Voilà des décennies qu’on nous le serine, il faut faire de l’exercice physique (et manger des fruits et des légumes).
La question que s’est posée en l’espèce la Cour de cassation est pertinente : si on ne travaille pas parce que l’on s’est fait porter pâle, état dûment établi médicalement - et donc indemnisé à ce titre - a-t-on quand même le droit de faire du sport ?
N’y aurait-il pas là violation par le salarié de l’obligation de loyauté – c’est-à-dire préférer faire du sport plutôt que travailler – justifiant alors la rupture du contrat de travail ?
Il est vrai qu’on ne parle pas ici de jogging dominical ou d’étirements au saut du lit, mais de la participation d’un salarié à des compétitions de badminton (discipline olympique rappelons-le) alors qu’il était en arrêt maladie (Cass. soc. 1-2-2023 n° 21-20.526 F-D, Établissement Régie autonome des transports parisiens c/ M).
Aussi surprenant que cela paraisse au regard des faits de l’espèce, selon la Cour de cassation, tel ne serait pas le cas : l’exercice d’une activité pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée dudit arrêt (Cass. soc. 11-6-2003 no 02-42.818 F-D : RJS 8-9/03 no 1002).
En effet, pour que l’employeur puisse trouver à y redire et que cela justifie un licenciement, la pratique de cette activité doit lui avoir causé un préjudice (Cass. soc. 21-11-2018 no 16-28.513 F-D : RJS 3/19 no 148).
On peut faire le parallèle avec la question du travail pour autrui : le salarié en arrêt maladie ne manquerait pas à son obligation de loyauté lorsqu’il exerce une activité pour le compte d’une société non concurrente de celle de l’employeur (Cass. soc. 7-12-2022 no 21-19.132 F-D : RJS 2/23 no 64). A l’inverse, l’employeur serait légitime à licencier un salarié qui exerce pour son propre compte une activité concurrente. Ainsi d’une espèce assez croustillante où le salarié « malade » démarchait les clients de son employeur au profit de la société… de son conjoint (Cass. soc. 23-11-2010 no 09-67.249 F-D : RJS 2/11 no 121) …
En l’espèce, il s’agissait d’enfin savoir si le préjudice causé à l’employeur peut ou non résulter du paiement intégral du salaire par ce dernier durant l’arrêt maladie. Subsidiairement, est-il bien raisonnable de s’exposer ainsi physiquement quand on est souffrant, au risque, justement, de prolonger encore l’arrêt maladie indemnisé ?
En l’espèce, notre badiste (terme officiel pour désigner le praticien du badminton) exerçait également les honorables fonctions de contrôleur RATP et avait participé à plusieurs compétitions de badminton pendant ses arrêts de travail. Le pot aux roses découvert, il est révoqué en raison d’un manquement à son obligation de loyauté envers son employeur. Estimant ne pas avoir manqué à cette obligation, il saisit la juridiction prud’homale afin de contester le bien-fondé de sa révocation.
La cour d’appel ayant jugé que la participation régulière du salarié à des compétitions de badminton pendant ses arrêts de travail n’avait causé aucun préjudice à la RATP et ne constituait donc pas un manquement du salarié à son obligation de loyauté, l’employeur s’est pourvu en cassation.
Si l’on résume grossièrement l’argument de la RATP, le raisonnement n’était pas absurde : si elle finance la couverture sociale du salarié, ce n’est pas pour qu’il tape dans un volant au lieu de fournir une prestation de travail. Il y aurait donc là un préjudice économique et financier à faire valoir.
Las, la Cour de cassation rejette ce premier argument, considérant que le maintien du salaire est insuffisant à lui seul pour démontrer un préjudice.
Le deuxième argument reposait sur le risque d’aggravation de son état de santé par la pratique de ce sport en compétition, ou que la possibilité de le pratiquer laissait présumer qu’il avait en réalité recouvré la santé, ce qui constituait un acte de déloyauté du salarié, source d’un préjudice fonctionnel et économique.
Considérant que la Cour d’appel avait justement considéré que la participation à 14 compétitions sportives au cours des cinq arrêts de travail prescrits sur l’année n’avait pas aggravé son état de santé ou prolongé ses arrêts de travail, la Cour de cassation en déduit que le salarié n’avait pas manqué à son obligation de loyauté pendant la durée de l’arrêt de travail et rejette le pourvoi.
On en déduit donc que la solution pourrait différer si l’activité de loisirs était incompatible avec la maladie, ou de nature à l’aggraver, entraînant de facto un allongement de l’arrêt pour raisons médicales… La Cour de cassation a donc tranché cette épineuse question : le badminton n’est pas un sport à risques.
Sébastien Bourdon
P.S. pour ceux qui se demanderaient de quoi pouvait bien souffrir notre badiste, l’arrêt le précise : « il était constant aux débats que le salarié, qui exerçait les fonctions d’opérateur de contrôle au sein de la RATP, a été arrêté 118 jours à compter du 6 août 2015 à la suite d’une agression ayant entraîné un choc au coude, 36 jours à compter du 18 janvier 2017 pour blessures au cou et au poignet, 29 jours à compter du 29 septembre 2017 pour bousculade ayant entraîné une blessure au bras droit ». Il semblerait même que le badminton ait des vertus curatives !