On s’en échange des choses de nos jours sur les réseaux sociaux : publiquement, comme dans un cercle qu’on imagine - ou espère - restreint, ou par messagerie privée. C’est sur cette dernière situation que s’est penchée la Cour de cassation, livrant au passage une décision éclairante sur la question de la preuve (Cass. soc. 4-10-2023 nos 21-25.452 F-D et 22-18.217 F-D).
En l’espèce, et on en imagine certains légitimement bondir, un employeur avait produit en justice des photographies échangées par des salariées sur un groupe Messenger (auquel il n’était évidemment pas partie).
L’affaire évoque les développements scabreux d’une comédie cinématographique grivoise du siècle dernier : des infirmières sont licenciées pour faute grave pour avoir introduit et consommé de l’alcool à plusieurs reprises au sein de l’hôpital, organisé des festivités pendant le temps de travail – ce qui avait conduit à des mauvais traitements infligés à des patients ! – ainsi que d’avoir participé à une séance photo en maillot de bain au temps et sur le lieu de travail.
Pour établir la gravité des manquements (à l’uniforme), l’hôpital avait produit plusieurs témoignages (dont une alerte anonyme), les constatations consécutives à une ouverture des vestiaires du personnel et des photographies et messages échangés sur Messenger.
Choquées de se retrouver en maillot de bain dans un dossier prud’homal, les infirmières ont contesté la recevabilité en justice des photographies publiées sur un réseau privé, comme étant de nature à porter atteinte à leur vie privée. Il faut ici préciser que l’employeur avait reçu ces clichés d’une salariée faisant partie du groupe Messenger.
Pour la cour d’appel, il n’y avait pas débat quant à la possibilité de les produire : ces photographies ayant été prises sur le lieu de travail et à destination d’une ancienne collègue, elles relevaient donc de la sphère professionnelle. De surcroît, elles révélaient un comportement à tout le moins contraire aux obligations professionnelles des salariées.
La Cour de cassation, à son tour saisie, considère que la production desdites photographies litigieuses porte atteinte à la vie privée des salariées (sans préciser si leur caractère dénudé en est la cause, ou simplement par leur provenance), mais elle entérine quand même leur recevabilité.
Elle en revient aux fondamentaux, c’est-à-dire au mécanisme du droit à la preuve (articles 6 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales) : l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats.
Le juge doit en effet apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve. Ce dernier peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (Cass. soc. 8-3-2023 nos 21-20.798 FS-D, 21-17.802 FS-B et 21-20.848 FS-B).
Elle rappelle donc que la production des photographies extraites du compte Messenger portait atteinte à la vie privée des salariées, mais n’en était pas moins indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la protection des patients confiés aux soins des infirmières employées dans l’établissement.
S’agissant de la consommation d’alcool, elle était de toute façon suffisamment établie par la fouille des vestiaires et les témoignages versés (les officiels confirmant l’anonyme, donnant à ce dernier valeur probante).
Il n’est probablement pas anodin que ce mode de preuve ait été d’autant plus validé par la Cour de cassation qu’étaient en jeu des comportements particulièrement limites au sein d’un hôpital…
Sébastien Bourdon