juges du fond avaient rejeté l’argumentaire – un peu fumeux – de la société en constatant que l’employeur n’apportait pas la preuve que la salariée enceinte qui partageait la cabine se serait opposée au fait qu’elle fume en sa présence.

Les faits reprochés relevaient de sa vie personnelle et ne pouvaient donc constituer un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail. La Cour de cassation confirme l’arrêt.

Subsistent deux options pour se prévaloir d’un fait de la vie privée à l’appui d’une mesure de licenciement : le manquement à une obligation découlant du contrat de travail caractérisant une faute suffisamment grave ou un trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise.

La croisière s’amuse et et vogue la galère…

Sébastien Bourdon

La mésentente, un motif subtil

Droit Social

On aimerait parfois que cela soit suffisant, mais ne pas aimer son prochain ne justifie pas forcément que l’on puisse s’en débarrasser.

C’est particulièrement vrai sur le lieu de travail où peut prendre à tout un chacun l’envie de voir disparaître un collègue exaspérant, sa seule personnalité étant intrinsèquement un motif de licenciement.

Las, comme l’a rappelé cet été la Cour de cassation, les difficultés relationnelles ne constituent pas un motif disciplinaire de licenciement (Cass. soc. 12-6-2024 n° 22-12.416 F-D, X. c/ Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama).

En l’espèce, un employeur reprochait à un salarié occupant les dignes fonctions de « Responsable Validation Interne », sa mésentente avec son entourage professionnel (évidemment, si le type est chargé de valider, et qu’il ne valide jamais rien ni personne, ça casse un peu l’ambiance). Il est licencié pour cause réelle et sérieuse.

Le salarié conteste la validité (forcément) de son licenciement en justice et soutient que celui-ci repose sur un motif disciplinaire. Le cas échéant, l’employeur serait alors tenu par la procédure disciplinaire de licenciement.

Dans un arrêt d’espèce, la Cour de cassation rejette la demande du salarié, jugeant que les difficultés relationnelles et de communication persistantes causant des dysfonctionnements professionnels et générant un climat de tension permanente ne constituent pas un motif disciplinaire de licenciement. Le licenciement repose en effet sur une mésentente non fautive.

La cour d’appel avait déjà considéré que l’existence de rapports tendus avec les collègues ne caractérisaient pas un motif disciplinaire, justifiant que l’employeur ne retienne pas la procédure et la motivation ad hoc.

En effet, la mésentente entre salariés peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement si elle repose sur des faits objectifs imputables au salarié (Cass. soc. 27-11-2001 no 99-45.163 FS-P), comme c’est le cas ici. C’est finalement la personnalité même du salarié qui crée une mésentente et provoque un dysfonctionnement justifiant le licenciement, sans qu’il y ait lieu de chercher plus loin.

Mais alors à quel moment ne pas s’entendre avec les autres devient une faute (on touche carrément à la philosophie) ? Comme souvent, cela dépend des circonstances, et c’est aux juges du fond d’en décider.

Agresser ou harceler justifiera le licenciement disciplinaire, quand un caractère difficile ou pointilleux à l’excès obligera à se cantonner au licenciement pour motif personnel (motif fragile toutefois, ne devant pas virer au « délit de sale gueule »).

Sébastien Bourdon

L’accident du travail : une définition glissante ?

Droit Social

Eternelle question, sans cesse repensée par la jurisprudence sociale : où commence et s’arrête le travail ?

Dans deux espèces successives, les Cour d’appel de Paris et d’Amiens se sont ainsi interrogées sur la nature d’accident du travail d’évènements survenus en mission (CA Paris 26-4-2024 no 21/02321 ; CA Amiens 21-5-2024 no 22/02047).

Le principe est a priori simple : relève également de l’accident du travail celui intervenu alors que le salarié est en mission, que ce soit à l’occasion d’un acte professionnel ou de la vie courante, sauf si l’employeur ou la caisse d’assurance maladie démontrent que le salarié avait interrompu sa mission pour un motif personnel.

S’agissant en l’occurrence de deux moyens de transport que l’on qualifiera de ludiques – skate-board et patins à glace – cela mériterait que l’on s’y penche (sans tomber).

Dans la première affaire, une hôtesse de l’air, en repos pendant une escale en Floride, avait choisi le skate-board pour se rendre à son déjeuner. Las, elle a chuté. L’employeur a alors soutenu que l’hôtel l’hébergeant disposant d’un restaurant, son déplacement à roulettes relevait d’un choix personnel, celle-ci ne se trouvant alors pas sous sa subordination.

La cour d’appel n’en a eu cure : l’accident avait bien eu lieu au cours de la mission, celle-ci étant définie comme un déplacement professionnel exécuté sur l’ordre de l’employeur et dans l’intérêt de l’entreprise, qu’il soit de courte durée ou nécessite un hébergement hors du domicile du salarié.

Aller au restaurant en planche à roulettes a été considéré par les juges comme un acte de vie courante sans caractère exceptionnel, même que l’intéressée n’avait pas pris des risques inconsidérés en optant pour ce mode de locomotion.

Dès lors, la salariée était bien sous la subordination de l’employeur lors de l’accident et la décision de prise en charge par la caisse était donc opposable à l’employeur.

Dans la seconde affaire, on reste dans les sports de glisse, mais en plus frais. Une salariée participait à une formation organisée par le comité social et économique, avec sortie à la patinoire en prime. Evidemment, c’était périlleux et l’impétrante chute, avec fracture à la clé.

L’employeur avait contesté le caractère professionnel de l’accident estimant que celui-ci était intervenu à un moment où la salariée n’était plus sous son autorité.

La cour d’appel d’Amiens infirme la décision des premiers juges, considérant que l’accident était survenu pendant le temps de la mission et que celle-ci n’avait pas été interrompue pour un motif personnel. En effet, participer à une activité ludique avec les collègues, n’empêchait pas la salariée de rester sous l’autorité et le contrôle de l’employeur.

Il n’est pas exclu que la solution eût été différente si les dérapages incontrôlés des salariées s’étaient produits au même moment, mais dans un cadre strictement privé.

Sébastien Bourdon