On a cru n’en jamais voir l’issue, mais voilà que cette affaire qui a agité le pays se termine enfin, du moins sur un plan local. Pour mémoire, la salariée dont il est question avait été licenciée pour avoir refusé d'ôter son voile, malgré la neutralité expressément exigée par le règlement intérieur de la crèche : en assemblée plénière, la Cour de cassation admet finalement cette clause comme étant valable et le licenciement justement fondé sur une faute grave (Cass. Ass. Plén. 25 juin 2014 n° 13-28.369, X c/ Association Baby-Loup).
Pour se remémorer les divers rebondissements de cette ténébreuse affaire, je me permets un renvoi à ma précédente chronique sur ce thème, faisant suite à la décision prise par la Cour d’appel de renvoi (https://bourdonavocats.fr/blog/bourdonnement.asp?id=11).
Dans l’arrêt du 25 juin 2014 dont il est ici question, l’assemblée plénière de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la salariée contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui, statuant sur renvoi après cassation, avait jugé son licenciement fondé sur une faute grave (CA Paris 27 novembre 2013 n° 13/02891), alors que la chambre sociale de la Cour de cassation l’avait précédemment déclaré nul (Cass. soc. 19 mars 2013 n° 11-28.845).
La chambre sociale de la Cour de cassation avait rappelé dans cette affaire que le principe de laïcité ne s’applique pas aux salariés des employeurs de droit privé ne gérant pas un service public, pour lesquels toute restriction à la liberté religieuse doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence essentielle et déterminante et être proportionnée au but recherché. C’est en partant de ce postulat qu’elle avait déclaré nul le licenciement intervenu, décision remise en question par la Cour d’appel de renvoi.
Sans remettre expressément en cause la mise à l’écart de l’application du principe de laïcité, la Haute Juridiction, cette fois réunie en assemblée plénière ne retient pas l’idée quelque peu novatrice de la Cour d’appel de renvoi d’une entreprise « de tendance laïque ».
En effet, alors que la Chambre sociale de la Cour l’avait jugée trop imprécise, l’assemblée plénière de la Cour de cassation admet la licéité de la clause du règlement intérieur prévoyant que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche ».
Elle décide en effet que la cour d’appel a pu déduire de cette rédaction le caractère suffisamment précis, justifié et proportionné d’une telle restriction dans l’entreprise concernée en appréciant concrètement les conditions de fonctionnement de l’association de dimension réduite, n’employant que dix-huit salariés qui étaient ou pouvaient être en contact avec les enfants ou leurs parents.
L’assemblée plénière, considérant peut-être que la Cour de cassation avait une interprétation par trop abstraite des clauses du règlement intérieur, fait ainsi une appréciation on ne peut plus concrète des conditions de travail dans la crèche : le fait de pouvoir se croiser tous les jours (salariés, parents, enfants) dans cette petite structure justifierait de la validité de cette clause du règlement intérieur. Il y a là indéniablement un message à l’attention des rédacteurs de règlement intérieur, devant impérativement de tenir compte des conditions réelles de travail et de la taille de l’entreprise concernée. On ne peut par ailleurs que se réjouir de cette tendance de la Cour de cassation à « mettre les mains dans le cambouis » pour déterminer les solutions à retenir.
Cette obligation de neutralité est également jugée justifiée par les tâches accomplies par les salariés, les activités en contact avec de jeunes enfants seraient donc de nature à légitimer une restriction de la liberté des salariés de manifester leurs convictions religieuses (difficile de ne pas considérer que le signe religieux dont il était ici objet, un voile pouvant plus ou moins dissimuler le physique de la salariée, n’ait pas pesé dans la décision rendue, s’agissant d’un lieu ayant surtout vocation à accueillir des enfants).
Toutefois, alors que la cour d’appel de Paris avait qualifié la crèche d’entreprise de conviction au sens de la jurisprudence européenne, la Cour de cassation rejette cette qualification dès lors que cette association a pour objet, non de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques, mais, aux termes de ses statuts, de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes, sans distinction d’opinion politique et confessionnelle.
Si la Haute Juridiction disqualifie cet argument des juges d’appels, elle considère en réalité qu’il est surtout inopérant sur la solution du litige.
Elle tranche en affirmant que le licenciement de la salariée a pu être jugé fondé sur une faute grave en raison de son refus d’accéder aux demandes licites de son employeur de s’abstenir de porter le voile et des actes d’insubordinations répétés et caractérisés dans la lettre de licenciement, rendant impossible la poursuite du contrat de travail.
Cette décision met donc fin au litige devant les juridictions nationales. Cependant, un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme reste possible et qui sait, probable.