La liberté d’expression et ses légitimes limites

Droit Social

Non seulement ce n’est pas une opinion, et par là strictement interdit, mais la tenue de propos racistes ou homophobes en entreprise met en jeu l’obligation de sécurité de l’employeur et l’autorise à sanctionner le salarié fautif.

Alors que la montée en puissance d'une certaine force politique semble avoir quelque peu, et à mauvais escient, libéré la parole, rappelons que la réaction immédiate de l’employeur s’impose en la circonstance.

Le salarié qui tient des propos racistes ou homophobes dans l’entreprise commet une infraction réprimée par les articles R 625-7 et suivants du Code pénal. Il ne peut pas prétendre exercer sa liberté fondamentale d’expression (CA Versailles 11-2-2003 no 02-293) : comme toujours, comment ne pas être fasciné par la poursuite d’une telle argumentation devant les tribunaux ?!

Le salarié se rend également coupable de discrimination à l’égard de sa victime, protégée par l’article L 1132-1 du Code du travail. Celle-ci peut donc rechercher la responsabilité de l’employeur sur ce fondement.

Le fait que les propos se tiennent hors les horaires de travail, à l’occasion de raouts d’entreprise ou de week-end d’intégration, n’y change rien, la discrimination potentielle est retenue (Cass. soc. 15-5-2024 no 22-16.287 F-D).

En réalité, mais cela devrait il surprendre, tous les comportements à caractère sexiste ou xénophobe sont prohibés. Ils sont par nature susceptibles d’atteindre la dignité du salarié visé, au point qu’il appartient même à l’employeur de faire en sorte que les salariés entre eux aient une attitude respectueuse (Cass. soc. 7-2-2012 no 10-18.686 FS-PB), et même auprès d’intervenants extérieurs (propos antisémites tenus à un client via la messagerie de l’entreprise : Cass. soc. 2-6-2004 no 03-45.269 F-PI).

L’employeur qui laisse un salarié proférer des injures racistes ou adopter un tel comportement, sans prendre les mesures de prévention adéquates, manque à son obligation de sécurité et peut être condamné à indemniser la victime.

De plus fort, le salarié insulté peut arguer de ces évènements et de l’inertie de l’employeur, pour prendre acte de la rupture de son contrat de travail, celle-ci produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse dès lors que le manquement à l’obligation de sécurité est jugé suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail (Cass. soc. 23-5-2013 no 11-12.029 F-D).

Il y a donc lieu de se saisir du problème, et urgemment, une fois celui-ci révélé (l’entreprise n’ayant pas non plus à tolérer les règlements de comptes, fussent-ils moralement acceptables) : campagnes d’information et de prévention, et en cas de signalement d’un incident, mise en place d’une enquête interne.

Si les faits sont avérés, l’employeur doit y mettre fin, en usant notamment de son pouvoir disciplinaire, pour peu que ce comportement soit rattachable à la vie professionnelle du salarié.

Ca ne va pas étonner grand monde (à part peut-être sur C-News), mais la Cour de cassation juge de manière constante que la tenue de propos racistes par un salarié est nécessairement fautive (Cass. soc. 2-6-2004 no 02-44.904 FS-PI), justifiant le plus souvent le licenciement immédiat, sans indemnités (Cass. soc. 5-12-2018 no 17-14.594 F-D ; Cass. soc. 8-11-2023 no 22-19.049 F-D).

Tenter de s’en tirer par un « je rigolais » fait bizarrement peu d’effet au juge.

Sébastien Bourdon

 

Idylle Fatale

Droit Social

« Pour vivre heureux, vivons cachés », tel fut le mantra des deux salariés dont il va ici être objet, mais la Cour de cassation ne l’a pas entendu de cette oreille (Cass. soc. 29-5-2024 n° 22-16.218 F-B, Z. c/ Sté Payen).

