Dans tout bon film d’espionnage qui se respecte, le héros va silencieusement inspecter chaque recoin de la pièce afin de tenter de dénicher les micros placés discrètement par l’ennemi. La technologie s’étant un chouïa développée, tout un chacun peut se prendre pour le KGB ou la CIA et enregistrer à son insu à peu près tout ce qui se trame autour de lui avec plus d’efficacité qu’un plombier de passage au Watergate.
Dans un contexte à couteaux tirés, il est donc tentant d’enregistrer les conversations sur son téléphone portable. Mais pour pouvoir en faire quoi et avec quels risques, s’agissant tout de même d’une atteinte à la vie privée, au sens de l’article 226-1 du Code pénal ? Rappelons que les dispositions de cet article prévoient des peines d’amende et d’emprisonnement. Dans le cadre de l’entreprise, ces dispositions permettent ainsi d’incriminer toute violation de cet ordre, qu’elle soit commise par un salarié ou par l’employeur.
Dans un arrêt du 12 avril 2023, la chambre criminelle est venue encadrer un peu plus cette épineuse question, par une pirouette joliment exécutée (Cass. crim. 12-4-2023 n° 22-83.581 F-D) : le délit d’atteinte à la vie privée prévu par l’article 226-1 du Code pénal ne peut pas être retenu à l’encontre d’un salarié enregistrant son employeur à son insu, dès lors que l’entretien entre dans le cadre de l’activité professionnelle de ce dernier, quand bien même les propos seraient enregistrés dans un lieu privé.
Exprimé différemment, cela sous-entend qu’enregistrer sans consentement préalable, c’est en principe interdit, mais ce n’est pas grave si la conversation reste dans le cadre du boulot, pas de l’intime.
En l’espèce, un délégué syndical avait assisté un salarié lors de son entretien préalable au licenciement et enregistré la conversation avec le directeur général, à l’insu de ce dernier. L’employeur prétendait alors que le délit d’atteinte à la vie privée était constitué sans qu’il soit nécessaire que les paroles captées soient de nature intime.
Mais, pour la Cour de cassation, le délégué syndical n’a pas commis de faute car l’entretien entre dans le cadre de la seule activité professionnelle de l’employeur. Dès lors, l’enregistrement n’est pas de nature à porter atteinte à l’intimité de sa vie privée quand bien même les propos enregistrés auraient été tenus dans un lieu privé (heureusement, ils ne se sont pas racontés leurs vacances…).
Dans un monde où tout serait ainsi permis ou presque, surgit alors opportunément le principe traditionnel de l’exécution loyale des conventions sur le plan civil pour nous sauver de l’anarchie. Parce que oui, enregistrer sans prévenir, ça reste un coup bas, qui se doit donc d’être encadré.
S’agissant ainsi de la recevabilité de tels enregistrements devant le juge prud’homal, un tel procédé, et c’est heureux, rend en principe la preuve irrecevable (Cass. soc. 6-2-2013 no 11-23.738 FP-PB : RJS 4/13 no 316).
Mais la Cour de cassation admet, sous certaines conditions, la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle si elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi (Cass. soc. 8-3-2023 no 21-20.798 FS-D, 21-17.802 FS-B et 21-20.848 FS-B : RJS 5/23 no 235).
Si on résume, ça dépend des cas, et bien malin celui qui pourra affirmer ce qui entre ou pas dans un cadre aussi peu précisément défini. Restons méfiants, il reste possible que les murs aient des oreilles…
Sébastien Bourdon
Crédit photo : « Conversation Secrète » de Francis Ford Coppola