Par une série d'arrêts du 13 octobre 2023, la Cour de cassation a chamboulé les règles applicables à l'acquisition des congés payés durant les périodes d'arrêt de travail pour maladie, afin de conformer le droit français à la réglementation européenne.
Focus sur les nouvelles règles dégagées par la jurisprudence.
• Acquisition des congés payés en arrêt maladie : que dit le code du travail
Les dispositions légales actuelles lient l’acquisition de jours congés payés à la réalisation d’un travail effectif. Les périodes d’absence du salarié, durant lesquelles aucun travail effectif n’est accompli, ne sont donc pas prises en compte pour le calcul du droit à congés payés, sauf exception.
En effet, afin de tempérer cette règle, il est prévu que certaines périodes d’absences sont assimilées à du travail effectif pour le calcul des congés payés.
A savoir : il convient de vérifier tant les dispositions légales que les dispositions de la convention collective applicable pour déterminer si une absence est assimilée ou non du travail effectif, les dispositions conventionnelles primant sur les dispositions légales.
Tel n’est toutefois pas le cas, légalement, des périodes d’arrêts de travail pour maladie non professionnelle, ainsi que des périodes d’arrêts de travail pour maladie professionnelle ou accident du travail au-delà de la première année d’arrêt.
En d’autres termes, ces périodes de suspension du contrat de travail ne donnent pas droit à des jours de congés payés.
Et c’est précisément là que le bât blesse selon la Cour de cassation.
• Acquisition des congés payés en arrêt maladie : que dit la Cour de cassation
La Cour de cassation alertait depuis de nombreuses années sur la nécessité de réformer les dispositions légales précitées, non conformes au droit européen, et notamment à l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et à l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
En l’absence d’évolution législative, elle a pris les devants afin de faire évoluer sa jurisprudence et de garantir, selon son communiqué, « une meilleure effectivité des droits des salariés à leurs congés payés ».
C’est le sens des trois arrêts rendus le 13 septembre 2023 : il convient dorénavant selon la Cour de cassation d’écarter l’application des dispositions légales limitant l’acquisition des congés payés durant les périodes d’absence pour maladie ou accident, quelle qu’en soit l’origine.
Il en résulte que :
– En cas de suspension du contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle, le salarié peut prétendre à l’acquisition de droits à congés payés durant cette période.
– En cas de maladie professionnelle ou d’accident du travail, le salarié peut prétendre à l’acquisition de droits à congés payés durant l’intégralité de la période de suspension, et non plus uniquement pendant la première année.
A savoir : La Cour de cassation considère que ces solutions sont applicables à l’ensemble des congés payés, soit aux 5 semaines légales et aux congés conventionnels. Les RTT ne sont en revanche pas concernés.
• Prescription des demandes relatives aux congés payés : que dit la Cour de cassation
L’indemnité de congés payés ayant une nature salariale, les demandes afférentes sont soumises à une prescription de trois ans.
Le point de départ du délai est fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris.
Mais attention, pour la Cour de cassation, ce délai ne commence à courir que si l’employeur a permis au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés.
A défaut, le délai de prescription ne court pas, et le salarié n’est alors plus limité par le jeu de la prescription.
A savoir : Dans cette hypothèse, il a été évoqué que le salarié pourrait faire remonter ses demandes au 1er décembre 2009, date d’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, qui a donné force juridique contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.
• Les incidences pratiques incertaines des décisions de la Cour de cassation
Les pouvoirs publics ont annoncé réfléchir à l’impact et à la portée des décisions de la Cour de cassation, sans plus de précision pour l’heure, notamment quant à une éventuelle évolution législative, et le cas échéant, quant à la teneur de cette dernière.
Parallèlement, la Cour d’appel de Paris a d’ores et déjà, dans un arrêt récent du 27 septembre 2023 (21/01244), appliqué strictement la jurisprudence de la Cour de cassation, lui donnant une application pratique.
Décision isolée ou appelée à être généralisée ? Il est certain que la tendance jurisprudentielle se dégagera rapidement.
Dans l’intervalle, la prudence est donc de mise pour les employeurs, et invite à réfléchir sur la prise en compte immédiate par ces derniers des décisions rendues par la Cour de cassation.
Gabrielle Damioli