L’amour ignorant tout des frontières, un Directeur des Ressources Humaines s’était épris d’une représentante du personnel, mais n’en avait dit mot à sa hiérarchie. Cela pouvait être problématique dans la mesure où nos tourtereaux participaient ensemble aux réunions des instances représentatives du personnel…
Dissimuler sa vie amoureuse à son employeur peut-il être considéré comme un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail ? C’est en tout cas ce qu’a considéré la Cour.
En l’espèce, le DRH concerné exerçait des fonctions de direction et disposait d’une délégation de pouvoir effective et permanente du président du directoire et présidait les institutions représentatives du personnel.
La salariée avec laquelle il avait une relation de longue date occupait différents mandats de représentation syndicale et de représentation du personnel.
Informé officieusement de l’idylle, l’employeur licencie le DRH pour faute grave (pas le genre à mégoter avec la lutte des classes). Le salarié demande en justice l’annulation de son licenciement en raison de son caractère attentatoire à sa vie privée et, à titre subsidiaire, que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse. Ses demandes sont rejetées devant la cour d’appel et la Cour de cassation.
A ceux qui s’étonneraient de la recevabilité d’un motif tiré de la vie personnelle du salarié, la Cour de cassation rappelle que cela reste possible en cas de manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail et si le fait tiré de la vie personnelle se rattache à la vie professionnelle.
Alors qu’est-ce qui fait tache dans cette histoire de cœur ? Selon les juges, elle :
  • se rattache à la vie professionnelle, en raison des fonctions respectives des concernés, qui les amènent à participer à des réunions au cours desquelles sont discutés des sujets sensibles (très active, la représentante du personnel avait participé à des mouvements de grève et à la négociation de plans de réduction des effectifs) ;
  • et est de nature à affecter le bon exercice de leur activité professionnelle, la relation intime ne pouvant être sans influence sur l’exercice par le salarié de ses fonctions de DRH.
Ainsi, pour les juges, l’employeur pouvait se placer sur le terrain disciplinaire.
Quid de la faute grave retenue ? Elle réside dans la dissimulation, caractérisant un manquement à l’obligation de loyauté.
Le licenciement disciplinaire n’avait pas pour fondement la relation intime entre deux salariés mais le fait de maintenir secrète son existence, quand elle pouvait être à l’origine d’un conflit d’intérêts et d’actes de déloyauté. Cette situation justifiait l’impossibilité de maintenir le contrat, peu important même l’existence avérée d’un préjudice.
Le respect de la vie privée du salarié cède devant l’intérêt de l’entreprise : la constance en amour n’excuse donc pas l’infidélité à l’employeur…
Sébastien Bourdon

Le téléphone, ce n’est pas tout à fait comme une lettre à la Poste

Droit Social

Le mieux est l’ennemi du bien, et force est de constater que la jurisprudence sociale illustre parfois l’adage.

Soucieux de ménager les susceptibilités d’un collaborateur, un employeur décroche son téléphone pour l’avertir de son licenciement, et ce avant l’issue de la procédure.

Bien mal lui en a pris, puisque comme l’a tranché la Cour de cassation, le licenciement est alors verbal et par essence dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 3-4-2024 n° 23-10.931 F-D, Sté Legallais c/ K.).

Rappelons les principes en la matière : après l’avoir convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, l’employeur qui décide de licencier un salarié doit lui notifier sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette dernière doit comporter l’énoncé du ou des motifs de rupture du contrat de travail (C. trav. art. L 1232-6).

Le licenciement verbal, qui par définition n’est pas motivé – « les paroles s’envolent, les écrits restent » – est systématiquement jugé sans cause réelle et sérieuse (il rompt certes le contrat de travail mais ne peut être régularisé ensuite par l’envoi d’une lettre).

En l’espèce, la directrice des ressources humaines de l’entreprise avait passé un coup de fil à celui dont le sort avait été scellé pour l’informer de son licenciement, la notification pour faute grave étant ensuite postée le même jour. Estimant avoir fait l’objet d’un licenciement verbal, le futur ex salarié saisit la juridiction prud’homale afin de contester la rupture de son contrat de travail.

Pour sa défense, la société avait avancé un argument inhabituel, humainement recevable : la courtoisie. Las, le droit se moque du savoir-vivre et la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir jugé le licenciement du salarié sans cause réelle sérieuse.

