Tout est subjectif n’est-ce pas, et décider pour l’employeur ce qui relève de la faute grave n’est alors pas chose aisée, le couperet prud’homal pouvant tomber pour peu que le salarié conteste ensuite la mesure. Tant de paramètres sont à prendre en compte, et l’on ne saurait se cantonner à sa propre vision du monde, fut-il celui de l’entreprise.
Dans l’arrêt du 13 avril 2022 dont il va être ici question, la Cour de cassation en a donné une illustration pertinente.
En l’espèce, un salarié, responsable d’études dans un organisme bancaire – activité funky s’il en est – est licencié pour faute lourde pour avoir détruit ou cherché à détruire des données appartenant à son employeur, téléchargé des documents sensibles concernant un projet de partenariat et téléchargé sur son poste de travail un logiciel de violation de mots de passe de messagerie, une pratique évidemment interdite par le règlement intérieur de l’entreprise (sans blague).
Ce serait tout que ce serait déjà pas mal, mais à ces indélicatesses, l’impétrant en avait ajouté d’autres : Il s’était également, au moyen de ce logiciel de piratage, connecté à la messagerie de sa responsable hiérarchique et avait ainsi pu accéder à sa correspondance, tant professionnelle que personnelle. Il avait de surcroît enregistré sur son propre poste de travail (dans un dossier qu’il avait délicatement baptisé « Baise la pute » …) des messages et pièces jointes se trouvant dans ladite messagerie. Il avait enfin envoyé à sa supérieure hiérarchique une série d’e-mails « particulièrement déplacés et allusifs » ayant généré chez celle-ci un « malaise s’étant transformé en angoisse ». Et oui, l’oppression au travail peut également suivre le chemin inverse à celui que l’on imagine et venir des subordonnés.
La faute lourde s’était – on a envie de dire, logiquement – imposée à l’employeur (rappelons que doit ici être caractérisée l’intention de nuire et que la sanction est privative de toute indemnité, à l’exception du solde de congés payés).
Le Conseil de prud’hommes confirme le bien-fondé de la sanction, mais avec cet acharnement judiciaire qui fascine parfois, le salarié conteste à nouveau, et grand bien lui en a pris car les juges d’appel requalifient la faute lourde en cause réelle et sérieuse, ce qui n’emporte pas tout à fait les mêmes conséquences indemnitaires pour l’employeur : même si la rupture du contrat est jugée justifiée, il est condamné à verser les indemnités de rupture au salarié (indemnité conventionnelle de licenciement et indemnité compensatrice de préavis).
L’employeur, légitimement un peu agacé, insiste, conteste à son tour et saisit la Cour de cassation : balle au centre, la faute grave est retenue en lieu et place de la faute lourde. L’employeur n’avait donc pas à verser les indemnités de rupture au salarié (si vous suivez ce que j’écris : à l’exception de l’indemnité compensatrice de congés payés restant due).
On peut avoir raison, mais il faut reconnaître que cela peut prendre du temps que de se l’entendre dire.
Sébastien Bourdon