L’utilisation d’internet sous toutes ses formes et variantes est à même de fournir au praticien de droit du travail une jurisprudence abondante, et ce pour encore un moment.
Ainsi, récemment, la Cour de cassation a tranché l’épineuse question du sort d’un salarié qui « inondait ses collègues de vidéos humoristiques » (si j’osais j’écrirais : « LOL »). Sans trop de surprises, il s’est avéré que ce dernier, selon la Cour, par ce comportement, commettait une faute (Cass. soc. 18 décembre 2013 n° 12-17.832 (n° 2163 F-D), Sté REM c/ B).
La Cour de cassation a donc considéré que le fait pour un salarié de se connecter de manière répétée à Internet sur son temps de travail et d’envoyer par courriel à ses collègues des centaines de vidéos à caractère sexuel, humoristique, politique ou sportif constitue une faute.
En l’espèce, le facétieux travailleur a été licencié après qu’un de ses collègues ait fini par se plaindre d’être dérangé dans son travail par ses envois répétés de vidéos par courriel (on eût pu rétorquer qu’il n’était pas obligé de les ouvrir, mais ce point ne semble pas avoir été évoqué). A la suite de cette réclamation inhabituelle, l’employeur a mené une enquête et constaté que l’intéressé, pendant son temps de travail, s’était connecté à de nombreuses reprises à Internet et y avait téléchargé des vidéos à caractère sexuel, humoristique, politique et sportif. Il avait ensuite transféré ces vidéos à certains de ces collègues par message électronique. Un huissier de justice mandaté par l’employeur avait tout de même constaté l’envoi de pas moins de 178 courriels de ce type ( !).
Face à cette débauche virtuelle, l’employeur a licencié l’impétrant pour faute grave.
La Cour d’appel saisie du litige a pourtant jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’employeur ne démontrant pas que les agissements du salarié aient été de nature à porter atteinte à l’image de la société ou à porter préjudice à son fonctionnement, ni que le temps passé par le salarié à l’envoi de ces messages ait été à l’origine d’une négligence dans les tâches qui lui incombaient (de manière curieuse, la Cour ne semble pas s’être intéressée aux conséquences du comportement du salarié sur le travail de ses collègues, sachant que la procédure avait été justement mise en branle à la suite d’une réclamation de l’un d’entre eux).
La Cour de cassation a censuré cette analyse et considéré que le licenciement avait été correctement motivé par l’employeur, qui reprochait au salarié un manquement aux dispositions du règlement intérieur de l’entreprise et à ses obligations contractuelles, l’intéressé étant censé consacrer son temps de travail à l’accomplissement de ses tâches et missions (de là à dire que c’est l’évidence même…). La Cour de cassation en a donc conclu que le salarié avait commis une faute, sans préciser son degré de gravité, renvoyant pour ce faire à une autre cour d’appel le soin de qualifier ces manquements : faute grave ou cause réelle et sérieuse de licenciement.
La Cour de cassation semble maintenant systématiquement considérer qu’un salarié qui néglige son travail pour se connecter à Internet de manière extraprofessionnelle manque à ses obligations et encourt un licenciement (Cass. soc. 18 mars 2009 n° 07-44.247 : NB-I-73280). Ainsi, l’abus est caractérisé et justifie un licenciement pour faute grave lorsque le salarié consacre l’essentiel de ses heures de travail à naviguer sur des sites dépourvus de tout lien avec son activité professionnelle : jugé à propos d’un salarié qui s’était connecté plus de 10 000 fois en un mois à des sites de voyage, de prêt-à-porter, de comparaison de prix et de réseaux sociaux (Cass. soc. 26 février 2013 n° 11-27.372 : NB-I-73290).
Cette jurisprudence n’est pas sans également évoquer l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Pau afférent à l’utilisation de Facebook sur le lieu de travail (CA Pau 13 juin 2013 n° 11/02759, ch. soc., Sté BPS Pays Basque c/ C).
Ladite Cour d’appel avait ici jugé qu’un salarié qui se connecte quotidiennement à des réseaux sociaux et à sa messagerie personnelle pendant les heures de travail commet une faute justifiant son licenciement.
Ces consultations s’étant faites au détriment de son travail, l’employeur a donc prononcé un licenciement pour faute grave. La cour d’appel a admis la validité du licenciement, mais a toutefois considéré que les manquements du salarié n’étaient pas suffisamment graves pour justifier la rupture immédiate du contrat de travail, requalifiant le licenciement en cause réelle et sérieuse.
De telles sanctions sont devenues d’autant plus faciles à prononcer qu’il est relativement aisé de contrôler l’activité du salarié. En effet, dans la mesure où elles sont présumées avoir un caractère professionnel, les connexions internet établies par le salarié durant son temps de travail au moyen de son ordinateur professionnel peuvent être librement contrôlées par l’employeur (Cass. soc. 9 juillet 2008 n° 06-45.800 ; Cass. soc. 9 février 2010 n° 08-45.253: RJS 5/10 n° 399 : N-VIII-7440 s.). Un salarié ne peut donc pas contester devant le juge prud’homal la légitimité d’un tel contrôle au motif qu’il y a été procédé hors de sa présence.
Mais il arrive qu’il conteste être l’auteur des connexions internet litigieuses, et c’est ce qui s’était produit en l’espèce, du moins pour les connexions de l’intéressé à des réseaux sociaux et à sa messagerie personnelle Hotmail. Non sans un certain aplomb, le salarié faisait ici valoir que les ordinateurs de l’entreprise étant accessibles à l’ensemble du personnel, et les codes d’accès connus de tous, il n’était pas possible de lui imputer lesdites connexions.
Certes, l’employeur doit sécuriser l’accès aux ordinateurs professionnels des salariés. Il commet même un manquement à la loi « informatique et libertés » en permettant un tel accès au moyen de mots de passe faciles à deviner et pas assez souvent renouvelés (Délibération Cnil 2013-139 du 30-5-2013). Et il risque également dans ce cas d’avoir plus de mal à imputer des connexions internet abusives à un salarié en particulier. L’argument soulevé en l’espèce par le salarié n’était donc pas incohérent. Mais la Cour d’appel a estimé qu’il n’y avait aucun doute sur ce dernier point : les connexions, sur le compte Facebook et la messagerie personnelle du salarié, exigeaient des mots de passe qu’il pouvait seul utiliser, de sorte qu’il ne pouvait nier en être l’auteur.
Notre salarié précédemment évoqué, amateurs de vidéos « comiques » et soucieux de les partager, ne semble quant à lui pas avoir fait valoir un tel argument, ne niant donc pas être à l’origine de ce flots de vidéos téléchargées.