Il y avait une solution toute bête : appeler le salarié certes, mais après être passé à la Poste pour envoyer la lettre, et ces désagréments pécuniaires et judiciaires auraient été épargnés à l’entreprise…

Sébastien Bourdon

Se victimiser ne fait pas forcément de soi une victime

Droit Social

Dans la catégorie « tentons le tout pour le tout », un salarié licencié pour faute grave pour des faits de harcèlement sexuel avait imaginé une défense originale : il aurait été injustement « victime » (sic) du phénomène de libération de la parole #Metoo (CA Aix-en-Provence 19-4-2024 n° 21/02932).

L’impétrant se serait distingué au sein de l’association qui l’employait par des comportements d’une relative banalité : propos déplacés sur le physique de ses collègues féminines, tentatives de baisers volés (mais sans le charme du film du même nom), avances non désirées des récipiendaires, le tout dans un climat général de drague lourde et persistante.

Informé du problème, l’employeur avait diligenté une enquête interne afin de vérifier la véracité des accusations portées.

Classiquement, le salarié accusé a d’abord dénoncé l’insuffisance des preuves, mais aussi affirmé qu’il s’agissait d’un « complot », voire d’une « propagande calomnieuse ». A contrario, il affirmait que son humour était « sain » (concept mal défini) et que l’une des accusatrices lui aurait même fait des avances, le mettant mal à l’aise…

La Cour d’appel n’y est pas allée par quatre chemins, s’attachant surtout à relever si étaient caractérisés des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés portant atteinte à la dignité du salarié, en raison de leur caractère dégradant, au sens de l’article L 1153-1 du Code du travail.

Et il s’avère que pour la Cour d’appel, tel était le cas, les témoignages des employés étant particulièrement nombreux, précis, circonstanciés et concordants. Quant aux indignes pressions qui auraient été exercées sur les salariées, tel qu’allégué par l’accusé, nulle trace relevée.

Face à ces preuves, l’argument du « complot » est balayé par la Cour. La gravité des faits de harcèlement sexuel retenus justifie le licenciement de l’intéressé pour faute grave, privative d’indemnités.

La tentative de passer de Metoo à Mytho n’a ici pas prospéré. L’audace sans panache, c’est tout de suite moins bien.

Sébastien Bourdon

Le choix parfois épineux des sanctions

Droit Social

Face au comportement inacceptable d’un salarié, comment déterminer la sanction applicable ? La créativité n’est en effet pas toujours sans risque.

En l’espèce, un cadre de haut niveau d’une banque d’investissement est licencié pour faute grave, du fait de son comportement inapproprié à l’égard de plusieurs collaboratrices qualifié, oh surprise, de harcèlement sexuel.

L’employeur double la mise en refusant de surcroît de lui verser une partie de sa rémunération variable, invoquant les dispositions du Code monétaire et financier : ce dernier permet de réduire en tout ou partie le montant total de la rémunération variable si le salarié s’est distingué par des agissements ou comportements susceptibles d’entraîner des pertes sérieuses à son employeur. Il y est également mentionné la possible prise en considération du défaut de respect des exigences d’honorabilité et de compétence.

Et sur cette base textuelle aux accents moralistes que le salarié se fait sucrer sa rémunération variable.

La Cour de cassation ne va toutefois pas l’entendre complètement de cette oreille. Tout lourdingue qu’ait pu être le salarié, son comportement était sans lien direct et étroit avec son activité professionnelle, et ne caractérisait donc pas le défaut de respect des exigences d’honorabilité, ni le comportement professionnel à risque allégué.

Si le dragueur de la machine à café a donc pu conserver son salaire variable, restait la question de la faute grave retenue par l’employeur, fondée sur son « comportement inconvenant ».

Qu’est-ce qui justement caractérisait ce comportement : selon l’employeur, ce dernier avait envoyé des messages à son assistante lui proposant de passer la nuit avec lui. Il avait invité une salariée intérimaire à visiter une chambre d’hôtel et avait fait des commentaires sur la manière dont une autre salariée mangeait des bananes, qualifiée d’« inspirante » (élégance, quand tu nous tiens).

Si la Cour d’appel avait pu ici faire preuve de mansuétude, en ne retenant par la faute grave mais la seule cause réelle et sérieuse, le vent a tourné avec la Cour de cassation : les messages à connotation sexuelle envoyés à des subordonnées et la gêne occasionnée par la situation imposée par ce supérieur hiérarchique avaient créé une situation intimidante ou offensante pour ces dernières, caractérisant le harcèlement sexuel, au sens de l’article L 1153-1 du Code du travail.

D’aucuns diraient « on ne peut plus rien dire », mais c’est peut-être mieux finalement, ce qu’a rappelé la Cour de cassation (Cass. soc. 13-3-2024 n° 22-20.970 FS-B, Sté Cacib c/ E).

Sébastien Bourdon

Du droit de regard sur la vie privée et ses limites

Droit Social

La distinction de ce qui relève de la vie professionnelle et de la vie privée constitue un sujet de débat inépuisable, encore récemment illustré par la Cour de cassation.

Les faits de l’espèce étant à la limite de l’interdiction aux mineurs, il était tentant d’en causer...

Pas de faux-semblants, les faits, rien que les faits (avant d’aborder le droit) : fatigué d’une journée de travail probablement harassante, un chauffeur livreur, sur le trajet du retour à son domicile, fait en forêt une pause « onanisme » à bord de son véhicule professionnel (prélude à une sieste ?).

Un promeneur, choqué d’un tel spectacle, en informe l’employeur (il est vrai que ledit véhicule était floqué au logo de l’entreprise) en adressant une photographie du camion, avec la mention suivante : « quelle honte pour l’image de votre entreprise ». Muni de ce signalement, d’une attestation d’un coordinateur d’exploitation et des données de géolocalisation du véhicule, l’employeur licencie le salarié pour faute grave. Ce dernier conteste son licenciement en justice.

Grand bien lui fait (décidément), puisque la Cour de cassation lui a finalement donné raison : un plaisir solitaire, même dans le véhicule professionnel, relève de la vie privée du salarié (Cass. soc. 20-3-2024 n° 22-19.170 F-D, Z. c/ Sté Trans 2B).

En effet, c’est de jurisprudence maintenant constante, les faits commis par un salarié dans le cadre de sa vie privée ne peuvent pas être sanctionnés, sauf s’ils se rattachent à la vie professionnelle, ou s’ils caractérisent un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail.

Pour absoudre le masturbateur, la Cour de cassation relève que les faits ont été commis hors le temps et le lieu de travail (l’impétrant n’étant effectivement pas garde-forestier).

La distinction est d’importance car un fait commis par un salarié dans le cadre de sa vie personnelle peut exceptionnellement être rattaché à son activité professionnelle et justifier un licenciement disciplinaire.

Le seul lien pouvant ici être éventuellement fait avec le travail était l’utilisation du véhicule professionnel.

Mais pour la Cour de cassation, la seule circonstance que le salarié se trouvait, lors de son trajet lieu de travail-domicile, dans le véhicule professionnel mis à sa disposition, ne pouvait suffire à rattacher les faits commis dans la sphère privée à sa vie professionnelle.

La Cour ajoute que les faits ne constituaient pas un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail, et ne pouvaient pas justifier le licenciement prononcé pour motif disciplinaire. Le licenciement est donc privé de cause réelle et sérieuse.

En réalité, l’employeur a manqué de jugeotte en frappant aussi fort : les circonstances ici intimement liées à la vie privée (si l’on ose dire) excluaient très probablement la possibilité de retenir la faute grave.

Il y a donc lieu de faire preuve de prudence et de discernement dans la prise de toutes décisions disciplinaires sitôt que l’on s’approche plus ou moins de la sphère privée du salarié.

Sébastien Bourdon

L’avocat enquêteur

Droit Social

L’avocature est un métier qui, comme bien d’autres, se doit d’évoluer et de s’adapter. Cela vaut pour les technologies (ainsi de la possible dématérialisation du procès #laboratoiredecyberjustice) comme des pratiques. C’est ainsi que s’est développé ces dernières années le rôle de « l’avocat enquêteur », en diverses matières, et plus particulièrement en matière de droit du travail.

Plus du tout à fait défenseur, et moins conseil, l’avocat s’est rendu indispensable comme porteur d’une indéniable compétence professionnelle et garant d’une confidentialité nécessaire.

Alors qu’est-ce qu’une enquête interne ? Elle est ainsi définie par le #CNB dans son guide sur les enquêtes internes :

« L’enquête interne est le processus lancé par l’entreprise afin de lui permettre, lorsqu’elle est confrontée à des soupçons d’agissements pouvant constituer une violation de ses règles internes ou de la règlementation, législation lui étant applicable, de déterminer si ces soupçons sont fondés ou non. Son objet est d’établir les circonstances d’une situation factuelle afin de permettre à l’entreprise de prendre, le cas échéant, les mesures appropriées (résiliations de contrats, sanctions disciplinaires, changement de dirigeants, renforcement des contrôles et de sa politique de conformité…) et de gérer les conséquences qui peuvent s’en suivre ».

Dans ce contexte, il appartient à l’avocat saisi par l’employeur (les frais étant à la charge de ce dernier), d’effectuer, en toute indépendance, tel Hercule Poirot, les investigations nécessaires à la qualification des faits, afin de permettre, le cas échéant, à son mandant d’effectuer les correctifs nécessaires.

L’initiative de la saisine de l’avocat appartient donc à l’employeur, garant de la sécurité et de la santé de ses salariés. Il devra profiter de la mise en place de cette enquête pour déterminer la véracité des allégations et, le cas échéant, mettre ensuite en œuvre les moyens nécessaires pour solutionner une situation anormale et périlleuse.

Il peut ainsi arriver que l’avocat enquêteur n’apporte pas de bonnes nouvelles, pointant les manquements parfois graves de celui même qui l’a missionné.  Surgit alors la tentation antique de l’abattre, sans autre forme de procès.

C’est là une erreur de débutant : on ne peut décemment et efficacement régler les problèmes qu’en les connaissant et leur révélation permet de ne pas passer à côté de situations mortifères pour une entreprise.

S’il n’assure plus ici le rôle classique de conseil de l’entreprise, l’avocat enquêteur n’en est donc pas moins utile à celui qui le rémunère.

Sébastien Bourdon

Le management toxique peut se distinguer du harcèlement moral

Droit Social

Le harcèlement moral, c’est interdit, et s’y adonner sans vergogne peut justifier un licenciement pour faute grave. Pourtant, parce qu’on aime la complexification en droit du travail, un management toxique, mais dénué de toute teinte harcelante pour les subordonnés, peut quand même fonder un licenciement pour faute grave, comme vient de le dire la Cour de cassation (Cass. soc. 14-2-2024 n° 22-14.385 F-D).

En effet, selon la Cour suprême, des méthodes de gestion de nature à impressionner les subordonnés et à nuire à leur santé constituent une faute grave, sans que la qualification de harcèlement moral soit exigée.

En l’espèce, la directrice d’une association gestionnaire d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes avait été licenciée pour faute grave après que diverses sources concordantes et étayées l’aient accusée d’être la cause d’un mal-être et une souffrance de la majorité du personnel (avec diverses conséquences préjudiciables, telles que démissions etc.).

Pour juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la Cour d’appel avait reproché à l’employeur de ne pas avoir engagé d’enquête interne pour vérifier que les faits rapportés étaient effectivement constitutifs de harcèlement moral imputables à la directrice, estimant que les pièces versées étaient insuffisantes à le démontrer.

Plus spécifiquement, pour la Cour d’appel, la dénonciation d’un climat de travail tendu, de conditions et de relations de travail effectivement difficiles et heurtées, ne pouvait valoir qualification de harcèlement moral, pas plus que les décisions sur l’affectation des salariées, la surcharge de travail ou la situation de tension voire de stress ou de contrariété, quel qu’en soit l’intensité. Il n’y avait donc pas de faute grave.

A la lecture, on constate que si la cour d’appel n’avait pas voulu décorréler la faute grave du harcèlement moral, la Cour de cassation, pour casser l’arrêt rendu, énonce qu’un mode de gestion inapproprié de nature à impressionner et nuire à la santé des subordonnés, est à lui seul de nature à caractériser un comportement rendant impossible le maintien dans l’entreprise.

L’obligation de prévention des risques professionnels des salariés est générale et ne saurait effectivement être cantonnée au seul harcèlement moral (ou sexuel).

Sébastien Bourdon

En-deçà de cette limite, l’illicite est acceptable

Droit Social

L’idée que l’illicite est parfois autorisé, comme l’affirme la Cour de cassation ces temps derniers, nécessite évidemment encore quelques développements. Dans une décision récente, la Cour s’y est donc à nouveau collée (Cass. soc. 14-2-2024 n° 22-23.073 F-B, B. c/ Sté Pharmacie mahoraise).
 

Les faits de l’espèce se sont déroulés dans une pharmacie équipée de caméras de vidéosurveillance destinées à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux, mais dont la consultation avait permis de relever diverses malversations commises par une employée peu regardante (saisie d’une quantité de produits inférieure à ceux réellement vendus, vente de produits à des prix inférieurs au prix de vente, absence d’enregistrement de vente de produits délivrés au client) et ayant motivé son licenciement pour faute grave.

La cour le rappelle à cette occasion : l’illicéité dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Au juge de décider si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Il arrive que l’on verse aux débats des éléments portant atteinte à d’autres droits que celui de la preuve, à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

La présence de cette caméra et le contrôle ainsi effectué sur ceux qui passaient devant étaient ils légitimes ? Ne pouvait on imaginer moyen moins attentatoire à la vie personnelle du salarié ?

En réalité, et la Cour le constate, la caméra avait été installée pour que l’on puisse comprendre comment se produisaient les divers chapardages déjà constatés par l’inventaire des stocks.

Contrôle opéré sur seulement quinze jours par la seule dirigeante, il avait suffi à comprendre le mystère de la pharmacie et repérer la coupable.

C’est ainsi le caractère limité dans le temps et dans les formes de ce contrôle qui en a atténué l’illicéité aux yeux de la Cour : la salariée avait certes le droit au respect de sa vie privée, mais l’employeur n’était pas moins légitime à veiller à la protection de ses biens.

En conséquence, la production de données personnelles issues du système de vidéosurveillance était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et proportionnée au but poursuivi, de sorte que les pièces litigieuses étaient recevables.

Il est possible de pousser un peu le bouchon, mais attention, pas trop loin tout de même !

Sébastien Bourdon

Fixation des objectifs : attention à la date !

Droit Social

Dans la vie, il est recommandé de se tenir à ses engagements et plus encore lorsqu’on les formalise contractuellement.

En droit du travail, la question de la fixation d’objectifs prévue par le contrat de travail a ainsi donné lieu à une abondante jurisprudence et récemment encore, dans un arrêt du 31 janvier 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé que l’employeur peut modifier des objectifs qu’il a fixés unilatéralement, mais à condition d’en informer le salarié en début d’exercice. A défaut, la sanction est implacable : la part variable lui est intégralement due.

Outil de motivation des troupes, les objectifs d’un salarié conditionnant la partie variable de sa rémunération, peuvent être définis par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction (Cass. soc. 22-5-2001 no 99-41.838 F-P).

A l’impossible nul n’étant tenu, les objectifs doivent être réalistes et réalisables (Cass. soc. 13-1-2009 no 06-46.208 FS-PB) et évidemment portés à la connaissance du salarié en début d’exercice (Cass. soc. 2-3-2011 no 08-44.977 FP-PB), sauf si des circonstances particulières rendent impossible leur fixation à cette date, chose sur laquelle le juge exerce son contrôle (Cass. soc. 21-9-2017 no 16-20.426 FS-PB).

La récente décision dont il est ici objet vient illustrer une nouvelle fois ces principes.

En l’espèce, un salarié, arguant de ce qu’aucun objectif ne lui avait été fixé à son arrivée dans l’entreprise, réclamait le paiement de l’intégralité de sa part variable (au regard de la jurisprudence, ça se tentait). Pour le débouter de sa demande, la cour d’appel avait relevé qu’il avait été informé des objectifs à atteindre en cours d’exercice, partant du principe que cette fixation tardive palliait à la carence d’origine.

Très logiquement, la Cour de cassation censure et rappelle que lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, ceux-ci doivent être réalisables et portés à la connaissance du salarié en début d’exercice. À défaut, c’est la sentence maximale qui tombe : la part variable doit être payée intégralement au salarié, comme s’il avait atteint les objectifs fixés.

Le contrat est dur, mais c’est le contrat !

Sébastien Bourdon